« la femme mone utilise sa voix pour exprimer ses valeurs et ses besoins »
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Interview Femmes

« La femme moderne utilise sa voix pour exprimer ses valeurs et ses besoins »

31.08.2023
par Léa Stocky

Roumaine d’origine, Française par mariage et Suissesse par le destin, Andrea Delannoy s’engage chaque jour pour une société plus juste et plus égalitaire, tant dans son travail de consultante qu’au sein de son association. Cheffe d’entreprise et maman de deux jeunes filles, celle qui se définit comme visionnaire, pragmatique et persévérante nous explique dans cette interview les raisons de son combat.

Andrea Delannoy

Andrea Delannoy

Andrea Delannoy, quel est votre parcours professionnel ?

Je suis économiste avec une formation post-universitaire en politique et économie à l’université de Genève. Avant d’arriver en Suisse, j’ai été auditrice à la Cour des comptes en Roumanie. Depuis mon arrivée dans le pays en 2003, mes activités ont toujours été liées aux femmes et aux jeunes, dans le conseil et la promotion des métiers MINT auprès des jeunes filles notamment. Actuellement, je conseille des femmes dans leur développement professionnel avec mon entreprise EOS consulting, au sein de laquelle j’aide les femmes à réaliser leurs aspirations professionnelles. Je suis enfin engagée corps et âme dans l’association MOD-ELLE que j’ai fondé en 2018 et dont le but est d’ouvrir l’horizon des jeunes au-delà des stéréotypes de genres et de les encourager à poursuivre leurs rêves.

En quoi votre position d’économiste est-elle éclairante pour mettre en avant les problématiques liées à la question de l’égalité des genres et des chances dans le monde du travail ?

J’ai pu comprendre les raisons économiques qui ont été mises en évidence pour montrer comment l’égalité profiterait aux entreprises et à la société en général. J’ai promu ces arguments car cela ne fait plus aucun doute que nous sortirons tous gagnants d’une société où chacun et chacune peut trouver sa propre place.

Selon vous, quelle est la définition d’une femme moderne ?

Une femme moderne est une femme qui choisit son mode de vie et utilise sa voix pour exprimer ses valeurs et ses besoins. Elle a confiance en ses capacités, en sa valeur et en sa voix et elle les emploie pour atteindre ses objectifs. Il est important que les femmes osent s’exprimer, mais dans notre société, elles sont plutôt invitées à la réserve.

Sur le marché du travail suisse, quelles sont les plus grandes différences entre les femmes et les hommes ?

Les femmes et les hommes ne sont pas considérés de la même manière sur le marché du travail. Notre société suisse continue d’encourager une vision traditionnelle avec des rôles hétéronormatifs. Pendant que les hommes poursuivent leur carrière professionnelle, les femmes doivent constamment se battre pour concilier vie de travail et vie de famille et font l’objet de discriminations. Les médias présentent les femmes qui réussissent comme étant sans enfants, ce qui laisse penser qu’une femme doit choisir. Il est important de rappeler que les stéréotypes sont des constructions sociales et ne reflètent pas la complexité des individus. Leur déconstruction est aujourd’hui nécessaire pour permettre à tout le monde de s’épanouir pleinement.

Vers quels métiers se dirigent davantage les femmes ?

Les femmes en Suisse s’orientent vers des métiers qui permettent cet équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Les métiers du social et du care sont largement féminisées car ils répondent aux stéréotypes. Les femmes ne veulent pas forcément se retrouver entourées d’hommes notamment en raison du fameux syndrome de l’imposteur qui leur fait penser qu’elles ne sont pas à la hauteur, comme dans les métiers MINT.

Comment les stéréotypes de genre influencent-ils les choix de carrière des jeunes ?

À l’âge où les jeunes effectuent leur premier choix professionnel, ils ont déjà intégré les stéréotypes de genre qui biaisent leur décision. Plusieurs études internationales, dont celles de l’OCDE, ont montré que les stéréotypes se cristallisent dès l’âge de 5/6 ans. En conséquence, les enfants éliminent dès l’école primaire des métiers qui auraient pu leur plaire. Cela amène à une ségrégation horizontale en Suisse, où les filles et les garçons se dirigent vers des métiers socialement acceptés. Les stéréotypes touchent aussi les jeunes hommes qui osent encore moins que les femmes la transgression : ils craignent d’être ridiculisés et rejetés s’ils choisissent des métiers dits féminins.

Finalement, comment et pourquoi ces stéréotypes se sont-ils construits ?

Les stéréotypes de genre sont à la fois vieux comme le temps et en même temps produits en continue, pour correspondre à l’ordre social souhaité. Dès la petite enfance, nous sommes socialisés pour adopter des comportements et des rôles qui sont conformes aux attentes du genre assigné. L’éducation, les médias, les cultures et les traditions participent tous à la création et à la transmission des stéréotypes, ce qui fait que personne n’y échappe. Les constructions sociales sont enracinées dans des structures de pouvoir historiques qui ont donné aux hommes un statut de supériorité sociale et politique par rapport aux femmes. Il faut en prendre conscience pour pouvoir en démarrer la déconstruction. Je souhaite voir de mon vivant une société inclusive, plus juste et plus heureuse !

Y a-t-il eu des évolutions ces dernières années ? Certains métiers se sont-ils davantage féminisés, et d’autres masculinisés ?

Heureusement, on constate une évolution. Si la Suisse a commencé le travail sur la diversité plus tard que les autres pays européens, je suis heureuse de voir le travail accompli. Je salue d’ailleurs les femmes qui ont rendu cela possible.
Si la féminisation des métiers dits masculins est en cours, la ségrégation verticale, le fameux plafond de verre, reste une réalité plus difficile à éradiquer à cause des rapports historiques de pouvoir. Pour les hommes, le chemin de la déconstruction des stéréotypes est encore très long pour qu’ils osent transgresser les attentes de leur genre.

Comment garantir plus de diversité et d’inclusivité dans l’emploi ?

Le seul moyen d’implémenter des changements durables est de passer par des politiques publiques en faveur de l’égalité et de la diversité. Les initiatives privées sont aussi les bienvenues, même si elles ne seront pas suffisantes pour des changements sur le long terme.

Quelle est la mission de l’association Mod-elle et quelles sont les actions que vous menez ?

Nous luttons contre les stéréotypes de genre qui influencent les aspirations des enfants et limitent les choix de carrière des jeunes. Nos actions s’inscrivent dans les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Notre projet Modèles d’Avenir propose aux enseignants de l’école primaire des activités ludiques avec des professionnelles inspirantes qui vont dans les classes et discutent avec les enfants afin de leur montrer un avenir professionnel affranchi des stéréotypes de genre. Notre communauté compte plus de 180 femmes professionnelles venant de tous horizons et de tous niveaux, de l’apprentie à la directrice générale. Elles transmettent aux enfants la passion et le plaisir qu’elles ont de pratiquer leurs métiers.

En quoi est-ce important pour les enfants et les adolescents d’avoir des modèles ?

Pour se développer, les enfants s’inspirent de ce qu’ils voient dans leur quotidien. Il est difficile d’imaginer un futur dont vous ignorez l’existence ou qui vous paraît inatteignable. Nous leur faisons découvrir de manière tangible les multiples choix de carrière et comprendre comment on peut y parvenir.

Avez-vous l’occasion de discuter avec des jeunes filles qui assistent aux interventions de l’association ? Quels sont leurs retours ?

À chaque fois que je vais en classe, c’est pour moi une source d’énergie énorme. J’en ressors encore plus décidée de promouvoir ces rencontres précoces. On peut vivre en direct l’expression des stéréotypes car les enfants sont spontanés et sans filtre. Je crois que je vais finir par écrire un livre avec toutes les anecdotes (rires). Quand des femmes exerçant un métier dit masculin interviennent en uniforme, telles que des pilotes d’avion ou des policières, beaucoup pensent qu’elles sont en réalité déguisées. Ils font des yeux ronds. Une fois, un jeune garçon, impressionné par une policière, s’est exclamé : « Je vais être policière aussi ! » Ces rencontres profitent aux enfants et aussi aux femmes qui interviennent. Toutes celles qui sont allées en classe n’ont qu’une envie, y retourner ! C’est une source de grande richesse.

Les enseignants préparent la rencontre en amont et essaient de voir si les enfants ont déjà des idées de ce qu’ils aimeraient devenir. Après notre passage, ils reprennent la discussion pour aborder les thèmes de la diversité.

Nous sommes présents dans les écoles primaires du canton de Vaud depuis 2018 et nous avons démarré le projet dans le canton de Genève cette année, avec l’aide du département tutélaire (DIP) et du Bureau de promotion de l’égalité et prévention des violences. Nous sommes toujours à la recherche de professionnels de tous les horizons. Mon rêve serait d’aller à la rencontre des enfants de tout le pays !

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Plus d'informations

Si vous avez envie de transmettre des informations sur votre parcours à la nouvelle génération, vous pouvez donner une heure de votre temps aux enfants de votre région avec l’association MOD-ELLE :

mod-elle.ch
078 601 03 42

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