vins vins issus de l’agriculture biologique: quels enjeux?
Interview Lifestyle Gastronomie

Vins issus de l’agriculture biologique: quels enjeux?

08.12.2020
par Andrea Tarantini

C’est avec respect pour l’environnement, écoute, passion pour la nature et ses fruits, amour pour sa famille et ambition que, en 2010, la jeune Catherine Cruchon rejoint le Domaine familial Henri Cruchon en tant qu’œnologue. Elle se décrit comme une femme «naturelle, drôle – j’espère (rires) – et gourmande qui aime les petits et simples plaisirs de la vie: bien manger et bien boire (rires)». Dans l’interview qui suit, elle nous parle de sa passion pour le vin issu de l’agriculture biologique et nous présente les enjeux actuels qui y sont liés. 

Comment est née votre passion pour le vin?

 

Je suis presque née dans les tonneaux à vin (rires). La passion pour le vin est en effet inscrite dans l’ADN de ma famille. Mon père est vigneron, mon oncle est viticulteur. Je suis née dans ce monde, mais personne ne m’a jamais forcée à rester dans ce secteur.

J’ai toujours aimé l’ambiance qui règne dans ce monde. J’aime surtout la récolte. À cette occasion, de nombreux amis viennent nous aider, on mange tous ensemble et on organise de petites fêtes en fin de journée. Je ne pourrais jamais travailler dans une entreprise trop sérieuse, dans une banque par exemple.

Je pense que la nature nous rend humble.

J’adore le travail d’équipe que requiert le monde du vin, notre entreprise est très unie et je m’entends très bien aussi avec mes collègues qui travaillent au sein d’autres entreprises comme la nôtre. Nous partageons les mêmes valeurs et j’adore échanger avec eux, autant des expériences et des idées que du vin (rires). Je pense que la nature nous rend humble, et c’est notamment pour cela que j’aime être en contact et travailler avec elle. Par exemple, on peut travailler dur pendant de longues années pour atteindre un objectif, mais si la nature n’est pas de la partie, il faut simplement rester humble et s’adapter à elle.

Quels sont vos vins préférés?

Il y’en a beaucoup, car nous avons tellement de bons vins en Suisse. La liste est longue!  (rires). J’adore le vin blanc de Laura Paccot, du domaine La Colombe. J’aime ce que produit Vincent Chollet, dans le Lavaux. J’adore aussi le vin de Anne-Claire Schott, dans la région du lac de Bienne.

En général, j’aime les vins qui ont du caractère, qu’ils soient blancs ou rouges – le choix dépend de mon humeur (rires). Si je ne devais boire qu’un seul type de vin blanc pour le restant de ma vie, je choisirais le Chasselas. On ne peut jamais boire trop de Chasselas (rires): il y a de nombreuses variétés. C’est tellement délicat et élégant.

J’aime les vignerons qui soulignent l’importance de la simplicité. C’est pourquoi, les vins que j’aime sont simples et naturels, avec peu de sulfites, des vins issus de l’agriculture biologique. Dans les rouges, j’adore par exemple le Pinot Noir, le Grenache ou le Nebbiolo. En général, je n’aime pas les vins rouges trop lourds, qui contiennent trop d’alcool ou trop de sucre.

Pour résumer, je dirais que j’aime l’élégance, la complexité mais aussi la simplicité (rires).

Quelle est la partie de votre travail que vous aimez le plus?

Dégustation mise à part (rires)? Je pense que la récolte est le meilleur moment de l’année. Il s’y passe tellement de choses et c’est un moment essentiel et délicat: si quelque chose s’y passe mal, on aura des problèmes toute l’année. C’est aussi un moment fatiguant, car nous travaillons énormément, mais je l’adore. On récolte du raisin, son jus n’a pas encore la saveur du vin, pourtant, pendant la fermentation, tous les arômes se libèrent et on commence à reconnaître le vin qu’on produit et le terroir duquel il est issu. En bref, c’est un moment exceptionnel dans la fabrication du vin: à cet instant, il vient véritablement au monde!

Est-il vrai que les femmes sont moins nombreuses dans ce secteur?

C’était vrai, mais ça ne l’est plus! Dans les écoles d’œnologie, il y a désormais 50% d’hommes et 50% de femmes. Parfois, il y a même plus de femmes. C’est notamment le cas en œnologie. C’est un peu moins vrai en viticulture. Cela peut être lié simplement à une question physique, car c’est un travail difficile. Ce que j’aime dans ce monde, c’est le fait que les gens soient très ouverts d’esprit. Je pense que c’est dû au fait qu’ils doivent sans cesse être en contact avec autrui et avec la nature. Je n’ai jamais eu des problèmes ou de remarques de ce genre dans mon domaine.

Ce que j’aime dans ce monde, c’est le fait que les gens soient très ouverts d’esprit.

Qu’est-ce qu’un vin issu de l’agriculture biologique?

L’agriculture biologique des vins commence dans les vignes. Aucun herbicide, ni fertilisant chimique (de synthèse) n’est utilisé. Nous utilisons plutôt des fertilisant naturels, comme le compost.

À mon avis, l’utilisation de produits chimiques a un fort impact sur l’écologie. Dans l’eau et dans l’air, il y a des liaisons atomiques très fortes entre les molécules. Dans la terre, les liens sont électromagnétiques, ce qui signifie qu’ils sont très fragiles et que les fertilisants et les herbicides chimiques peuvent facilement les casser. Si ces liens se cassent, le sol ne fournit plus de l’eau buvable et la vie dans le sol cesse d’exister. Saviez-vous qu’on considère que la biomasse dans le sol est équivalente au nombre d’animaux qui existent sur terre?

Au niveau du goût, lorsqu’on boit un vin qui est issu d’un sol sans vie, on sent la différence et ce vin ne nous fournira jamais autant de «bonne» énergie qu’un vin issu de l’agriculture biologique. Je pense donc qu’on doit s’adapter à la nature et ne pas forcer la nature à s’adapter à nous et à nos besoins. C’est ce que souligne l’agriculture biologique!

Je pense donc qu’on doit s’adapter à la nature et ne pas forcer la nature à s’adapter à nous et à nos besoins.

Quelle est la différence entre un vin issu de l’agriculture biologique et un vin biodynamique?

Le vin biodynamique est biologique. Il s’agit simplement d’une autre façon de voir les choses. L’agriculture biologique traite les plantes avec des produits biologiques pour éviter qu’elles tombent malades. La biodynamie essaye en plus de stimuler les défenses naturelles des plantes afin de leur permettre de s’auto-défendre et de ne pas développer de maladie.

Dans cette perspective, il s’agit donc de tuer le moins possible car, lorsqu’on tue un insecte avec un insecticide par exemple, on ne tue pas seulement l’insecte mais aussi des éléments positifs et des insectes qui aident la plante à se protéger d’autres parasites. Ceci mène alors au développement d’autres insectes et à l’obligation d’utiliser plus d’insecticides différents, d’année en année.

Ainsi, la biodynamie essaye de rendre le terrain aussi résistant que possible afin d’éviter l’utilisation de produits. D’ailleurs, puisqu’on sait que les autres planètes, à travers la lune, jouent un rôle sur la Terre et notamment sur nos plantes, on utilise aussi le calendrier lunaire pour permettre aux plantes de se développer au mieux.

Aujourd’hui, comment sont perçus les vins issus de l’agriculture biologique?

À présent, ils sont bien perçus, autant dans l’agriculture que dans la restauration. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. Je pense que les gens n’achètent pas du vin parce qu’il est issu de l’agriculture biologique mais, quand ils apprennent qu’il l’est, ils sont encore plus heureux.

Comment voyez-vous le futur des vins issus de l’agriculture biologique?

J’espère qu’ils seront le futur de toute l’agriculture! Cependant, si cela doit se concrétiser, on doit collaborer avec la politique, l’économie, l’éducation, la recherche et les consommateurs. Ces derniers doivent notamment être d’accord de payer le bon prix pour le bon produit. Si la qualité du vin issu de l’agriculture biologique est excellente en Suisse c’est parce qu’on a des règles strictes à respecter et des bonnes matières premières, des terroirs exceptionnels dont on prend bien soin. Ce travail a un prix qui est certes plus cher que celui d’un vin traditionnel, issu par exemple d’un terroir français ou italien qui doit respecter moins de règles qu’en Suisse.

Chez nous, nous avons ce qu’on appelle le vin bio fédéral, le bio bourgeon et le Demeter. Le bio fédéral, le plus bas bio qu’on a, équivaut au bio européen. Quant au bio bourgeon, le plus connu, il est plus strict en matière de règles et donc plus cher. Il y a encore le Demeter, plus strict que le bourgeon et issu de règles internationales. Ainsi, si on veut que le vin soit meilleur, issu de l’agriculture biologique et de règles strictes qui en garantissent la qualité, on doit tous collaborer à cette fin: il doit s’agir d’un projet global!

Dernière question: Vous utilisez un langage poétique lorsque vous parlez du vin et de sa production. S’agit-il à votre avis d’un processus créatif et artistique? Dans ce sens, vous considérez-vous comme une artiste?

Je ne suis pas une artiste. Je pense que l’artiste prend des couleurs, les assemble et en fait un chef-d’œuvre. Moi je ne crée pas le goût du vin que je produis. Je combine simplement des éléments pour que le vin exprime au mieux son goût. Je ne suis pas non plus un créateur de parfums qui combine des éléments et crée le parfum parfait. Plutôt qu’une artiste, je dirais que je suis une artisane. Pour moi, le terroir, les vignes et les raisins sont les artistes. Bien évidemment, nous les aidons à s’exprimer, mais nous n’avons aucun rôle d’artiste!

Si on veut que le vin soit meilleur, issu de l’agriculture biologique et de règles strictes qui en garantissent la qualité, on doit tous collaborer à cette fin: il doit s’agir d’un projet global!

Interview Andrea Tarantini

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