jean-marc, le musicien
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En quête d’identité – l’histoire de Jean-Marc, adopté à ses 13 mois

24.07.2020
par Laetizia Barreto

L’odeur d’encens est enveloppante lorsqu’on rentre chez Jean-Marc, à Saint-Aubin. Cheveux ramassés en queue de cheval, petit bouc et grands yeux bruns contribuent à donner un côté artiste au jeune homme qui nous ouvre la porte de son appartement. C’est par une après-midi venteuse que Jean-Marc a accepté de raconter son histoire d’adoption. Son parcours qui l’a mené à développer sa spiritualité a été plutôt haut en couleurs.

Si les autres devaient décrire Jean-Marc, ils le qualifieraient peut-être de beaucoup d’adjectifs différents. C’est parce que le jeune homme âgé d’une trentaine d’années n’est pas simple à cerner. Dans sa vie, il n’a pas choisi toujours des chemins faciles et a expérimenté des situations extrêmes pour tester ses limites. Enigmatique, ou complexe, comme il aime le dire, sa personnalité est de nature curieuse. Adopté alors qu’il était encore bébé, il arrive en Suisse lorsqu’il n’a que treize mois. Cet événement va rendre sa quête identitaire très forte dès l’adolescence. Délinquance, prison, hôpital psychiatrique, des dizaines de métiers différentes, son chemin de vie est fort en rebondissements.

Jean-Marc dans l’orphelinat en Colombie.

L’enfant charmeur

«L’adoption engendre beaucoup de réactions différentes. Chez moi, c’est la révolte qui a commencé pendant mon adolescence» me répond-t-il lorsque je l’interroge sur son vécu. Adopté dans un orphelinat en Colombie, dans la ville de Neiva, il est atteint d’une broncho-pneumonie sévère quand Pierre et Danièle, ses parents adoptifs, viennent le chercher. Sa nouvelle maison en Suisse se situe à Corcelles, dans le canton de Neuchâtel, où trois sœurs l’attendent. Jean-Marc se souvient avoir toujours reçu beaucoup d’attention.

Enfant, il aime faire rire et séduire son entourage. Au jardin d’enfants, il s’assied toujours vers la fenêtre et contemple les nuages d’un air rêveur. Puis en grandissant, il pratique le foot et la natation; il déborde d’énergie et a un fort besoin de se dépenser. Jean-Marc aime passer du temps dehors et se rappelle des torrées et promenades passées en famille. Il tisse un lien spécial avec sa grand-mère qu’il gardera jusqu’à ses seize ans, lorsque cette dernière décède.

L’adolescent en crise

Alors qu’il commence l’école secondaire, le jeune garçon s’intéresse beaucoup aux filles. En pleine adolescence, il découvre le jeu des relations amoureuses et intimes avec, souvent, des femmes beaucoup plus âgées. À cette période de sa vie, Jean-Marc commence à se perdre. «Ma situation entre 14 et 17 ans était catastrophique, je me suis retrouvé dans une attitude autodestructrice et j’ai perdu des amis. J’avais beaucoup de connaissances, mais très peu d’amis», confie-t-il.

C’est là que l’adolescent part en quête d’une identité dans le but de trouver des repères existentiels. «À ce moment-là de ma vie, je suis parti à la recherche d’une <autre> famille, je me suis détaché de celle que j’avais et j’ai voulu vivre à l’image d’un rebelle. J’ai eu quelques fréquentations peu recommandables alors que, en même temps, je cherchais une place d’apprentissage dans les soins» explique Jean-Marc.

Le jeune homme ne trouve pas de lieu dans ce domaine qui soit prêt à le former. Il se dirige alors dans une autre filière, la restauration. Puis, par la suite, il travaillera dans de nombreux domaines. Il se confronte au monde du travail où les sentiments n’ont pas leur place. «Dans le monde professionnel, je me suis souvent senti mal car je n’osais pas m’affirmer, ni prendre d’initiatives; j’avais trop de soucis en tête. Aujourd’hui, je pense qu’il est nécessaire de prendre soin de soi avant de pouvoir être efficace dans son travail», commente-il. Vient alors une instabilité constante durant cette période de sa vie: incapacité à tenir un emploi, à être ponctuel ou encore de se gérer financièrement.

Un acte d’amour

Maintenant, avec du recul, cette crise existentielle, il la décrit comme une recherche nécessaire de ses peurs ou angoisses afin d’y trouver des solutions. Est-ce que l’abandon vécu au tout début de sa vie a été le déclencheur de cet engrenage? «L’abandon, oui, c’est une crainte. Abandonner, c’est laisser une personne livrée à elle-même. C’est un geste qui dans l’acte peut être très violent et paradoxalement, cela peut aussi être un acte d’amour. Et en quelque sorte, j’ai décidé que dans mon cas, c’était un acte d’amour. Car si j’avais dû vivre dans cette pensée, il n’était pas possible d’espérer un jour mener une vie stable sur le plan social et professionnel», explique-t-il.

Pour Jean-Marc, cet événement marquant arrivé très tôt dans sa vie a tracé beaucoup de ses expériences. Si aujourd’hui, il a compris énormément de choses sur son fonctionnement en tant qu’être humain, il est très clairvoyant sur le chemin parcouru. Il lui a fallu trouver une grande force intérieure pour apprendre à accueillir la tristesse qu’il ressentait. Dans son cas, cette tristesse a pu revêtir différentes formes plus ou moins violentes. «Je ne pense pas qu’on guérisse du traumatisme de l’abandon, mais plutôt qu’on apprend à vivre avec. Il faut tenter de pardonner l’acte d’abandon et ses auteurs, mais également de se pardonner soi-même d’avoir pu se maltraiter avec énormément de négativité», ajoute-t-il.

Le rebelle apaisé

L’état d’instabilité que Jean-Marc connaît entre ses 14 et 17 ans l’entraîne dans un tourbillon infernal. Il rejette totalement sa famille adoptive et n’accepte pas son aide. Entre pensées noires et l’abus de drogues de toutes sortes, le jeune ado expérimente la dépression. Un engrenage autodestructeur qui va lui faire perdre sa place d’apprentissage, le seul lien le maintenant encore un peu dans une «normalité» qui n’était pas marginale de la société. «Je ressentais de la haine par rapport à mon incompréhension de ma vie sur Terre, j’ai tenté de me suicider. Et je me suis retrouvé dans un hôpital psychiatrique à Neuchâtel», témoigne-t-il.

Cette première institution qu’il fréquente ouvre la voie à un plus grand nombre d’entre elles: l’établissement fermé pour mineurs à Valmont, un établissement pénitentiaire pour mineurs à Genève appelé La Clairière, un autre à Prêles durant deux ans et demi, puis à La Chaux-de-Fonds, Bienne, Fribourg et Gorgier. Connu des services carcéraux, Jean-Marc a passé plusieurs «petits séjours en détention provisoire ou en garde à vue dans différents postes de police suisses».

Malgré ce parcours de vie tourmenté, Jean-Marc ne regrette rien: «j’ai le sentiment que tous les événements qui se sont passés depuis ma naissance n’ont pas eu lieu pour rien. Dans ma recherche identitaire, je voulais savoir pourquoi, je voulais connaître les détails de ce qui m’était arrivé.» Si aujourd’hui, l’homme qu’il est devenu est beaucoup moins tourmenté, c’est parce qu’il a réussi à s’adopter lui-même dans son intégrité et à donner un sens à son existence. «Mon chemin spirituel et mes croyances actuelles m’ont permis de m’accrocher et d’adopter une nouvelle philosophie de vie qui me donne l’envie de vivre pleinement et non de me plaindre» ajoute-t-il avec joie.

Réalisation

Je m’interroge sur le regard que Jean-Marc pose actuellement sur ce qu’a été sa vie. Il me dit qu’il n’y changerait rien et que ça lui donne du baume au cœur de pouvoir apprendre à expérimenter de nouvelles choses alors inconnues pour lui. «Tout le côté négatif, je l’ai assez exploré. Je connais ma part de sombre. Maintenant, j’aime ma part de lumière. Je sais qui je suis, j’ai arrêté ma recherche et j’ai confiance en moi. En plus, je prends vraiment conscience de ce que je possède et je découvre mes ressources.»

Pour lui, c’est un désespoir très profond qui est à l’origine des expérimentations extrêmes qu’il a vécues. «L’impression d’être au fond du trou, de me dire que je n’aurais peut-être jamais de repères ou que je ne retrouverais jamais ma mère. Le fait de ne pas savoir qui j’étais, d’évoluer dans l’ignorance de la raison de mon existence et par conséquent d’avoir aucune idée de comment vivre et grandir. Toutes ces pensées, qui m’ont longtemps habité, se sont exprimées en tristesse, en haine et en colère», explique-t-il.

À l’époque, Jean-Marc se questionnait au sujet de sa maman biologique et de sa conception. Il dit que la difficulté, c’est que le fait de ne pas connaître son origine laisse la porte ouverte à tellement de possibilités que les différents scénarios font peur. Et si j’étais le fruit d’un viol? Est-ce qu’on m’a aimé lorsque j’étais dans le ventre? Lors de notre rencontre, Jean-Marc me confie que cela fait trois ans qu’il se concentre sur lui et qu’il réalise une grande introspection intérieure.

Un homme qui s’accepte

«Je suis resté dans l’ombre presque 25 ans. Mais depuis que j’ai fêté mes 23 ans, je me consacre à mon cheminement personnel et cela fait trois ans que je me découvre vraiment. J’essaie d’exploiter mes ressources intérieures au mieux. Au final, je ne suis pas une personne triste. Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’énergie à donner», sourit-il. À 30 ans, il dit qu’il n’a pas de CFC et que, finalement, il n’a pas grand-chose de matériel, mais qu’il possède une tranquillité d’esprit qui le satisfait. Pour Jean-Marc qui croit à une énergie plus grande qui lie chaque chose dans l’Univers, cela a été salvateur de pouvoir prendre ce temps afin d’accueillir sa tristesse et tout ce qui n’allait pas.

Au travers de l’écriture, de la photographie, de randonnées et de la guitare, il réussit à laisser s’exprimer sa part artistique; une véritable échappatoire de la pression de la société pour lui.

Epilogue

«Si toutes les facettes du côté latin viennent de la Colombie et que je n’y ai pas vraiment accès, je les vis quand même ici. J’ose dire que je suis content de mes origines latines aujourd’hui et, d’ailleurs, je me réjouis de parler l’espagnol!» (Rires) Aujourd’hui, Jean-Marc est dans une démarche plus douce envers lui-même et d’acceptation de soi. « J’espère me découvrir encore au travers d’expériences de vie, d’échanges et de partages.» Selon lui, il est possible pour chacun de trouver en soi, une solution à ses problèmes. Comme quoi, parfois dans la vie, les détours sont importants pour arriver à une certaine paix intérieure.

Questions tac au tac

Si tu étais un des quatre éléments, tu serais…
Comment répondre?(Rires)Je dirais le vent, parce qu’il est insaisissable et nomade comme moi.
Si tu devais expliquer la spiritualité en trois mots, lesquels utiliserais-tu?
Introspection, acceptation, pardon.
Une phrase qui résume bien ta façon d’aborder la vie?
Je boulverse ta vie pour te faire bouger… pas pour t’arrêter. L’univers
Ton plaisir gourmand, c’est… les milles-feuilles bien sûr!
La Suisse pour toi, c’est… compliqué parfois pour moi, de belles randonnées et aussi de belles personnes.
La Colombie, ça représente… mes racines, la joie de vivre, une faune et une flore incroyable.
Ton animal totem, c’est… je le cherche encore! (Rires)Il ne veut pas encore se montrer de façon précise…

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Photo de couverture Lory Baridon
Texte Laetizia Barreto

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