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Muhammad, 21 ans, a trouvé la paix en Suisse

02.04.2020
par Laetizia Barreto

Muhammad Qasimi a 17 ans lorsqu’il arrive en train et en première classe à Zürich. Après un long périple, il se retrouve réfugié dans un pays qu’il a maintes fois rêvé. Portrait d’un jeune homme au parcours de vie atypique.

Un jeune homme au regard pétillant prend place dans un petit café de la rue du Seyon, à Neuchâtel. Son pull rouge vif fait ressortir son teint hâlé. Il est grand, noiraud et arbore un sourire généreux. Muhammad a 21 ans et cela fait bientôt cinq ans qu’il est arrivé dans notre pays. À l’âge de six ans, il doit quitter son pays d’origine, l’Afghanistan, pour des raisons politiques. Son père est la cible de menaces de la part des Talibans qui sévissent fortement en Afghanistan depuis les années 90. Le papa de Muhammad avait travaillé, bien des années auparavant, pour l’armée iranienne et est considéré comme un traître par le mouvement fondamentaliste islamiste. Lui et sa famille trouvent alors refuge en Iran. Muhammad n’a plus aucun souvenir de l’Afghanistan, mais se rappelle bien l’Iran, qu’il résume en une expérience nuancée entre positif et négatif.

Se sentir étranger chez le voisin

Muhammad se décrit comme une personne ouverte et qui aide volontiers les gens dans le besoin. Ce trait de caractère s’est accentué par son expérience de vie: il a grandi en Iran, en tant que réfugié et sans papiers. À son arrivée, le petit garçon âgé de six ans a beau parler la même langue que la population locale, le persan; son accent trahit son origine afghane. «J’ai vraiment souffert de racisme en Iran. Je me souviens d’un épisode où je marchais dans la rue, j’étais petit et trois mecs plus âgés que moi ont commencé à me donner des coups. Ils m’ont frappé juste parce que j’étais Afghan», raconte-t-il. Pour le jeune homme, même si la communication était aisée, il était difficile de créer des liens d’amitié.

Cette nouvelle vie n’est pas des plus simples, pour régulariser leur situation et obtenir des papiers iraniens, il aurait fallu payer beaucoup d’argent à l’Etat. Mais Muhammad perd son papa alors qu’il n’a que douze ans. La situation financière de la famille se complique et le jeune adolescent décide d’arrêter l’école et de chercher du travail. «Ma mère ne m’a rien demandé, mais j’avais le sentiment que c’était ma responsabilité, en tant qu’homme de la famille, d’aider au mieux et j’ai enchaîné plein de petits boulots», raconte le jeune homme. Motivé à soutenir sa mère et sa sœur, le garçon ambitieux œuvre dans divers secteurs, la construction, la restauration et même la vente.

Petits boulots et arrestation

Il est obligé de changer régulièrement de lieu de travail, car il est dans l’illégalité et vit dans la peur constante de se faire contrôler par la police. C’est lors d’une arrestation qu’il prend la décision de quitter l’Iran. «J’avais 15 ans lorsqu’un policier m’a arrêté. À ce moment, je travaillais dans un magasin, un homme en uniforme est entré et il s’est dirigé directement vers moi. Il m’a demandé mes papiers, je lui ai répondu que je ne les avais pas sur moi», confie Muhammad.

Le fonctionnaire l’embarque alors au poste de police. Il est autorisé à appeler sa mère puisqu’il est mineur, puis il joint également son patron. Les deux sont venus parler avec les forces de l’ordre pour les convaincre de laisser partir Muhammad. Finalement son employeur paie un pot-de-vin au policier et le jeune garçon est relâché sans amende, ni expulsion. «Je pense que quelqu’un m’a dénoncé. J’étais reconnaissant que mon patron ait payé l’officier, mais après, j’ai compris que ça n’avait pas été par gentillesse. J’ai travaillé un mois pour lui sans qu’il ne me verse de salaire par la suite». Pendant une année, Muhammad supporte encore une situation instable et d’insécurité, puis il décide de partir.

Un périple à travers l’Europe

Depuis tout petit, Muhammad est fasciné par la Suisse. Il fait des recherches sur Internet et se renseigne sur le pays, la Croix-Rouge, la propreté, les opportunités et les montagnes. À 16 ans, il parle à sa mère de son projet de tenter sa chance ailleurs, si possible en Suisse. Elle l’accompagne lorsqu’il va discuter avec des passeurs. Ces derniers lui déconseillent de partir seul, car comme c’est un jeune homme, il y a de fortes chances qu’il soit détenu aux frontières. La maman décide alors d’accompagner son fils et d’emmener aussi sa fille dans ce périple. Grâce à l’aide d’un de leurs rares amis iraniens, la famille Qasimi entreprend un voyage qui durera plus de 45 jours.

Au premier jour de leur départ, ils doivent marcher dix heures pour traverser la frontière avec la Turquie. Puis, leur aventure continue en mer et sur les routes. «Pour passer de la Turquie à la Grèce, on a pris un bateau qui était conçu pour 14 passagers, sauf qu’on était 44 dessus. Heureusement personne n’est tombé. Parce qu’on en a vu des embarcations retournées», explique Muhammad. Une fois arrivée en Europe, la famille rejoint de nombreux autres migrants et marche pendant trois jours et deux nuits sans répit, ni voiture qui s’arrête lorsqu’elle essaie l’auto-stop. Les autorités grecques avaient interdit aux habitants de transporter les réfugiés.

«C’est dur, mais ça m’a aidé d’être avec des gens qui vivaient la même chose que moi. Et parce que tout le monde avait cet objectif d’arriver à une vie meilleure: tu te concentres et tu marches. Au final, on était un peu comme un grand groupe qui participait à un pic-nic», raconte Muhammad. Sur la route, ils traversent beaucoup de champs agricoles qui les aident à se nourrir, de tomates, d’oignons et de fruits. Pour rejoindre Athènes, il faut prendre un autre bateau. Le jeune homme se remémore la situation comme chaotique, «pour moi, à ce moment-là, je suis entrain de vivre la troisième guerre mondiale». Dans le port où il se trouve alors, des milliers de personnes voulaient embarquer pour rejoindre le Nord.

Révolte, séparation et réunion

Plus tard, face aux frontières fermées de la Hongrie, une mini révolte éclate. Le groupe avec qui Muhammad voyage se disperse en plusieurs fractions. Tout le monde doit emprunter un autre itinéraire. À ce moment-là, le jeune homme perd sa sœur et sa maman dans les mouvements de foule. Il continue son chemin avec cinq autres afghans. Néamoins, grâce à un puissant réseau de communication mis en place sur WhatssApp, il localise rapidement sa famille. Ensemble, ils décident de se rejoindre à leur destination finale, la Suisse. Muhammad arrive un jour après sa maman et sa sœur. Il vient de traverser la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et un bout de l’Allemagne et arrive enfin à Zürich.

C’est dur, mais ça m’a aidé d’être avec des gens qui vivaient la même chose que moi. Et parce que tout le monde avait cet objectif d’arriver à une vie meilleure: tu te concentres et tu marches

Les premières impressions de la Suisse

«Je suis arrivé à Zürich en train, dans un wagon première classe par erreur. Et le contrôleur m’a fait comprendre que je m’étais trompé, mais il ne m’a pas demandé une pièce d’identité. Peut-être qu’il avait eu une longue journée et qu’il s’est dit, <encore un>», plaisante Muhammad. Malgré son statut de réfugié, le jeune homme cultive un humour qu’il juge important pour survivre à tout ce drame. Après avoir retrouvé sa mère et sa soeur, ils sont redirigés vers le centre de requérants d’asile de Kreuzlingen. Quatre jours plus tard, l’autorité cantonale les envoie à Neuchâtel, dans un nouvel établissement spécialisé, à Fontainemelon.

«Lorsque j’ai appris que l’on parlait français à Neuchâtel, j’ai été super heureux. J’ai toujours aimé cette langue et j’avais très envie de l’apprendre», déclare ce poète dans l’âme. «Je me suis senti comme un oiseau libéré de sa cage. En Iran, j’avais toujours peur de me faire prendre par la police, mais arrivé en Suisse, c’était fini, je n’avais plus peur». Le jeune homme se rappelle le jour d’après son arrivée, il n’y croyait pas. Il avait entendu tellement d’histoires de gens morts sur la route. Son ton est reconnaissant. Dans le nouveau centre, il fait la connaissance d’autres hommes afghans avec qui il se lie d’amitié. À eux cinq, ils arrivent à traduire quelques phrases de farsi (le persan) à l’anglais avec les personnes qui les encadrent.

Le rêve de devenir une star du foot

Très motivé à apprendre le français, Muhammad s’applique lors des cours dispensés au centre, deux fois par semaine. Assez vite, il fait des progrès et s’exprime de mieux en mieux, car il a la chance de rencontrer Madame Sahar, sa première professeure de français. Elle fait partie de l’Association Papillon, qui propose des activités socio-culturelles aux migrants. Il y a une autre femme, iranienne également, Madame Soha, de la même organisation qui aide Muhammad: «ce sont devenues de très bonnes amies, elles ont toujours été présentes quand j’avais besoin d’aide, je les considère comme deux anges».

Secrètement, il rêve de devenir une star de football, alors il se débrouille pour jouer, s’entraîner et trouver une équipe. En bonne condition physique et persévérant, le sportif a l’opportunité de se rendre à Barcelone avec son club. Mais ce doux rêveur n’atteint pas le niveau qu’il espère. Il lui faut donc trouver un plan B: «j’étais triste que ça n’ait pas fonctionné, parce que j’ai tout donné, mais au moins j’ai essayé», affirme-t-il.

Toujours positif, il pense alors à son avenir. Muhammad redéfinit ses objectifs et espère pouvoir gagner sa vie comme il faut. Depuis trois ans, il suit des cours au centre professionnel du littoral neuchâtelois (CPLN). D’abord, des cours intensifs de français, puis des rattrapages dans toutes les matières. En deuxième année, il doit choisir un domaine professionnel dans lequel faire un stage de longue durée, il opte pour la mécanique. Après six mois, Muhammad n’est pas convaincu par son choix, il décide de se réorienter dans la pharmacie.

Maintenant et plus tard

Aujourd’hui, Muhammad suit un préapprentissage comme assistant en pharmacie. «J’aime bien la formation, c’est très intéressant. On apprend à connaître le fonctionnement du corps, un peu comme un médecin», déclare-t-il enthousiaste. Cependant, son statut légal le limite dans beaucoup d’aspects, comme sa mère, il est détenteur d’un permis F. C’est-à-dire qu’il a le statut de réfugié, mais qu’on ne lui accorde pas l’asile. En quelque sorte, Muhammad est admis provisoirement en Suisse tant que son pays d’origine est en situation de guerre. Pourtant, sa sœur, elle, a obtenu un permis B, qui correspond à une autorisation de séjour. Il vit au jour le jour, mais tente de faire toutes les démarches nécessaires pour rester avec sa famille.

Les procédures administratives sont assez longues, mais le jeune homme prend son mal en patience, en espérant tout de même pouvoir rester près de sa famille, en Suisse. Son statut lui empêche également de faire d’autres activités, tel que voyager ou souscrire à un abonnement téléphonique. Par ailleurs, les démarches pour se former et travailler sont également plus restrictives et compliquées. Cependant, Muhammad a une personnalité de battant et n’abandonne pas sa motivation à toute épreuve. Il a pour espoir de terminer un CFC comme assistant pharmacien. Dans un futur idéal, il imagine travailler à 70 pourcent dans une pharmacie et à côté, ouvrir un petit restaurant de spécialités afghanes.

Trois questions spontanées à Muhammad

Plutôt chocolat ou fromage? Chocolat!

Si tu pouvais choisir d’habiter dans n’importe quelle ville de Suisse, laquelle choisirais-tu?
Neuchâtel, à 100%!

Tu connais une expression suisse qui te fait rire ou que tu utilises beaucoup?
Avoir des yeux plus grands que le ventre.

Texte Laetizia Barreto

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