adoption adoption: notre fils c’est «notre rayon de soleil»
Enfants Famille Interview

Adoption: notre fils c’est «notre rayon de soleil»

25.03.2020
par Andrea Tarantini

Même lorsque les problèmes liés à son adoption étaient nombreux, les parents de Robin n’ont jamais perdu espoir. Ils voulaient adopter un enfant et ils y sont parvenus. Voici l’histoire de l’adoption de Robin.

Madame M., quand et pourquoi avez-vous décidé d’adopter un enfant? 

Quand nous nous sommes mariés, mon mari et moi voulions déjà adopter un enfant. Ma famille a toujours été proche du thème de l’adoption. Grâce à l’association Enfance et Foyers, nous avons pu nous occuper d’un garçon français de six ans, Jean-Michel. Il vivait dans un orphelinat mais il venait chez nous deux à trois fois par année. Maintenant il est marié et a un enfant de 20 ans, mais on se voit et on s’appelle tous les dimanches. Ensuite, nous nous sommes occupés de Fatumata, une petite fille de quatre ans qui venait du Mali. Nous avons gardé contact avec elle aussi. En revanche, avant l’arrivée de notre fils Robin, nous avons proposé à Fatumata de passer les vacances chez des amis car nous devions nous organiser. Avec l’arrivée d’un bébé, les choses allaient changer.

Un enfant ne s’achète pas, ce n’est pas une marchandise.

Quelles ont été vos démarches? Comment se sont-elles passées?

C’était très rapide. Nous travaillions comme bénévoles pour Terre des Hommes et connaissions un monsieur de l’orphelinat de Casablanca. Nous lui avons fait part de notre envie d’adopter un enfant. Il nous a dit qu’il aurait pu nous aider, mais d’autres soutenaient que c’était impossible d’adopter un enfant dans un pays musulman. Moi je suis têtue, quand on me dit qu’une chose ne peut pas se faire, je fais de tout pour montrer le contraire et pour obtenir ce que je veux (rires). Je n’ai donc pas baissé les bras.

Nous avons contacté une assistante sociale qui travaillait dans un orphelinat à Rabat. Nous lui avons expliqué que nous n’aurions rien payé au Maroc car nous nous étions déjà acquittés des frais administratifs en Suisse. Un enfant ne s’achète pas, ce n’est pas une marchandise. Elle nous a dit qu’ils avaient trois enfants qui devaient déménager dans un autre orphelinat avant de s’installer chez des paysans à l’âge de cinq ans. Si les enfants étaient forts, les paysans les auraient gardés, mais ils auraient eu la vie dure. Dans le cas contraire, ils auraient été remis à la rue. C’était horrible à imaginer! Nous avons donc tout de suite accepté d’adopter un de ces enfants.

Aviez-vous une idée du type d’adoption que vous vouliez (pays d’origine, fille ou garçon, âge)?

Non pas du tout. Nous voulions juste adopter un enfant et l’aimer. Nous ne voulions pas «sélectionner» l’enfant. Au final, c’était un petit garçon et nous étions contents. On nous a proposé de prendre le plus âgé des trois. Robin avait 27 mois quand il est arrivé en Suisse. Nous étions tellement heureux.

Est-ce que des personnes vous ont déjà posé des questions intrusives quant à l’adoption de Robin? 

Non, nous avons tout de suite dit à toute la famille qu’un petit garçon allait arriver, qu’il venait du Maroc et qu’il n’avait jamais vu ses parents biologiques. Dès son arrivée, tout le monde l’a vraiment bien accueilli.

Racontez-nous l’arrivée de Robin dans votre famille.

Huit mois après avoir commencé à s’occuper des documents, Robin est arrivé en Suisse. C’était en plein Ramadan. Un jour, nous étions partis en camping avec notre grande famille et nos amis. L’orphelinat m’a appelée en me disant qu’un miracle avait eu lieu: ils avaient envoyé un porteur au Maroc uniquement pour les documents de Robin. C’était plus rapide.

Nous avons ensuite contacté une femme qui travaillait à l’ambassade suisse au Maroc et qui aidait aussi dans des orphelinats. Elle nous a proposé de prendre Robin et de nous l’amener elle-même. Il y avait seulement un problème: nous nous n’étions pas encore convertis à l’Islam et c’était obligatoire pour adopter un enfant qui venait d’un pays musulman. Nous avons donc fait le nécessaire et, le même jour, dans l’après-midi, le document manquant était au Maroc.

Comment vous êtes-vous sentie lors de son arrivée?

Nous ne savions plus comment nous nous appelions. Tout le monde était stressé et heureux en même temps. Il nous fallait acheter des habits pour Robin car il n’aurait rien ramené du Maroc. Nous avons acheté des vêtements pour les autres enfants aussi et les avons envoyés à l’orphelinat.

Quand le grand jour est arrivé, l’avion avait 45 minutes de retard. Puis, tout à un coup, nous avons vu une femme avec un enfant. C’était Robin, il suçait son pouce. Il était tellement chou mais il est arrivé dans un état terrible: il avait même fait toutes ses commissions dans la couche (rires). Il en fallut du temps, mais finalement nous avons pu le serrer dans nos bras.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, il souriait mais il ne parlait pas du tout. Il ne réagissait ni à la vue des montagnes, ni à celle des vaches. Il ne savait pas parler. Le soir, toute la famille s’est réunie pour le souper. J’étais tellement émue. Dans la maison, Robin a vu un miroir, il n’en avait jamais vu avant. Il rigolait tellement en se regardant. On a remarqué qu’il avait peur de l’eau. Il pleurait dès que nous ouvrions un robinet. Nous avons dû tout lui apprendre. Mais il y avait un mot qu’il a tout de suite appris: chocolat (rires).

Comment ont réagi vos deux filles?

Toutes les deux étaient très contentes d’avoir un petit frère. Elles le promenaient partout avec leurs copines et ne le laissaient pas tranquille deux minutes. Elles m’aidaient même à lui donner le bain ou à lui préparer à manger. Toutes les deux ont tout de suite bien assumé leur rôle de grandes sœurs, ça leur tenait à cœur. Après, entre eux, il n’y a jamais eu de problèmes.

Robin a-t-il toujours su qu’il avait été adopté? 

Oui, il l’a toujours su. Ma sœur lui a tout de suite acheté un petit avion et nous avions même accroché un poster qui représentait un avion dans sa chambre. D’un côté du poster il y avait notre photo et, de l’autre, la sienne. Il a tout de suite compris et nous avons toujours parlé librement de son adoption. Nous avons voulu tout lui raconter tout de suite afin qu’il ne soit pas déboussolé.

Sa maman devait savoir que les sœurs allaient le trouver […] et que ça allait être notre rayon de soleil, notre plus beau cadeau.

Savez-vous pourquoi ses parents biologiques l’ont éloigné? 

Non, il n’avait même pas d’acte de naissance original. Nous avons seulement lu un document qui déclarait que «le 8 février 1989, Madame X [avait] mis au monde un enfant de sexe de masculin». Nous ne pouvions rien savoir. D’ailleurs, Robin ne nous a jamais posé la question. Il a toujours su qu’il était dans le ventre d’une autre maman qui ne pouvait pas le garder. Il n’y avait pas de papa et cette maman ne l’a pas vraiment abandonné. Elle l’a laissé sur un rocher après sa naissance car elle savait que des bonnes sœurs se promenaient dans les alentours. Sa maman devait savoir que les sœurs allaient le trouver, le prendre et que ça allait être notre rayon de soleil, notre plus beau cadeau. Nous avons toujours été ouverts à la discussion, mais Robin ne voulait pas en parler. Je pense que ça ne doit pas être facile parfois de se regarder dans le miroir et de se demander, par exemple, «à qui je ressemble?».

Robin a-t-il voulu approcher la culture marocaine?

À neuf ans nous lui avons proposé de partir au Maroc pour son anniversaire. Il nous a répondu qu’il préférait un vélo. Il ne voulait pas découvrir sa culture d’origine. En revanche, à 18 ans, il nous a dit qu’il voulait partir au Maroc. C’était formidable!

Vue du port de Rabat, Maroc

Mon mari et une de mes filles sont partis avec lui à Skhirat, au bord de la mer. Ils y sont restés une semaine et ils ont aussi visité Rabat et l’orphelinat où se trouvait Robin avant l’adoption. Mais il n’a pas bien réagi à cette visite. Mon fils est devenu blanc et a eu besoin de prendre l’air. Après leur retour, Robin n’a pas voulu parler de cette expérience. Nous lui avons donc dit que nous étions là pour lui s’il voulait en reparler. J’ai quand même demandé à son meilleur ami s’il lui avait parlé du Maroc et il m’a répondu que Robin n’a jamais voulu en parler.

L’année passée, sa copine m’a annoncé qu’ils allaient partir au Maroc ensemble. J’étais contente! Ils y sont restés une semaine et ils ont pu visiter de nouveau l’orphelinat. L’extérieur comme l’intérieur avait été modernisé, peint et changé. Robin n’a pas reconnu l’endroit. Il n’y avait plus les mêmes photos sur les murs. Il a vraiment aimé son voyage cette fois. Ça lui a fait du bien de repartir. Il a même pensé à mettre de l’argent de côté pour acheter une maison là-bas (rires).

Comment s’est passée l’enfance de votre fils ?

Au début c’était difficile. Ce n’était plus un bébé, mais nous lui avons vraiment tout appris: à parler, manger, marcher, aller au pot et à ne pas faire pipi au lit. Il ne voulait jamais dormir tout seul, il devait rester toujours avec quelqu’un car il n’avait pas l’habitude de rester seul. Mais nous avons fait tout ça naturellement. Ce n’est pas parce qu’un enfant est adopté qu’il faut agir différemment à son égard.

A l’école, il montrait qu’il avait une bonne mémoire. Il a passé tous les cours même s’il avait des difficultés en mathématiques et en français. Mais il faisait le pitre en classe. Lorsqu’il a commencé l’école secondaire, un ami nous a conseillé de l’inscrire dans un pensionnat. Une semaine après son début dans cette nouvelle école, nous avons reçu un appel de la direction. Nous avons tout de suite pensé qu’il avait fait des bêtises. Mais non! On nous a dit qu’il fallait se rendre chez un spécialiste: Robin était dyslexique à 45 pour cent. Il avait besoin de stratégies pour apprendre. Après ce diagnostic, il a très bien suivi ses cours et il a même commencé l’accordéon et le skateur-hockey.

En tant qu’enfant adopté, votre fils a-t-il passé de mauvais moments?

Il a rencontré des problèmes à cause de sa dyslexie, mais il n’a jamais vraiment eu des soucis concernant son pays d’origine, sa nationalité ou sa couleur de peau. Il n’a été sujet que d’un petit épisode de racisme à l’école. Un jour Robin est rentré de l’école et il m’a raconté qu’une fille de sa classe lui a dit qu’il «était chocolat». J’ai discuté avec le père de cette petite fille et la maîtresse a ensuite expliqué aux enfants qu’il y a différents pays et différentes caractéristiques selon les pays. Tout s’est donc résolu. La fille est devenue sa meilleure amie et même sa chérie après.

Lors de disputes par exemple, votre fils vous a-t-il reproché de ne pas le traiter comme votre enfant ou de ne pas être sa mère biologique? 

Non, pas du tout. Nous n’avons jamais eu des problèmes de ce genre. Nous avons toujours été très proches, et nous le sommes même aujourd’hui. Des fois, Robin reste dormir chez nous après une soirée qui finit tard. Avant de se coucher, il vient toujours m’embrasser et va aussi embrasser mon mari. C’est une chose que mes deux filles n’ont jamais fait. Nous sommes vraiment liés et n’avons jamais vraiment eu de disputes. Robin n’a jamais été un jeune à problèmes.

Lorsqu’on adopte un enfant, il faut laisser de côté les préjugés.

Que pense Robin de l’adoption?

À Noël 2018, sa copine m’a annoncé qu’elle ne prenait plus la pilule. Elle n’est pas enceinte, mais ils réfléchissent au fait d’avoir un enfant. Quelques jours plus tard, elle m’a dit que Robin voulait adopter un enfant. Je suis tombée des nues: il n’avait pas eu une mauvaise expérience étant donné qu’il y réfléchissait.

Je lui ai expliqué qu’il fallait être deux pour adopter un enfant car après il ne faut pas faire de différences avec ses propres enfants. Lorsqu’on adopte un enfant, il faut laisser de côté les préjugés. Ce n’est pas parce qu’un enfant est adopté qu’il sera comme-ci ou comme cela. Je lui ai donc conseillé d’être sincère et de le dire à Robin si elle n’était pas prête à adopter. Il y a aussi d’autres solutions, comme l’adoption à distance ou le soutien d’un orphelinat. Sa copine m’a répondu qu’elle souhaitait aussi adopter un enfant. Mais aujourd’hui les démarches pour l’adoption sont difficiles et coûteuses.

Quelles sont les choses les plus importantes que vous avez appris à votre fils?

Je ne pense pas avoir appris des choses à mes enfants, je pense qu’ils ont tiré des leçons tout seuls. Mon mari et moi leur avons donné une vie simple et leur avons montré qu’il est possible de bien vivre simplement. Nous avons toujours vécu en campagne et quand nous sommes partis en ville, j’ai eu l’impression de vivre une deuxième vie. Nous sommes des personnes simples avec la tête sur les épaules. J’ai toujours répété à mes enfants qu’ils devaient apprendre à se débrouiller pour avoir ce qu’ils désirent. Ils ont toujours fait des petits travaux d’été et des activités extrascolaires. Robin par exemple a travaillé comme arbitre novice. Nous n’avons jamais fait de différences entre nos enfants, entre les deux sexes: ils ont tous dû se débrouiller.

Que fait Robin aujourd’hui?

Il a fait beaucoup de choses. Il aimait jouer de l’accordéon, est devenu arbitre de hockey puis cuisinier. Ensuite, il s’est lancé dans les études et a fait des apprentissages. La cuisine était sa passion, mais les horaires de travail étaient très difficiles. C’est pour cette raison qu’il a voulu changer de voie à 25 ans. Il s’est lancé dans une carrière de mécanicien en faisant un apprentissage, puis il s’est spécialisé comme mécatronicien. Il est vraiment occupé. Maintenant il est en ménage avec sa copine et ils veulent construire une maison et une famille.

Interview Andrea Tarantini

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