manger. interview avec anne sophie pic
Interview Gastronomie

«Manger sainement signifie manger en pleine conscience»

15.12.2021
par Andrea Tarantini

Respectueuse, sensible et curieuse, c’est ainsi que se décrit Anne-Sophie Pic, propriétaire du restaurant gastronomique et familial la Maison Pic à Valence (France), du restaurant Anne-Sophie Pic au Beau-Rivage Palace à Lausanne et des restaurants La Dame De Pic de Paris, Londres, Singapour et Megève. Dans l’interview qui suit, la cheffe la plus étoilée au monde nous explique comment elle crée un plat, ce qu’est «l’imprégnation absolue» et nous donne des conseils pour préparer des recettes gourmandes pour manger sainement.

Anne-Sophie Pic, quand et pourquoi vous êtes-vous lancée dans le monde de la gastronomie?

La cuisine a toujours fait partie de mon univers et de mon quotidien. Enfant, ce monde me fascinait, même si je ne savais pas encore s’il s’agissait d’une passion. Pourtant, je m’en suis éloignée quand j’étais jeune. Néanmoins, à la fin de mes études, lors de mon stage à Moët & Chandon, j’ai eu l’opportunité de me rendre aux États-Unis et en Asie. Cette expérience ainsi que mon maître de stage, qui était mon mentor, m’ont fait reprendre conscience de ce que ce métier représente. J’ai donc voulu m’en rapprocher de nouveau et apprendre la cuisine auprès de mon père.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail?

C’est vraiment la création qui m’anime le plus. Il y a aussi la relation avec les clients, les équipes ou les producteurs. Je suis par ailleurs une amoureuse des ingrédients, j’adore jouer avec différents produits et en découvrir de nouveaux. J’aime aussi progresser avec les membres de mes équipes et partager avec eux ces moments.

Qu’est-ce qui caractérise votre cuisine?

Au cœur de ma cuisine se trouve l’imprégnation, une philosophie qui me caractérise depuis le début de ma carrière. Ce n’est pas qu’un terme technique, mais une alchimie contemporaine qui rend possible l’art culinaire. Il s’agit en fait de l’art de la métamorphose en harmonie. Plus précisément, cela signifie créer des fils invisibles entre les ingrédients, autrement dit des accords qui permettent aux arômes des produits de s’épanouir. Plutôt que de maquiller le goût des produits, on les aide à se rencontrer en profondeur et à exposer la richesse des possibilités d’arômes et de saveurs. Ainsi, en utilisant l’eau, la fumée ou l’air, on habille les produits et on leur permet de révéler de nouvelles saveurs. Des techniques telles que l’infusion, la marinade, la cuisson à vapeur ou la maturation offrent un nouvel univers lorsqu’elles sont rassemblées sous l’idée de l’imprégnation.

«L’imprégnation absolue»: de quoi s’agit-il?

Au-delà de l’assiette, j’accorde aussi une grande importance aux associations avec les boissons et leurs saveurs. Cela fait deux ans que, avec Paz Levinson, la sommelière en chef du Groupe Pic, je travaille sur des accords entre mets et boissons non alcoolisées. Il s’agit là d’un nouveau défi qui crée de nouvelles ramifications dans le dialogue aromatique en cuisine. Le but ultime est de transformer le repas en un moment de symbiose absolu entre arômes et saveurs.

Derrière les fourneaux, quelle est l’importance de l’innovation pour vous?

L’innovation est au cœur de ma création! Pour moi, innover signifie pousser les limites de ses connaissances, parcourir des chemins inexploités, développer de nouvelles techniques, comme la fermentation par exemple, et les mettre au profit du goût pour créer de nouvelles associations de saveurs qui se caractérisent par une certaine légèreté.

En 2007, votre restaurant, la Maison Pic de Valence, a obtenu trois étoiles Michelin. Que représentent-elles à vos yeux? 

Elles sont pour moi la récompense qui suit de nombreuses années de travail. L’obtention de la nouvelle étoile s’inscrit dans un devoir de mémoire envers mon père et son travail. Elle implique une pression supplémentaire, mais elle va au-delà en m’apportant aussi une grande liberté. Je peux en effet aller encore plus loin dans l’audace.

Lorsque vous imaginez un plat, à quoi pensez-vous?

Je pense à l’émotion que ce plat va procurer. On crée toujours un plat pour les autres et il est donc clair que toute recette naît de la volonté de faire plaisir à la personne qui la déguste. Créer un nouveau plat signifie aussi pousser ses propres limites. C’est donc un véritable challenge pour la créativité et une aventure qui franchit les différentes étapes de création d’un plat, de la trame aromatique à la présentation, en passant par les textures et les couleurs.

Quel rôle joue l’intuition en cuisine?

L’intuition est majeure. Elle se construit au fil des expériences et des connaissances acquises, et c’est le moteur qui est à la source de mon travail.

Comment choisissez-vous vos ingrédients?

Je les choisis et ils me choisissent – cela relève aussi de l’intuition. Pour sélectionner les bons produits, il faut aller à l’encontre des producteurs, rechercher, découvrir et goûter des ingrédients inédits aux saveurs uniques. Bien évidemment, les produits simples sont aussi à la base de recettes extraordinaires, mais il est important d’aller au-delà et de trouver des ingrédients plus méconnus. Dernièrement, je me suis lancée dans une quête d’épices exotiques produites en France par exemple.

Quelles sont les nouvelles tendances alimentaires selon vous?

Il y en a beaucoup. Je ne cherche pas à être dans la tendance, je suis plutôt mon intuition. Néanmoins, les habitudes alimentaires sont plus importantes qu’elles ne l’étaient il y a une dizaine d’années et il est tout de même important de s’y adapter dans la mesure du possible. Par exemple, j’adore les protéines animales et je ne me lasse jamais de les cuisiner, mais j’aime également préparer les légumes. Ce n’est donc pas un problème pour moi de réaliser des menus végétariens, qui sont très demandés par mes clients. Dans tous les cas, ce qui importe ce sont les ingrédients qui doivent être d’une grande qualité.

Aujourd’hui, que signifie manger sainement?

Manger sainement signifie manger en pleine conscience. Il faut penser à la qualité des ingrédients, à leur disponibilité et à leur fraîcheur. Par exemple, dans l’hemisphère nord, on ne devrait pas manger de tomates en hiver. Cela parait évident aujourd’hui, mais il existe de nombreux ingrédients qui sont disponibles toute l’année. Il s’agit d’une question d’éducation: tant qu’il y aura des gens qui mangeront des tomates en hiver, on trouvera des tomates en décembre. La diversité des ingrédients importe aussi, non seulement au niveau des saveurs, mais aussi des couleurs. Il y a en effet des ingrédients qui sont bénéfiques pour le corps et des couleurs qui ont des propriétés particulières. J’ai tendance à penser que les ingrédients qui s’associent bien entre eux additionnent leurs qualités nutritionnelles.

Pouvez-vous nous donner quelques idées en matière de repas pour les fêtes?

Les techniques de cuisine que l’on peut utiliser chez soi sont nombreuses. Si l’on a un mortier par exemple, on peut associer quelques herbes et préparer des marinades. Je fais souvent des pâtes – comme des pâtes de curry – pour mariner les viandes et les poissons. Infuser le beurre est aussi une bonne idée qui permet de donner aux plats différentes saveurs. Si l’on prépare une volaille par exemple, on peut réaliser un beurre (100 gr) infusé à la truffe ou aux épices comme le safran (2 à 4 gr) – avec du sel –, et le répartir sous la peau de la volaille. On peut aussi utiliser les herbes du jardin pour aromatiser un poisson par exemple.

Le beurre baie rose et truffe melanosporum

Ingrédients

150 gr de beurre AOP
1,8 gr de baie rose en poudre
2 gr de truffe melanosporum
1 gr de sel fin

Préparation

À l’aide du batteur, fouettez le beurre jusqu’à ce qu’il devienne crémeux et blanc. Ajoutez la baie rose mixée et tamisée puis la truffe noire taillée en julienne ou bien râpée à la microplane et le sel fin. Laissez infuser 12 heures au frais.

Que conseillerez-vous aux personnes qui aimeraient se lancer dans le secteur de la gastronomie?

La gastronomie est un domaine vaste. Il faut donc bien choisir la ramification qui vous convient le plus. Il est aussi important d’être curieux et intuitif, de comprendre ce que recherchent les gens et comment on peut faire plaisir par la cuisine. Aujourd’hui, il faut se spécialiser, trouver son chemin, bien connaître son domaine, mettre en œuvre ses capacités et aller au bout de ses rêves, quitte à changer de voie par la suite si nécessaire.

Smart
fact

Anne-Sophie Pic en quelques mots…

Entre salé et sucré, je préfère… le salé.
Mon péché mignon est… le chocolat.
Pour moi, l’ingrédient le plus important en cuisine est… la passion.
L’ustensile de cuisine dont je ne peux pas me passer est… la cuillère, pour goûter.
La première recette que j’ai préparée était… une charlotte.
Les plats qui m’ont le plus marquée sont…
les plats terre mer de mon père.
Chaque année, à l’occasion des fêtes de fin d’année, je cuisine… un bon chapon!

Interview Andrea Tarantini 

Photo Jean-François Mallet

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