marie robert marie robert et sa recette du bonheur
Interview Lifestyle Gastronomie

Marie Robert et sa recette du bonheur

20.02.2020
par Andrea Tarantini

Recette proposée par ? 

MARIE ROBERT, une femme et une cheffe spontanée, généreuse et embêtante (rires).


Avant de commencer

La recette du bonheur dans la vie et en cuisine?

Je pense qu’on est heureux si on se fixe des objectifs et qu’on progresse pour les atteindre. Et en cuisine, il faut de la création. Ma cuisine est pétillante et spontanée.

INGREDIENTS

    • Existe-t-il, selon vous, une manière d’être en cuisine?Oui bien sûr: il faut être gourmande.
    • Quelles sont les qualités nécessaires, les ingrédients de base en cuisine?Je dirais qu’il y a deux ingrédients de base. Il faut de la rigueur et aussi aimer faire plaisir. Les deux sont nécessaires dans les mêmes quantités, un kilo et un kilo.
    • Qui faut-il être en cuisine?Il faut rester soi-même. Il y a des moments où il faut être plus sensible et d’autres où il faut être plus stricte. Mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est qu’un chef sans une brigade n’a rien non plus.

MATERIEL

  • Métaphoriquement, quels sont les outils dont il faut se doter en gastronomie?Patience, passion, créativité.
  • Littéralement, quel est votre ustensile de cuisine préféré?C’est ma pince, parce que je l’ai depuis l’apprentissage.
  • De quel type de personnes faut-il s’entourer?D’une brigade efficace mais solide mentalement surtout, c’est essentiel. Il s’agit d’un travail stressant quand même.
  • Comment encouragez-vous les jeunes?Je pense qu’il ne faut pas dégoûter les jeunes du métier dès leur arrivée.

En cuisine, il faut de la création. Ma cuisine est pétillante et spontanée.

Préparation

Quel est le point de départ d’un plat? 

Le produit : il doit être frais, de proximité et de saison.

Le plat doit-il être créé à l’image du chef? 

Oui, il faut qu’il ressemble à l’univers que j’ai envie de présenter aux clients.  Mes plats sont comme moi, un peu explosifs (rires). J’aime quand ça pétille, quand il y a de la couleur. Ils doivent être à l’image de ce que je suis.

C’est pour cette raison que vous avez opté, dans votre menu, pour un lien cheffe et plat par les images?

Oui tout à fait! Je pense que c’est aussi important. L’année dernière on a présenté cinq cartes de cinq couleurs différentes car pendant longtemps, à chaque fois que j’arrivais à table, on croyait que c’était Maïté (la restauratrice française qui animait France 3 des années 80 à 90), qui allait arriver (rires). Moi je pars du principe que tu peux être cuisinière et garder ta part de féminité. Que ça plaise ou que ça ne plaise pas, je voulais mettre en avant la femme.

Cette année, on a toujours cinq cartes mais on s’est inspirés du film Le cinquième élément. Nos cartes correspondent en effet aux cinq éléments. Actuellement on se concentre sur l’eau. On a donc tout décoré avec des éléments qui font référence à l’eau. Dans les plats, par exemple, on essaye de mettre des bulles, on travaille avec des algues. Et la prochaine carte ce sera la terre. Vous allez être surpris…

Les plats doivent-ils aussi être à l’image de la clientèle?

Bien sûr, je ne vais pas proposer quelque chose qui ne plaira pas à mes clients. Si moi j’aime ce que je suis en train de créer, je pourrai transmettre ce que je veux à mon client. Je suis cuisinière, mais avant tout, je suis patronne. Quand vous rentrez au Café Suisse tout fait partie d’une globalité: il y a le plat bien sûr, mais il y a aussi la décoration, l’accueil, la manière dont vous allez être servi. C’est tout un univers parce que le bonheur du client est important. Quand le client repart de chez moi, je veux qu’il ait la banane (rires).

D’où tirez-vous votre inspiration?

C’est la grande question à laquelle je n’ai jamais su répondre. Je dirais que je suis inspirée surtout quand je suis sous pression et que mon inspiration se trouve au fond de moi.

Un chef se forme par la théorie mais aussi par la pratique. Ces deux parties de sa formation sont-elles de même poids sur la balance?

C’est sûr! On a un métier qui est manuel, mais l’apprentissage est aussi important pour connaître les bases de la cuisine. Étant donnée la manualité exigée par le métier, il faut des gens avec de la jugeote et de la réactivité surtout.

Comment s’est construite la cheffe Marie Robert?

J’ai ouvert très jeune, à 21 ans. C’est aussi la maturité qui a fait de moi la cheffe que je suis devenue. D’ailleurs, quand on compare mes plats de dix ans en arrière et mes plats d’aujourd’hui, on croirait que ce n’est pas la même personne qui les a réalisés (rires).

Dans votre construction professionnelle, quel rôle joue l’attribution de l’étoile Michelin et l’intitulé «cuisinière de l’année» que vous a attribué le prestigieux GaultMillau? 

Rien n’est acquis. Ces reconnaissances m’ont donné envie de faire encore mieux, de me fixer des objectifs encore plus grands. On doit continuer à travailler comme d’habitude: on a deux marathons par jour. Et puis, j’ai envie de faire plus pour mes clients, je veux voir jusqu’où je peux aller.

Quand le client repart de chez moi, je veux qu’il ait la banane (rires).

On dit souvent que, dans la gastronomie, il faut se donner à 150 pour cent, arrivez-vous à garder du temps pour vous? Dans ce sens, comment s’est construite Marie Robert, la jeune femme?

Avec le temps, j’ai aussi dû apprendre à me solidifier. Je pense que, dans ce métier, ça fait partie de l’évolution. J’ai ouvert très jeune, j’ai dû apprendre à gérer mes pulsions aussi. Je suis quelqu’un de très vivant (rires). Il faut apprendre à travailler et à vivre avec une certaine pression. Mais, pour moi, ça s’est fait très naturellement parce que je travaille bien sous pression.

Réalisation

Quel est le premier plat que vous avez réalisé et qui vous a rendu particulièrement fière?

Ça je ne m’en souviens pas. Par contre, je me souviens du plus mauvais, celui dont je ne suis pas du tout fière. C’était le bœuf Wellington, sauce foie gras. Quelle horreur! Il m’a valu un point en moins au GaultMillau il y a quelques années. D’ailleurs je suis presque traumatisée de le refaire, alors je l’ai enlevé du menu. Vous ne le reverrez plus jamais.

Une cheffe cuisine, mais elle mange aussi. Quel est votre plat préféré? 

Sans hésitation: c’est la raclette.

Et votre cuisine préférée, à part la suisse? 

J’aime bien les sushis.

Avez-vous beaucoup voyagé? 

Oui, j’aime voyager et j’essaye tout de même de faire un voyage par année quand le travail me le permet. Peu importe la destination en fin de compte. Je tire aussi inspiration de ces voyages.

Vos goûts personnels influencent-ils la réalisation du plat? 

Non! Mais j’avoue qu’il est plus dur pour moi de cuisiner un plat que je n’aime pas. C’est difficile de rester objective, mais ce n’est pas pour cette raison que je ne vais pas le faire. Il n’y a pas que mes goûts qui comptent. Par exemple, il y a certains poissons que je n’aime pas beaucoup travailler. C’est le cas de la lotte: ce n’est vraiment pas un grand ami!

On dit que le goût dépend des sens de chacun et qu’il est donc subjectif. Comment être sûr qu’un plat aura le même goût pour nous et pour les autres? 

Je pense qu’il y a quand même une tablette de normes. Trop salé, c’est trop salé! On est tous sensibles différemment à certaines épices par exemple, au poivre ou même au sel. Mais tout le monde sait faire la différence entre un plat bien assaisonné et un plat fade.

De l’idée initiale au résultat final, quels chemins emprunte le plat? 

Le chemin de l’improvisation! Moi je donne le maximum quand je suis sous pression et j’arrive même à improviser dans ces moments.

Aimez-vous donc jouer avec vos plats? 

Bien sûr! On mange, le goût est donc important. Mais si on peut aussi faire attention au visuel dans le plat, c’est mieux. Il ne faut pas oublier qu’en cuisine les cinq sens comptent. C’est par les sens que je joue avec mes plats aussi. Par exemple, j’aime réaliser des plats trompe l’œil et j’adore jouer avec les goûts, le visuel et les textures notamment.

Pour cette saison, votre cuisine est métaphoriquement élémentaire, liée aux cinq éléments. Est-elle aussi littéralement élémentaire, simple?

Je pense que ce qui est important, c’est de savoir sublimer un produit qui, à la base, est simple. Anoblir un produit qui parait simple, est un challenge pour moi.

Et comment articuler simplicité et originalité? 

En étant créatif. Par exemple, devant moi j’ai du bœuf que je propose avec des algues. Il ne faut pas avoir peur d’associer des aliments simples qui s’accordent bien ensemble. Dans ce cas précis, il s’agit toujours d’un bout de viande et d’un produit de la mer, mais ensemble ils font des étincelles.

Sur un podium, quelle place attribuer au goût et au visuel? 

La première place appartient au goût alors que la deuxième revient au visuel. Quant à la troisième place, je pense que j’y placerais la mise en scène qui permet la sublimation. On peut aussi ajouter une place pour l’odorat. Par exemple, maintenant je prépare un plat avec une boule. On dirait une boule de savon mais ce n’est pas du savon bien sûr. Quand vous percez la boule, il y a une odeur délicieuse qui en sort.

Anoblir un produit qui parait simple, est un challenge pour moi.

Que pensez-vous des nouvelles expériences gastronomiques que proposent certains restaurants? Il y a par exemple le souper dans le noir ou le repas commencé par le dessert…

Oui, j’en ai essayé une. Je pense que c’est intéressant parce que, justement, il y a des sens qu’on n’est pas habitués à travailler. Dans ces expériences ils vont rentrer en jeu et travailler. Néanmoins, à mon avis, il faut que ce type d’expérience reste exceptionnel. Je dois avouer que j’ai réussi à me mettre le goulot de la bouteille dans l’œil…

Service

Le client est-il roi dans votre restaurant? 

On dit que le client est roi, mais je n’ai pas besoin de parler en ces termes parce que je n’ai jamais eu de problèmes avec un client. Il y a un respect mutuel qui s’installe entre les clients et nous. Nous, on a envie de leur faire plaisir et eux ils veulent passer un bon moment. Donc non, ils ne sont pas rois chez moi, mais mes clients ne se prennent même pas pour des rois. Il n’y a qu’une minorité de personnes qui se croit tout permis. Et ces personnes, en règle générale, ne viennent pas chez moi.

Comment faut-il recevoir les critiques et les hommages? 

J’aime la critique parce qu’elle fait avancer. Ça arrive à tout le monde de cuire un peu trop un bout de viande ou d’y mettre trop de sel. Peu importe! Je prends la critique comme quelque chose de constructif. Après, il y a l’art et la manière de le dire. Mais, en général, moi je l’accepte avec grand plaisir. Quant aux compliments, ils sont plus difficiles à recevoir, mais ils font toujours plaisir. Parfois les clients sont tellement gentils qu’on n’arrive pas à croire qu’on puisse leur offrir un tel moment de plaisir. Tous les jours, c’est quelque chose de nouveau et d’émouvant.

D’où vous viennent les critiques? 

De la part de mes clients principalement mais aussi de la part de mon associé Arnaud qui a un autre regard. C’est pour cette raison qu’on fait un très bon binôme. Il va avoir un regard différent sur ce que j’ai créé et moi je vais avoir un regard différent sur la salle qu’il a préparée. On est complices et on arrive à matcher et à créer, chaque jour, le Café Suisse. Il faut un regard extérieur qui tienne la route et qui vienne de la part de personnes fiables, comme mon personnel.

La vie d’un plat s’arrête-t-elle au service?

Non, un plat peut être décliné et revisité autant de fois qu’on veut. Par exemple, on a l’incontournable foie gras. Beaucoup de personnes aiment le retrouver dans le menu. Nous on le propose sous des formes et des goûts différents, que ce soit par rapport aux saisons ou aux couleurs. En fin de compte, c’est vraiment un jeu ce foie gras (rires). Les personnes qui sont habituées à venir dans les restaurants gastronomiques n’en peuvent plus. Mais c’est vrai que pour la plupart des clients, il faut une entrée de foie gras.

Dans la société dans laquelle on vit, il n’y a plus de différences entre hommes et femmes.

Comment voyez-vous l’avenir des femmes dans le monde de la gastronomie?

Je pense qu’on est de plus en plus de femmes et qu’il faut que ça continue sur cette lancée. A l’époque, il y avait moins de femmes tout simplement. Maintenant toutes ces émissions de téléréalité ont aussi donné envie aux femmes de faire de la cuisine. On n’est pas moins ou plus douées. C’est un équilibre! Dans la société dans laquelle on vit, il n’y a plus de différences entre hommes et femmes.

Comment envisagez-vous votre futur? Est-ce que votre vie sera aussi rose que votre cuisine, récemment repeinte? 

Tant que je me sens bien là où je suis, je ne vois pas pourquoi je partirais. J’aime avancer et pousser mes limites. Je vais voir jusqu’où je peux aller et, un jour peut-être, il y aura quelque chose qui me titillera ailleurs. Je ne peux pas dire si je resterai ici dix mois ou dix ans. Dans la vie, j’avance au feeling et à mon ressenti.

Quelles nouvelles expériences réservez-vous à vos clients?

(Rires) Et bah, justement, il faudra venir au Café Suisse pour découvrir tout ça! Dans la vie, j’avance au feeling et à mon ressenti.


AVANT DE TERMINER

S’il-vous-plaît, complétez les phrases suivantes.

  • 2020 est une bonne année pour…moi (rires).
  • Je suis heureuse quand…je cuisine.
  • Je redeviens enfant quand…je crée.
  • Parfois, quand je suis triste je…pleure.
  • Une bonne chef n’a…pas d’ego.
  • Le plus chiant dans la vie de «cuisinière de l’année» c’est…que ça a passé trop vite.
  • Si j’avais raté ma carrière en cuisine, j’aurais…été peintre.
  • J’ai honte de l’avouer, mais j’aime…les Kinder.
  • Je deviens méchante si…on me ment.
  • Si je deviens riche, je veux…partager.
  • Le plus beau chef de Suisse est…(Rires) Physiquement?: Pierrick Suter.

Interview Andrea Tarantini

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