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La vie après le suicide de son partenaire

06.01.2022
par Kevin Meier

M. Garcia Linke a perdu son mari à l’âge de 23 ans car celui-ci s’est suicidé. Dans l’interview qui suit, elle raconte ce qu’il s’est passé, comment elle a continué à vivre après cette tragédie et quel message elle souhaite transmettre.

M. Garcia Linke, comment vous décririez-vous?

C’est une question difficile (rires)! Je trouve que je suis curieuse, ouverte et empathique. J’essaie de faire de mon mieux pour me mettre à la place des autres et être solidaire. J’ai également besoin d’harmonie, je m’intéresse aux autres cultures et j’essaie de reconnaître, d’expliquer et de m’éloigner des préjugés. C’est pourquoi je n’aime pas le harcèlement. En ce qui concerne mes défauts, après ce qui est arrivé à mon mari, j’ai développé un certain sarcasme. Parfois, je me sens aussi émotionnellement instable et j’ai toujours besoin qu’on me motive pour commencer quelque chose.

Comment avez-vous rencontré votre mari?

J’ai fait sa connaissance quand j’avais 20 ans, dans les années 1970. Il était l’homme de mes rêves: à l’époque, j’avais encore l’image du prince charmant sur son cheval blanc. Il y a une chose qui m’avait particulièrement touchée: nous nous connaissions depuis à peine trois jours lorsqu’il m’a avoué qu’il avait des problèmes psychiques. Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris qu’il souffrait de schizophrénie. C’était très impressionnant.

Avez-vous  été témoin de cette maladie?

Environ trois ou quatre semaines après qu’il m’ait parlé de sa maladie, il est venu chez moi pendant quelques jours et a eu une crise. Il était complètement changé et il ne dormait plus. Malgré tout, nous nous sommes bien entendus et avons beaucoup discuté ensemble. Quand il est rentré chez lui, j’espérais qu’il y arriverait sain et sauf car il habitait à l’autre bout de la RDA (République démocratique d’Allemagne). Je m’inquiétais beaucoup parce que j’avais le pressentiment que quelque chose pouvait lui arriver à tout moment.

Après cette visite, je n’ai plus eu de ses nouvelles pendant un certain temps. J’ai ensuite reçu une lettre de ses parents qui m’ont demandé de ne pas m’éloigner de lui pour le moment, afin d’accélérer le processus de guérison. Je suis donc allée chez ses parents et nous lui avons rendu visite ensemble à l’hôpital. Nous avons passé un très bon moment. Il m’a dit que je lui donnais de la force et il s’est effectivement rétabli par la suite. C’est alors qu’a commencé la plus belle période de ma vie.

Y avait-il des signes que quelque chose allait mal?

Je voulais avoir un enfant car j’avais toujours peur que les crises et la maladie reviennent et que je le perde. Je souhaitais qu’il me reste quelque chose de lui au cas où il ne rentrerait pas un jour à la maison. Avec le recul, j’étais assez naïve: je devais encore apprendre à vivre.

Par la suite, beaucoup de choses se sont enchaînées et m’ont dépassée. Je devais à la fois terminer mes études et élever un enfant. Cet enfant est soudain devenu la chose la plus importante dans ma vie et je n’avais presque plus de temps pour mon mari. J’ai perdu l’équilibre que nous avions établi, ce qui n’a certainement pas contribué à sa stabilité mentale. Nous avons ensuite emménagé chez mes beaux-parents car je suis tombée malade moi aussi, tandis que mon mari faisait face à une nouvelle poussée de sa maladie. Je n’arrivais plus à l’aider et il est retourné à l’hôpital.

Avez-vous réussi à sortir de cette situation?

Au début, les choses semblaient s’améliorer. Nous avons emménagé dans un bel appartement et tout était merveilleux. Cependant, mon déséquilibre était toujours présent  et cela le déprimait. De plus, il a dû abandonner son métier de scientifique. Cependant, en tant qu’excellent mathématicien, travailler avec des statistiques par la suite ne l’épanouissait pas. Je pouvais voir sur son visage qu’il était vraiment déprimé et nous nous sommes tout de même disputés. Quand j’y repense, peu après notre déménagement, j’ai fait un rêve dans lequel je marchais dans l’appartement en le cherchant, mais je ne le trouvais pas. Six semaines plus tard, il s’est suicidé.

J’ai été complètement prise au dépourvu.

Comment avez-vous appris son suicide?

Le lendemain de cette fameuse nuit, je suis allée travailler. J’ai dû me lever très tôt pour emmener notre enfant chez la nourrice. Le travail était aussi assez stressant. Mon mari est parti au travail un peu plus tard. D’habitude, quand je rentrais, ses chaussures étaient devant la porte. C’était pour moi le signe que tout allait bien. Mais cette fois-ci, il y avait ses pantoufles et sa clé était sur la commode, bien qu’il n’était pas à la maison. J’ai vérifié toutes les chambres avec mon enfant dans les bras. Dans le salon, j’ai alors trouvé une lettre d’adieu. Ma seule pensée a été de continuer à tenir mon enfant. Je suis allée chez la voisine, elle s’est occupée de notre enfant et a fait en sorte qu’un autre voisin me conduise à la police. Quand je suis arrivée au poste, ils l’avaient déjà trouvé et on m’a jeté sa carte d’identité sur la table. Ils m’ont demandé s’il s’agissait de mon mari. C’est là que le sol s’est dérobé sous mes pieds. Je n’en pouvais plus et j’ai pensé que je serais la prochaine à faire un accident de voiture. Il l’ont vu et ont veillé à ce que cela n’arrive pas.

Comment avez-vous vécu cet événement?

Malgré les de possibles signes avant-coureurs, j’ai été complètement prise au dépourvu. C’était un choc. Nous nous étions disputés la nuit précédente et j’en étais extrêmement désolée. Ma grand-mère m’a toujours répété cette phrase depuis que je suis enfant: «Lorsque vous vous quittez, faites-le en bons termes». C’est pourquoi je m’en suis voulue. Quand je pense à la souffrance de mon mari, cela me fait très mal.

J’ai refusé de me faire aider car j’avais honte.

Comment vous ont-ils empêché de vous faire du mal?

Le voisin et un policier m’ont fait monter dans la voiture et, coincée entre les deux, ils m’ont conduit à l’hôpital psychiatrique. C’est là que j’ai appris que mon mari souffrait de schizophrénie.

Pensez-vous que son suicide soit lié à la schizophrénie?

Peut-être était-ce aussi une dépression, mais il est possible que son acte soit lié à cette maladie.

Mon mari lui-même n’a pas toujours su qu’il en souffrait. Un jour, il a demandé à ses parents pour quelle raison il était traité et ils ont fini par lui dire. Il a fait de nombreuses recherches à ce sujet. Après le suicide, ma belle-mère m’a bien expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un acte lâche. Je pense également qu’il était extrêmement courageux.

Qu’entendez-vous par là?

Je pense qu’il l’a fait pour protéger sa femme et son enfant de la maladie. C’est d’ailleurs ce qu’il a écrit dans sa lettre d’adieu dans laquelle il ne m’a en aucun cas blâmée. Pourtant, je sais comment je me suis comportée. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression d’être une meurtrière. Peut-être aurais-je eu la possibilité de l’aider à guérir si je m’étais mieux sentie et si j’avais été plus sûre de moi.

Vous êtes-vous punie?

D’une certaine manière, oui. J’ai refusé de me faire aider car j’avais honte et je ne voulais pas être un fardeau pour les gens. Pourtant, plusieurs personnes ont voulu me soutenir et m’aider: la clinique, des médecins et même des voisins. Si seulement j’avais accepté!

Vous sentez-vous encore coupable aujourd’hui?

Cela me fait mal à chaque fois que j’y pense. D’un autre côté, je me dis aussi qu’il faut que j’avance. Cela ne fait de bien à personne si je me paralyse avec ça. Je pense que ce ne serait peut-être pas si douloureux si l’on pouvait accompagner la personne jusqu’au bout, en paix et en harmonie.

Avez-vous accepté de l’aide ou suivi une thérapie par la suite?

Je me suis débrouillée toute seule. Je n’avais aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler un traitement chez un thérapeute et je pensais que personne ne pouvait rien faire avec une pleurnicharde comme moi.

Avec le temps, je suis redevenue moi-même en m’ouvrant aux autres.

Qu’est-ce qui vous a aidée à surmonter ce qu’il s’est passé?

Quelques années plus tard, j’ai rejoint par hasard un groupe de dessin par l’intermédiaire d’un collègue. En peignant et en dessinant, j’ai appris que les choses ont différentes perspectives. Par exemple, un arbre a l’air différent si je fais un pas de côté. Au sein de ce cercle, j’avais de bons collègues avec qui je pouvais aussi faire des activités. C’était génial. Ces personnes m’ont énormément aidée et j’ai beaucoup appris. C’était intéressant de comparer nos dessins après avoir effectué le même exercice car il y avait toujours un lien entre notre travail personnel et le collectif. Me construire un cercle d’amis a pris un peu de temps. D’une certaine manière, le suicide de mon mari a créé un mur autour de moi et j’étais séparée de la vraie vie.

Ce mur a-t-il disparu aujourd’hui?

Oui car je suis beaucoup plus ouverte aujourd’hui. Par la suite, j’ai rencontré mon ex-conjoint et j’ai eu deux autres enfants. Grâce à lui, j’ai rencontré ma meilleure amie et, avec elle, je pouvais parler de tout. Elle m’a énormément aidée! Avec le temps, je suis redevenue moi-même en m’ouvrant aux autres.

De votre point de vue, comment peut-on aider les personnes qui pensent au suicide?

Tout d’abord, elles doivent savoir qu’elles ont quelqu’un sur qui elles peuvent compter et qui peut leur donner de la force par des mots, des gestes ou des actions. Deuxièmement, il est toutefois très important de s’adresser à des professionnels, comme en cas de dépression. On ne peut que souhaiter que ces personnes acceptent de se faire soigner. Finalement, ce n’est plus un sujet aussi tabou qu’auparavant. Je suis reconnaissante que les recherches dans ce domaine aient progressé. Certes, il y a toujours un manque d’information et les possibilités d’aide sont encore insuffisantes, mais on se penche sur le sujet et on ne le juge plus aussi facilement qu’avant.

Il faut éduquer les enfants à la conscience de soi et à l’autonomie pour leur apprendre à vivre et ainsi leur éviter de se retrouver dans une telle situation. Il faut aussi toujours apprécier son prochain et ne jamais se quitter en étant fâché ou dans l’indifférence. Finalement, on ne sait jamais si l’on reverra cette personne…

 

Les personnes qui cherchent de l’aide peuvent s’adresser 24 heures sur 24 aux services suivants:

Suisse: 143 ou 143.ch (La main tendue)

Allemagne: 0800 / 111 0 111 ou telefonseelsorge.de (TelefonSeelsorge)

Autriche: 142 ou telefonseelsorge.at (assistance téléphonique)

Interview Kevin Meier

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