en quoi l’intelligence artificielle bouscule-t-elle le métier d’avocat ?
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Droit

En quoi l’intelligence artificielle bouscule-t-elle le métier d’avocat ?

29.11.2023
par Léa Stocky

L’intelligence artificielle apporte une évolution majeure au métier. À court terme, ce sera bien plus qu’une évolution ; c’est une révolution en route. Douglas Hornung, avocat et fondateur du site divorce.ch, nous en parle dans cette interview.

Douglas Hornung,Fondateur du site divorce.ch

Douglas Hornung
Fondateur du site divorce.ch

Douglas Hornung, concrètement, quelles tâches pourront être réalisées par l’IA ?

On est encore aux premiers balbutiements mais, aujourd’hui déjà, tout ce qui est standard peut être très bien fait par l’IA. Des contrats de base et classiques, de bons projets d’articles juridiques ou de conférences à préparer, des avis de droit ou des actes de procédure usuels, la rédaction d’une clause contractuelle. Demain, l’IA intégrera mieux l’interaction entre diverses clauses contractuelles, la structure et la logique d’un acte, la conformité avec la législation ou la jurisprudence. Bientôt, la machine performera mieux et bien plus vite que l’avocat.

Au contraire, pour quelles missions le travail de l’avocat sera-t-il encore essentiel ?

Dans trois domaines essentiels. Au début d’un dossier, la stratégie à suivre ne peut pas être donnée par l’IA car il y a trop de possibilités théoriques. Comme pour un logiciel qui remplace un joueur d’échecs, il faut un premier mouvement pour que la machine puisse travailler. Au début d’une partie, quand aucun joueur n’a joué le premier pion, les possibilités sont infinies. Ensuite, l’idée créatrice et l’appréciation ne peuvent être remplacées. Lorsque l’IA vous donne diverses solutions, laquelle choisir et pourquoi ? L’IA peut certes apprendre par elle-même mais elle est pour l’essentiel un ramassis des connaissances et de raisonnements convenus. Il lui manque l’idée créatrice, le petit grain de sable dans la machine bien huilée qui permettrait d’obtenir un meilleur résultat. De plus, dans de nombreux domaines du droit, les tribunaux gardent un large pouvoir d’appréciation, une notion essentielle mais purement subjective, donc étrangère à une machine, même intelligente. Enfin, l’avocat apporte l’empathie dont la machine ne peut être capable (tout au moins dans un proche avenir !). Mais quel sera le montant de la rémunération possible pour l’empathie apportée ? C’est plutôt dans les deux premiers domaines que l’avocat pourra se distinguer de la machine, apporter une vraie plus-value et être rémunéré en conséquence.

Quels sont les risques d’une telle intégration de l’IA dans les métiers juridiques ?

La standardisation, la déshumanisation et l’amateur éclairé. La tendance n’est pas nouvelle mais elle s’accentue radicalement.

L’avocat doit et devra se spécialiser dans un domaine particulièrement pointu, se tenir régulièrement formé et informé et performer rapidement et à moindre coût.

Voyez les contrats bancaires ou les contrats d’assurance par exemple. Il n’y a pas si longtemps, ils tenaient sur quelques pages. Aujourd’hui, lorsque vous voulez ouvrir un compte dans une banque ou souscrire une assurance, la documentation contractuelle s’étale sur des dizaines de pages indigestes, souvent peu ou pas compréhensibles par un lecteur moyen. La tendance est au formatage standardisé. Vous retrouvez les mêmes clauses partout.

Je le vois aussi avec le site www.divorce.ch que j’ai créé. Certains tribunaux – surtout vaudois – sont dérangés par la présentation du dossier qui ne correspond pas toujours exactement à leurs petites habitudes. Résultat : deux ou trois fois par année, un juge particulièrement paresseux et obtus annonce vouloir refuser le dossier. La problématique est vite dépassée par une simple lettre de mise au point.

Quant à l’amateur éclairé, c’est typiquement le client qui a déjà fait ses recherches avec ChatGPT et qui se rend chez l’avocat pour lui ordonner ce qu’il doit faire. La relation entre client et avocat se détériore et se complique inutilement.

En quoi l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le secteur du droit amène-t-elle davantage de concurrence entre les cabinets ?

Chacun a ou aura les mêmes sources et parviendra donc aux mêmes résultats. Plus besoin d’être un peu plus fûté ou compétent que l’autre. Tout sera fait immédiatement, automatiquement et rapidement par l’IA. Le service sera standard, en particulier pour toutes les demandes d’aide juridique de base et le client sera de plus en plus enclin à faire lui-même ses recherches plutôt que de passer par un avocat. Déjà aujourd’hui, on peut se passer d’un avocat pour contester une amende de stationnement, obtenir l’indemnisation pour un vol aérien annulé, faire son divorce ou encore obtenir un contrat de travail ou de bail standard.

Par conséquent, les avocats auront de moins en moins à traiter d’affaires mineures ou standard comme tous ces dossiers qui ne présentent aucune difficulté juridique particulière. Avant internet, un avocat facturait 1000.- ou 2000.- pour un contrat de travail sans particularité. Aujourd’hui, l’intéressé l’obtient gratuitement par quelques clics sur internet.

Par conséquent, tout le pain quotidien – facile et rémunérateur – de l’avocat va rapidement disparaître. L’avocat ne sera consulté que s’il peut apporter une réelle plus-value. Il ne pourra plus réutiliser ses modèles de contrat qu’il facturait et refacturait à prix d’or en modifiant le nom des parties.

L’IA sera de plus en plus utilisée par les avocats, petits ou grands, et deviendra la norme et l’outil indispensable d’ici quelques années seulement.

L’avocat « généraliste » n’aura rapidement plus d’avenir. L’avocat doit et devra se spécialiser dans un domaine particulièrement pointu, se tenir régulièrement formé et informé et performer rapidement et à moindre coût car la concurrence sera de plus en plus vive. En bref, l’avocat devra travailler beaucoup plus et beaucoup plus vite pour gagner moins.

Comment l’introduction de l’IA bouscule-t-elle le système financier des études ?

La comptabilité, la facturation, les time-sheets sont déjà traités par des logiciels performants. L’IA n’y apporte rien de nouveau. Aujourd’hui, l’avocat n’a plus besoin de locaux loués à prix d’or en plein centre-ville, n’entretient plus des batteries de secrétaires et dicte seul ses courriers électroniques avec un logiciel de dictée. Le client attend qu’il soit atteignable et disponible directement au téléphone (plus d’assistante qui répond que le grand Maître est inatteignable) ou des réponses aux mails dans la demi-journée. Sans quoi, le client ira ailleurs. Les frais fixes doivent par conséquent être drastiquement réduits. Plus de loyer cher mais des « tiers-lieux » pour y travailler ponctuellement (des plateformes, telles que www.lawffice.ch par exemple), plus de bibliothèques remplies de livres qui deviennent obsolètes en six mois, plus de salle de conférence mais des réunions par Zoom, quasiment plus de personnel. C’est à ce prix d’une réduction drastique des coûts, d’une spécialisation à outrance et d’une disponibilité quasi immédiate que l’avocat pourra encore survivre financièrement. Les clients ne sont plus fidèles et vont là où ils sont le mieux servis, immédiatement ou presque, pour avoir une réelle plus-value d’un professionnel. Il est probable qu’ainsi, la facturation classique au time-sheet devra être abandonnée. Le client ne veut plus payer pour du temps mais pour une compétence particulière, une réelle plus-value et pour un résultat rapide.

La fiabilité de l’IA dans le domaine du droit est-elle prouvée ?

Rappelez-vous les doutes sur les traductions automatiques de Google il y une quinzaine d’années. C’était bien loin d’être convainquant. Aujourd’hui, c’est plus que performant. L’IA n’en est qu’à ses débuts et s’améliorera très rapidement pour devenir demain un outil quotidien indispensable. Il y a deux ans, l’examen de brevet d’avocat a été soumis à l’IA en Californie et en France. Les résultats étaient insuffisants. L’expérience a été renouvelée au début 2023. L’IA se place dans les dix premiers de tous ceux qui ont passé l’examen…

Aujourd’hui, où en est l’intégration de l’IA dans les études ? Certains cabinets l’utilisent-ils déjà pour certaines tâches ?

Elle n’est pas encore utilisée par les avocats qui, par leur expérience, ont déjà à disposition des modèles performants. L’IA est par contre utilisée par les jeunes avocats qui ne disposent pas de ces modèles issus de l’expérience. Rapidement, l’IA va être de plus en plus performante et tenir compte des nouveautés les plus récentes (ce qui n’est évidemment pas le cas de modèles type sauf s’il sont remis à jour régulièrement, ce qui est rare). Par conséquent, l’IA sera de plus en plus utilisée par les avocats, petits ou grands, et deviendra la norme et l’outil indispensable d’ici quelques années seulement. Par exemple, www.divorce.ch va utiliser l’IA dès pour répondre aux questions des utilisateurs.

À l’avenir, comment cette intégration va-t-elle évoluer ?

« Pour ce qui concerne l’avenir, il ne suffit pas de le prévoir mais de le rendre possible » disait Saint-Exupéry. Je suis convaincu que l’intégration de l’IA – dans le domaine juridique ou autre – ne peut que s’approfondir et se renforcer. Ceux qui le contestent ou ne le comprennent pas vivront l’avenir d’une désillusion.

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