«le sexe et l’amour sont des notions complexes»
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Jeunesse Société

«Le sexe et l’amour sont des notions complexes»

06.12.2022
par Andrea Tarantini

Jeunesse, amour, identités et sexualité: quelle confusion! Comment s’y retrouver? Où trouver des réponses à toutes ses questions? Romy Siegrist, psychologue FSP et sexologue, fait des consultations individuelles et entre partenaires, et intervient aussi parfois dans des médias ou des institutions au sujet des diversités relationnelles, de genre et sexuelles. Dans l’interview qui suit, elle répond à quelques-unes des questions les plus récurrentes chez les jeunes. 

Romy Sigrist, pourquoi avez-vous décidé de devenir psychologue et sexologue? 

Jeune, j’étais souvent la personne vers laquelle on se tournait quand on voulait discuter de questions de relations et sexualité. Un jour, lorsque j’avais 16 ans, une amie m’a dit «tu devrais faire sexologue». Je ne connaissais pas ce métier. Ça n’apparaissait pas dans les propositions du service de l’orientation (rires), mais ça a résonné juste.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier? 

La diversité des rencontres, la multiplicité des possibles, la créativité et les discussions existentielles que le thème de la sexualité amène.

Les jeunes aujourd’hui se posent énormément de questions et notamment en matière de sexualité. Et si l’on répondait à quelques questions récurrentes? 

Allons-y!

Sentiments et relations amoureuses

Comment puis-je savoir si j’aime vraiment quelqu’un·e·x?

Je pense qu’il faut accepter de ne pas toujours savoir (rires). Ce qui est important est de conscientiser le plus possible ce que l’on veut partager avec la personne en question. Il existe un outil tiré de l’anarchie relationnelle, le «Smörgåsbord», qui se trouve en ligne et qui aide à clarifier ses attentes et envies. Est-ce qu’on aimerait des éléments romantiques, ou de la camaraderie par exemple? Veut-on partager un quotidien ou non, de la sexualité, des projets de vie avec l’autre, ou pas forcément? L’amour peut prendre plusieurs formes, la relation aussi!

L’amour et le sexe: quelles différences? 

Il est bon de distinguer orientations affectives (de qui l’on tombe amoureux·se·x) et sexuelles (par qui sommes-nous attiré·e·x sexuellement). Car on peut être bi- ou pan-romantique et hétérosexuel·le·x! Cela rend les choses plus complexes parce que notre société attendrait que tout soit bien clair et aligné. Certaines relations amoureuses ne contiennent pas de sexualité et cela n’empêche pas les personnes d’être de bon·ne·x·s partenaires de vie, ni de vivre une belle histoire, tout comme vivre de la sexualité avec ses amant·e·x·s sans partager de projets à longs termes n’ôte de l’importance à cette relation!

Puis-je aimer et désirer plusieurs personnes? 

Oui! Tout comme certaines personnes, «aro» ou «ace», ne ressentent aucune attirance affective et/ou sexuelle ou presque pour d’autres personnes. Entretenir des relations plurielles est possible, il s’agit de le faire de manière respectueuse et consentante, comme c’est le cas dans par exemple la polyamorie. Si l’amour peut être infini, le temps et l’énergie ne le sont pas: il est donc important de discuter avec les partenaires des besoins et disponibilités de chacun·e·x.

Ma timidité est-elle un frein à l’épanouissement de ma vie affective et sexuelle?

Pas forcément, car la timidité n’empêche en rien de savoir qui l’on est et ce que l’on veut: ça rend parfois plus difficile le fait de le dire. C’est pourquoi il peut être utile de travailler sur l’affirmation de soi afin d’avoir une vie affective et sexuelle épanouie. Cela peut aussi limiter les risques d’emprise et de violences au sein de la relation.

Toute séparation n’est pas une «rupture»

Faut-il essayer de transformer une relation amicale en une relation amoureuse même si on risque de tout perdre? 

Je ne pense pas qu’on risque de «tout» perdre dans une situation de ce genre. On peut très bien essayer de se lancer dans une relation amoureuse et, si ça ne marche pas, rester ami·e·x·s ou le redevenir peu à peu. Mais il faut dire que l’on a peu de modèles pour ce type de relation: on pense souvent que soit on est ami·e·x·s, soit on ne l’est plus. Cependant il existe en réalité des évolutions relationnelles! Cela demande néanmoins de bonnes capacités communicationnelles et une bonne conscience émotionnelle.

Comment vivre une rupture amoureuse?

Avant tout, toute séparation n’est pas une «rupture»: certaines personnes vont vivre ce type d’évolution relationnelle de manière positive, voire rester ami·e·x·s, car les deux partenaires savent que les choses ne vont pas ainsi et qu’une séparation est la meilleure des options par exemple.

Cela dit, il reste important de prendre soin de soi, d’accueillir les émotions (en se rappelant que ça va passer même si ce n’est pas évident) et de s’autoriser le fait d’en parler. Et puis, conscientiser en quoi cette relation nous a fait grandir peut être une manière de travailler la gratitude et d’accompagner son propre cheminement vers des relations qui nous conviennent mieux.

Amour, école et travail: comment les conjuguer?

Ce n’est pas toujours évident car la plupart des gens rencontrent leur·s partenaire·s à l’école ou au travail. Il est important de penser aux différents espaces où la relation est vécue et de se donner du temps aussi dans des espaces neutres ou dédiés uniquement à celle-ci. Il faudrait éviter de tout mélanger. Par exemple, ce n’est pas parce qu’on s’est vu·e·x·s toute la journée au travail qu’on ne peut pas consacrer du temps au couple en dehors du travail. C’est par ailleurs aussi important de se donner du temps seul·e·x, par exemple si le couple travaille depuis la maison toute la journée. Il faut se demander: de quoi ai-je besoin pour avoir une disponibilité émotionnelle ou sexuelle? Ai-je besoin de plus temps pour moi ou de plus de temps avec mon, ma ou mes partenaire·s?

Sexualité

Comment se passe en général la première fois?

De quoi parle-t-on: la première masturbation? Le premier baiser? Le premier orgasme? La première pénétration? Le concept de «la première fois» est assez caduc, d’autant qu’avec chaque personne c’est une nouvelle première fois! Souvent, cela dit, on assimile la première fois à la première pénétration phallo-vaginale, mais c’est assez réducteur. Dans tous les cas, il faut du respect, de l’écoute et de la curiosité. Pour certaines personnes, la première relation sexuelle se passe très bien, sans pour autant être celle où l’on prend le plus de plaisir. En revanche, il ne faut pas oublier que pour d’autres, le premier contact avec la sexualité peut avoir été une agression sexuelle – on estime en effet en Suisse qu’un cinquième de la population a été agressée sexuellement enfant.

À quel âge dois-je passer à l’acte? 

Il n’y pas de devoir en matière de sexualité, si ce n’est celui d’être consentant·e·x et de vérifier le consentement de sa, son ou ses partenaires.

Comment savoir si l’on est consentent·e·x ?

Il faut écouter son cœur, ce que dit sa petite voix intérieure, mais aussi son corps: y a-t-il une tension, un blocage, un mouvement de recul – ou, au contraire, vers l’avant – perçu? A noter aussi que les signes d’excitation sexuelle (érection pénienne ou clitoridienne, lubrification…) ne sont pas une preuve de consentement. On peut être excité·e·x·s mais pour X raisons ne pas avoir envie de passer à l’acte. Il est aussi essentiel de sentir que l’on peut dire oui ou non, car céder n’est pas consentir.

Comment puis-je explorer ma sexualité?

Oser fantasmer, essayer différents scénarios ou lire des récits érotiques par exemple. On peut aussi discuter avec d’autres gens, écouter des podcasts sur le sujet. La masturbation reste également un des principaux moyens d’explorer sa sexualité et de savoir ce qui nous plaît ou pas.

La masturbation est-elle vue d’un mauvais œil aujourd’hui?

Cela dépend par qui – pas par les sexologues en tout cas (rires). Pour beaucoup de gens, la masturbation reste encore le parent pauvre de la sexualité. En réalité, c’est plus un super pouvoir que chaque personne a sous la main!

Il y a les fantasmes dont on parle plus facilement et les autres.

Quels sont les fantasmes les plus courants?

Il y a les fantasmes dont on parle plus facilement et les autres. Parmi les premiers, il y a le sexe à plusieurs et le sexe anal. Mais dans les statistiques des recherches des utilisateur·ice·x·s de sites porno, on trouve aussi beaucoup de jeux incestueux – comme ceux entre demi-frères et sœurs, belle-mère ou beau-père par exemple. Une bonne partie des fantasmes concernent des choses interdites ou hors de portée. Les fantasmes changent aussi d’une génération à l’autre. Aujourd’hui, les jeunes ont plus de fantasmes liés à la fantaisie et au transformisme.

J‘ai l’impression que mon sexe n’est pas normal…

Beaucoup de personnes sont inquiètes de l’apparence de leur sexe. Contrairement à ce que l’on voit dans le porno, il existe une grande diversité de formes, de tailles et de colorations de la peau, comme le montre cette super brochure! En cas de doute persistant, il ne faut pas hésiter pas à en parler à sa ou son médecin ou gynéco.

Puis-je contrôler une érection?

Une érection ne se contrôle pas, mais on peut apprendre à gérer l’excitation et surfer sur la vague du plaisir, notamment grâce à une respiration plus ample et à une détente pelvienne – si l’on est tendu·e·x au niveau de ces muscles, le corps voudra relâcher la pression par l’orgasme.

Existe-t-il différents types d’orgasmes?

Oui, on peut ressentir l’orgasme de manière différente selon les endroits stimulés – même s’il y a des similarités dans les mécanismes d’action et les hormones relâchées. Il y a plusieurs stimulations qui peuvent mener à l’orgasme: par exemple celle directe du pénis ou du gland du clitoris, et celle des tissus prostatiques via la prostate ou la «zone G» si l’on a un utérus et un clitoris. D’autres personnes ont également des orgasmes par la stimulation des seins…

Avoir une éjaculation sans orgasme. Est-ce possible?

Oui, tout à fait, tout comme il est possible d’avoir des orgasmes sans éjaculation, ni même érection! L’éjaculation, tout comme le squirting, sont des mécanismes réflexes qui n’amènent pas nécessairement beaucoup de plaisir, même s’ils peuvent intervenir de manière simultanée avec un orgasme.

À qui et comment parler de sexualité sans gêne?

Les ami·e·x·s sont sans doute les personnes les plus proches. Il y a aussi les plannings familiaux qui ont des consultations spécialisées, les sexologues, ainsi que le site ciao.ch pour échanger entre pairs.

La contraception: est-ce seulement une affaire de femmes?

Pas du tout! Surtout qu’une femme cisgenre est fertile seulement pendant quelques jours dans un mois, alors qu’un homme cisgenre l’est constamment. Ce n’est donc pas forcément elle qui doit assumer cette responsabilité. D’ailleurs, dans les couples hétérosexuels, la contraception mutualisée est une option intéressante. Par ailleurs, il existe différentes solutions non invasives – comme les anneaux testiculaires par exemple, l’AndroSwitch – et écologiques qui offrent une bonne protection si les partenaires sont bien (in)formé·e·x·s.

La pornographie est-elle dangereuse ou peut-elle le devenir? 

Il existe différents types de porno. Les contenus auxquels on peut accéder facilement et gratuitement ne présentent généralement pas la sexualité de la manière la plus «saine». Il peut y avoir une forme d’addiction envers ce porno mainstream car la dopamine rentre en jeu. Les personnes qui développent une addiction ont en général des tendances anxieuses et/ou dépressives: il ne faut pas hésiter à consulter un·e·x psy si l’on pense que c’est le cas. Par ailleurs, en soi, ce n’est pas la pornographie en tant que telle qui est dangereuse – il y a des pornos éthiques ou alternatifs très chouettes – mais c’est plutôt l’intensité éprouvée par cette (sur)stimulation que peut amener le porno, tout comme le stress de performance lié à sa consommation qui vont devenir délétères.

Le sexe et l’amour sont des notions complexes et le premier n’est pas simplement un «thermomètre» du deuxième.

Quels sont les meilleurs préliminaires? 

Tout ce qui prend soin de soi, de la relation et de ce que le corps apprécie.

À quelle fréquence faut-il avoir des relations sexuelles en couple?

A celle qui convient aux personnes concernées. On dit que lorsqu’il n’y a pas beaucoup de sexe au sein d’un couple, cela signifie que le couple va mal. Ce n’est pas nécessairement vrai! Le sexe et l’amour sont des notions complexes et le premier n’est pas simplement un «thermomètre» du deuxième. De plus, il est courant que la libido fluctue et qu’il y ait une asymétrie entre les partenaires dans la relation. Une bonne satisfaction sexuelle relationnelle ne dépend pas forcément de la quantité des rapports, mais de leur qualité.

Je ne suis pas intéressé·e·x plus que ça par le sexe. Est-ce normal?

En tout cas vous n’êtes pas seul·e·x, car il y a plein de gens pour qui le sexe n’est pas l’intérêt principal de leur vie. Ce n’est pas un problème et cela ne veut pas dire qu’on ne vivra aucune relation amoureuse ou expérience sexuelle. Cependant, il y a une pression sociale à ce sujet: on pense qu’être en couple et éprouver du désir doit être le but d’une vie, mais ce n’est pas le cas.

Faut-il vraiment faire des dépistages pour les Infections Sexuellement Transmissibles?

Oui, des dépistages réguliers sont importants car le risque zéro n’existe pas et que de nombreuses personnes sont asymptomatiques! De plus, beaucoup de gens se protègent uniquement lors d’une pénétration, mais le risque d’attraper une IST existe même lorsque l’on a du sexe oral non protégé ou un contact manuel avec les fluides et que l’on se touche après. Par ailleurs, faire un dépistage n’est pas mal vu aujourd’hui, c’est même plutôt signe que l’on prend soin de sa santé sexuelle, que l’on se responsabilise, et c’est rassurant. Si ce domaine intéresse, vous pouvez contacter Santé Sexuelle Suisse!

Le lexique des genres, des identités et des sexualités: quelle confusion! Comment m’y retrouver? 

Le sigle LGBTIQA+ signifie Lesbiennes, Gays, Bisexuel·le·x·s, Transgenres, Intersexes, Queers, Asexuel·le·x·s et autres. Il n’est pas nécessaire de se définir pour être épanoui·e·x, mais cela peut faire beaucoup de bien quand on se sent en dehors de la norme. Il faut avant tout écouter son corps et son cœur, accepter que la vie est pleine de surprises et que pour certaines personnes les attirances évoluent. En cas de questionnements soutenus, il ne faut pas hésiter à prendre contact avec une des associations LGBTIQA+ de ta région!

Où puis-je trouver des conseils utiles et des réponses à d’autres questions?

Il y a ciao.ch, un des meilleurs sites suisses sur le sujet. Le livre Sexpérience d’Isabelle Filliozat et Margot Fried-Filliozat fournit aussi des informations utiles, tout comme Ado, sexe et genres de Véronique Baranska. Le livre #Adosexo de Camille Aumont-Carnel, qui tient le compte insta Je m’en bas le clito, est sorti cet été. De plus, le B.A-BA du sexe entre meufs et personnes queer d’Allison Moon est un ouvrage très éclairant, même si l’on est hétéro ou un mec! Concernant les relations amoureuses, je recommande chaudement le podcast «Le Cœur sur la Table» de Victoire Tuaillon.

 

Interview Andrea Tarantini

 

 

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