Sylviane Degunst, comment êtes-vous devenue mannequin?
J’ai été castée dans la rue à Londres. Cela m’était déjà arrivé en France quand j’étais jeune mais, à l’époque, je n’étais pas du tout intéressée.
À Londres cependant, puisque mon anglais était insuffisant pour me permettre de continuer mon métier d’éditrice, j’ai accepté le casting de mannequin tout en pensant qu’il ne s’agissait que d’une expérience d’un jour.
Finalement, cela a très bien marché pour moi et je me suis retrouvée sur des affiches sur des bus, dans le métro, dans des magazines etc..
J’apparaissais aussi dans les pages All Ages du Guardian Weekend dans lesquelles tous les gabarits et les ethnies sont représentés. Aujourd’hui, de retour en France poussée par le Brexit, je n’ai presque plus de contrats.
Avez-vous hésité avant de vous lancer?
Je n’ai pas du tout hésité car, pour moi, il s’agissait avant tout d’une nouvelle expérience. J’ai tendance à saisir les perches qu’on me tend et cela m’a surtout beaucoup amusée. Mon père prenait beaucoup de photos et mon premier copain était photographe, j’avais donc l’habitude d’être devant l’objectif.
«Quand on n’est pas Kate Moss ou Naomi Campbell, il est difficile de vivre du mannequinat.» – Sylviane Degunst
Pouvez-vous décrire une de vos journées types en tant que mannequin?
On arrive très tôt sur le plateau pour se faire maquiller et coiffer. Comme j’apparaissais souvent dans The Guardian Week-End, l’équipe était devenue une bande de copains et nous déjeunions ensemble.
Les journées de shooting sont longues et il y a beaucoup d’attente, on en profite pour bavarder et on s’amuse énormément. Cela m’a aussi permis d’être plongée dans la culture anglaise. En tant qu’ancienne critique de cinéma, j’aime particulièrement observer la technique derrière la prise des photos. Lorsqu’on pose devant un objectif, on joue un rôle.
D’éditrice à mannequin – Sylviane Degunst a sauté le pas suite à un casting sauvage dans une rue de Londres où elle résidait. Elle est devenue mannequin à 55 ans. Photo: ©Ilya Lipkin
Combien de shootings aviez-vous à Londres par mois?
En Angleterre, j’avais trois ou quatre contrats par mois. Quand on n’est pas Kate Moss ou Naomi Campbell, il est difficile de vivre du mannequinat. Je n’aurais pas pu vivre de mes shootings… Heureusement, mon mari gagnait bien sa vie. Il y a bien sûr les paillettes, mais aussi le revers de la médaille.
Par exemple, il m’est arrivé de faire un shooting à l’extérieur en hiver et avec des habits d’été.
Avez-vous fait face à des difficultés ou à des obstacles liés à votre âge en exerçant ce métier?
Je n’ai été confrontée à aucun tabou à Londres, à l’inverse de Paris. Mes cheveux blancs n’ont jamais été un obstacle lors de mes castings et je n’ai jamais été «la vieille de service» lors des shootings, contrairement à Paris où j’ai l’impression qu’il y a un vrai cloisonnement par rapport à cela.
Londres en revanche est très cosmopolite et plus ouverte: en une journée, on rencontre des personnes de tous les âges et de toutes les nationalités.
Que pensez-vous de la représentativité des personnes de plus de 50 ans dans la publicité ou la presse?
Nous sommes trop peu visibles. Je trouve cela dommage parce que les femmes de 50 ou 60 ans et plus ne peuvent pas s’identifier. Prendre du poids, avoir des cheveux blancs ou des rides n’est pas une maladie. Plus on nous verra avec nos formes, nos cheveux et nos rides, plus on nous acceptera et moins nous serons rangées dans une catégorie.
Le mot senior ne me plaît pas beaucoup car, outre notre âge, nous sommes avant tout des individus.
Dans son livre Moi, vieille et jolie, Sylviane Degunst dévoile les coulisses de sa vie de mannequin. Photo: ©Lorna Milburn
Un des stéréotypes qui existe concerne le fait que les femmes d’un certain âge ne peuvent plus se réaliser dans leur travail et dans de nouveaux projets. Que pensez-vous de cela?
Dans tous les corps de métier, les femmes sont beaucoup plus vite mises de côté que les hommes et elles sont stigmatisées dans les médias. Par exemple, il faut arrêter de présenter la ménopause comme une maladie.
De nombreux autres clichés existent, qui sont notamment liés à la sexualité. Je ne dis pas que tous les changements que je vois sur mon corps me font plaisir, mais j’essaie de me dire qu’ils font partie de l’ordre naturel des choses. Par exemple, je n’ai jamais teint mes cheveux blancs que j’ai depuis plus de quarante ans.
En octobre 2020, vous avez publié votre livre Moi, vieille et jolie aux Éditions Le Cherche Midi. De quoi parle-t-il?
Au départ, je tenais une sorte de journal. J’écrivais à ma famille et à mes amis en France pour leur raconter mes expériences de shootings souvent drôles, mes voyages et ma vie en Angleterre. D’un autre côté, alors que j’étais sous les projecteurs en Angleterre, mon père mourait en France.
J’ai voulu montrer que la vraie vieillesse, c’est quand on n’est plus capable de marcher, d’échanger, de lire ou d’écouter de la musique et que l’on attend sur un lit de mort. Je raconte avec humour, autodérision et tendresse que tant qu’on est en forme, on n’est pas vieux.
«Ne pas avoir d’a priori ni sur l’âge ni sur les nationalités, c’est cela qui rend une personne riche.» – Sylviane Degunst
Quels sont vos futurs projets?
Je publie mon second roman dont le sujet principal est la fidélité. J’y raconte ce que j’ai vécu en Haïti de façon romancée car cette époque est fondatrice pour moi. Vivre dans un des pays les plus pauvres de la planète ne laisse pas indemne.
Je travaille également à l’Appartement français, un concept store parisien. J’aimerais aussi faire d’autres shootings pour comparer.
Que conseilleriez-vous à des personnes de plus de 50 ans qui souhaiteraient se lancer dans de nouveaux projets professionnels ou personnels?
Ce n’est pas parce qu’on a 50 ou 60 ans que l’on doit rester dans son milieu social, professionnel et/ou générationnel. Rester curieux et oser se mélanger aux autres me paraît un bon départ pour être en forme.
Ne pas avoir d’a priori ni sur l’âge ni sur les nationalités, c’est cela qui rend une personne riche.
Interview Léa Stocky Photo Lorna Milburn
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