Halle Berry est une actrice à succès depuis plus de 30 ans. En 2020, elle passe pour la première fois derrière la caméra avec le film Bruised. Diffusé sur Netflix en 2021, le film narre les péripéties d’une combattante de MMA, les arts martiaux mixtes. Dans l’interview qui suit, l’actrice oscarisée nous parle de son métier, de ses succès et de ses doutes.
Halle Berry, vous êtes dans le monde du cinéma depuis plus de trente ans. À 54 ans, vous avez tourné votre premier film en tant que réalisatrice. Comment cela s’est-il passé?
Comme je l’ai souvent fait dans ma vie: j’ai reconnu une opportunité et je l’ai abordée sans crainte et sans la planifier. Le rôle principal de Bruised était à l’origine écrit pour une jeune fille irlandaise catholique de 22 ans. Cependant, une protagoniste de mon âge me semblait plus intéressante: quand on fait une erreur à 22 ans, on fait un deuxième essai. À mon âge, au contraire, on se retrouve vite face à notre dernière chance. Je voulais jouer ce rôle et déplacer le décor dans le Bronx. Les producteurs ont accepté et m’ont chargée de trouver un réalisateur adéquat. J’en ai donc rencontré plusieurs – des expérimentés et des plus jeunes. Mais personne ne voyait cette histoire d’outsider comme moi. Finalement, on a proposé mon nom en tant que réalisatrice. Mais même là, j’avais encore des doutes.
Vouliez-vous déjà réalisé des films avant Bruised?
Oui, bien sûr. À l’époque, j’avais écrit un court-métrage que je voulais mettre en scène. Cependant, un long métrage dans lequel je jouerais également le rôle principal était un projet un peu trop ambitieux pour moi.
Comment avez-vous surmonté vos doutes?
Pour moi, c’était une folie de prendre la responsabilité d’un si gros projet pour un premier film. Mon amie Elaine Goldsmith-Thomas m’a encouragée et m’a dit: «Bien sûr que tu peux le faire. Personne ne comprend le sujet aussi bien que toi. Personne n’aime le livre autant que toi». J’ai alors passé une nuit à y réfléchir et le lendemain matin, je suis arrivée à la même conclusion: oui, je peux le faire.
Le soutien de votre entourage est-il important?
Les amis qui nous poussent vers le haut et qui nous disent de croire en nous sont très importants. Je savais que j’allais travailler plus dur sur ce rôle que sur n’importe quel autre auparavant. Je ne voulais pas que l’histoire tombe entre les mains de quelqu’un dont les visions ne correspondaient pas aux miennes. Cela aurait été un désastre et un échec pour moi.
Avez-vous eu peur d’échouer?
J’avais la trouille! Tous les réalisateurs ont peur au début. Ceux qui prétendent le contraire ne disent pas la vérité. Les personnes avec lesquelles j’ai travaillé m’ont dit qu’il est bénéfique de s’inquiéter un peu, car celui qui ne s’inquiète pas se moque du résultat et ne fait pas d’efforts pour donner le meilleur de lui-même. Le fait de pouvoir s’appuyer sur plus de trente ans d’expérience sur les plateaux de tournage m’a tout de même aidée. Le plus simple était donc de travailler avec les acteurs.
Sous la direction du réalisateur suisse Marc Forster, vous avez remporté un Oscar en 2002 pour Monster’s Ball. Vous a-t-il donné des conseils?
Marc Forster est un ami sur lequel je peux compter. Warren Beatty, avec qui j’ai tourné Bulworth, est également toujours disponible si j’ai une question. J’ai appris d’eux combien il est important d’engager les bonnes personnes, celles qui comprennent mon travail et ma vision, et de les laisser ensuite travailler. J’ai également aimé travailler avec Susanne Bier, qui connaît l’industrie d’un point de vue féminin, qui y a survécu et qui est de bon conseil.
Quel souvenir gardez-vous du moment où vous avez gagné l’Oscar?
Tout ce dont je me souviens provient du visionnage du reportage télévisé. Je n’avais pas gagné le Golden Globe, je pensais donc pas remporter l’Oscar non plus. Je n’avais pas préparé de discours et mon subconscient a alors pris le relais.
Votre travail devant la caméra dans Bruised est très exigeant physiquement. Vous jouez une combattante d’arts martiaux mixtes – à 54 ans, cela représentait-il un défi supplémentaire?
Ah, ce chiffre! Ma contribution à John Wick 3 n’est-elle pas une preuve suffisante sur ce sujet? Je sais que j’ai atteint un certain âge. Mais il est vraiment temps que nous, les femmes, mettions un coup de poing dans la figure de cette discrimination par l’âge. J’en ai marre d’être définie par le nombre sur mon certificat de naissance. Je suis plus en forme que jamais. J’ai cependant modifié mon entraînement. Si 20 minutes par jour suffisaient auparavant, il me faut aujourd’hui 40 minutes pour obtenir le même résultat. En revanche, je ne conseillerais à personne de me voler mon sac à main dans la rue, car je leur réserverais certainement une surprise. La première loi des arts martiaux est de n’utiliser ses capacités que lorsqu’on ne peut plus faire autrement. Les combattants que j’ai rencontrés pour le film sont les personnes les plus douces et les plus gentilles que j’ai rencontrées.
Ce n’est pas la première fois que vous changez de métier car vous étiez à l’origine mannequin. Que cherchiez-vous dans la comédie que vous ne trouviez pas dans le mannequinat?
Je cherchais un endroit où l’on entendrait ma voix, où je pourrais exprimer ce que j’avais à dire. En fait, je ne voulais pas devenir actrice, mais journaliste. Je pensais parcourir le monde et faire des reportages pour les journaux télévisés. Puis l’univers en a décidé autrement et je l’ai laissé faire – comme maintenant avec mes débuts de réalisatrice. Je ne suis pas toujours la voie que j’ai imaginée, mais parfois je suis simplement le chemin qui s’ouvre devant moi. Et je ne m’en suis pas trop mal sortie au fil des ans.
A-t-il été facile de passer du mannequinat au cinéma?
À l’époque, je devais auditionner pour le rôle de la belle épouse dans Jungle Fever de Spike Lee. Cependant, le rôle de la prostituée du crack m’attirait davantage, car il me permettait de me débarrasser de cette enveloppe extérieure qui me définissait à l’époque. Je ne peux pas dire que Spike Lee a tout de suite vu ce que j’avais à offrir, mais je lui suis éternellement reconnaissante de m’avoir finalement donné le rôle.
Dans quelle mesure ce rôle a-t-il été déterminant pour votre carrière?
Non pas que je n’ai plus joué de rôles pour lesquels le physique était important par la suite, mais à partir de là, on a vu en moi bien plus qu’un joli visage. Malgré tout, j’ai dû me battre à nouveau pour Monster’s Ball. Le producteur Lee Daniels, que j’aime beaucoup, a dit à l’époque que je ne correspondais pas au rôle. Marc Forster s’est beaucoup battu pour moi, car qui peut vraiment dire à quoi doit ressembler quelqu’un qui souffre?
Vous avez été la première actrice noire à remporter un Oscar dans la catégorie «Meilleure actrice». Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Je savais que c’était un moment important. Au fil des années, les gens m’ont dit à plusieurs reprises comment cette victoire avait changé quelque chose dans leur esprit en leur redonnant confiance et en leur montrant ce qu’ils pouvaient accomplir. Ce qui est triste, c’est que vingt ans plus tard, je suis restée la seule actrice noire à avoir reçu ce prix. J’espérais vraiment que d’autres actrices noires auraient entre-temps été récompensées dans cette catégorie. Je suis reconnaissante de cette récompense. Elle a changé ma vie de bien des façons, mais je n’ai jamais voulu qu’elle me définisse.
Que voulez-vous dire par là?
J’ai continué à essayer de prendre des risques en tant qu’actrice. Mes choix de rôles n’ont pas toujours été compris par tout le monde et j’ai dû les assumer – ce qui n’est pas toujours facile une fois que l’on a remporté le plus grand prix de l’industrie du cinéma.
Interview Marlène von Arx
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