Aujourd’hui, la ville semble cristalliser tous les maux, notamment de notre aménagement du territoire, prétendument en souffrance parce que trop impactant sur le plan environnemental, social, économique, climatique, en termes de ressources, de mobilité, de consommation, etc.
La ville est surtout le lieu des paradoxes puisque son développement s’accompagne aussi de progrès sociaux, économiques, d’impact territorial plus raisonné, de limitation des déplacements, de développements de la mobilité collective et de la mobilité douce.
Elle est aussi l’expression de la proximité, voire de la circularité quand elle se fait ville du quart d’heure, qu’elle concentre un nombre important d’emplois et de logements, d’équipements, de services, accessibles facilement au plus grand nombre, qu’elle limite l’étalement urbain grâce à une meilleure densité.
Dès lors, le défi qui s’offre à nous n’est pas tant de limiter le développement urbain que de l’accompagner et l’optimiser. On sait en effet aujourd’hui que la meilleure réponse à l’impact territorial de l’activité humaine est de concentrer les zones constructibles, d’optimiser leur usage, de favoriser les connections entre elles par des infrastructures lourdes et seule la ville offre une vraie réponse en la matière.
Mais commençons par le commencement.
Les acquis de la révolution industrielle, les avancées technologiques, le développement économique qui ont permis une espérance de vie et une protection sociale uniques dans notre histoire ne sauraient souffrir d’une quelconque réversibilité. Si quelques utopies décroissantes, des manifestations d’activistes, ou encore des théories du chaos ou du collapse peuvent parfois rencontrer un certain écho, voire une estime, il leur manque un franc soutien populaire, car nos semblables aspirent bien naturellement au maintien de ces acquis.
La question n’est donc pas tant leur remise en cause que leur partage avec ceux qui ont moins. Faire mieux avec moins en quelque sorte et c’est là que se situent les principaux enjeux.
Très concrètement, nos villes sont construites sur des standards qui reposaient sur la fiction de l’énergie infinie et de l’intangibilité climatique. Or, nous savons tous aujourd’hui que cela ne marche pas comme ceci. Pourtant, face à une prétendue urgence, c’est la passivité et la tétanisation qui prédominent, à l’inverse de ce que nous avons su faire en matière sanitaire quand l’épidémie menaçait. Ce n’est pas tant une question de degré d’urgence que de circonstances et de difficultés à appréhender un danger diffus. Comme le fumeur qui sait qu’il met en péril sa santé, mais qui n’en mesure pas immédiatement les effets.
Et c’est là que les entreprises, avec leur savoir-faire, leur capacité d’innovation, leur créativité, leur responsabilité, ont des réponses à apporter.
Le domaine bâti, nos villes pour faire simple, consomme une part très importante des énergies fossiles. Un assainissement est urgent et s’impose. Les considérations patrimoniales, esthétiques, architecturales ont toute leur place, mais les arbitrages doivent maintenant se faire plus vite, mieux, et en faveur de l’intérêt public prépondérant que représentent les économies d’énergie.
Assainir massivement les bâtiments, les entreprises savent faire. Démolir et reconstruire mieux également. Préserver la matière, elles y travaillent. Valoriser des matériaux plus vertueux, c’est une préoccupation permanente.
Mais cela passe aussi par un peu de raison et de pragmatisme.
Quand on promet de planter des dizaines de milliers d’arbres dans l’aire urbaine, pour lutter contre les îlots de chaleur, et sans remettre évidemment en cause l’impact thermique de ceci, l’on ne se pose pas la question de savoir à quelles conditions, comment et où cela peut se faire. Or, la production des pépinières risque de ne pas pouvoir suivre. La disponibilité territoriale implique non seulement de dégrapper (enlever le goudron) de nombreux axes de circulation, mais même sans doute de démolir des bâtiments (habitations notamment) existants, pour faire de la place aux arbres. Cela devient particulièrement incohérent lorsque l’on sait que la densité urbaine est justement une réponse à l’impact climatique excessif de l’étalement. Il est donc illusoire de s’aventurer sur ce terrain et l’on ferait mieux de réfléchir à la ville de demain en termes modernes, plutôt que de vouloir revenir à son sens étymologique originel.
Et c’est ici que la notion de ville du quart d’heure précitée prend tout son sens avec la proximité des services qui appelle une densité suffisante de bénéficiaires. On doit pouvoir travailler et se loger dans le même quartier, dans des bâtiments économes en énergie, isolés pour se protéger des écarts thermiques les plus importants. La mobilité doit être assurée par des moyens dits « doux » (marche, vélo) et par des infrastructures performantes (transports publics), qui ne sont possibles que si le nombre d’usagers est suffisant. Cela signifie que la ville est appelée à se développer.
Sans doute que la mobilité carbonée, que l’accessibilité de tous les lieux urbains par tous les moyens de transport, en particulier ceux individuels comme la voiture, est une époque révolue, mais sans alternative réaliste, point de salut. Une fois de plus, la ville est une réponse crédible, cohérente et durable.
Enfin, la ville doit consommer moins, mieux, de façon plus circulaire et de proximité.
On ne peut pas faire de grandes théories sur les limites planétaires, le capitalisme prétendument prédateur, la croissance destructrice et vouloir un État de plus en plus généreux, des prestations sociales croissantes. C’est un non-sens de recourir à des prestataires, des matériaux, des éléments constructifs venant de l’autre bout du monde pour des questions de délais et de prix, permettant la réalisation de logements bon marché. Cela devient absurde de protéger certains éléments patrimoniaux au détriment d’une utilisation rationnelle et modérée de l’énergie à disposition. Il n’y a aucun sens à vouloir se passer de technologie alors que cela permet des avancées notoires en termes environnementaux, sociaux et économiques. Par exemple, des solutions de chauffage et de rafraîchissement décarbonées existent aujourd’hui grâce à ces innovations. L’utilisation de la température du Lac Léman en est la meilleure illustration.
La ville ne doit pas (ou plus) faire peur. Elle représente une opportunité, une richesse, l’avenir. Elle ne doit plus être un lieu fantasmé – en bien ou en mal – mais l’expression d’une activité humaine tournée vers l’avenir, la prospérité, le respect social et environnemental, le progrès, l’ouverture.
Les métiers du bâtiment sont là pour rêver la ville de demain, la construire, la vivre, l’entretenir. Ils offrent des perspectives passionnantes à leurs employés actuels et aux futurs qu’ils forment à longueur d’année. La ville doit rester le formidable terrain de jeu qu’elle est. Longue vie à la ville !
Texte Nicolas Rufener, directeur constructionromande
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