multiculturalité multiculturalité: « nous avons certes progressé, mais nous pouvons progresser davantage »
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Diversité Société

Multiculturalité: « Nous avons certes progressé, mais nous pouvons progresser davantage »

30.03.2023
par Maévane Mas

La multiculturalité est une réalité omniprésente dans les villes d’aujourd’hui, avec des populations de plus en plus diverses sur le plan ethnique, culturel et religieux. Cette diversité apporte de nombreux avantages, mais peut aussi présenter des conflits. 

Marco Martiniello, directeur de recherche aux Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS) en Belgique et professeur à la faculté de sciences sociales à l’Université de Liège et professeur invité à l’Université de Genève en 2017, aborde la question de la multiculturalité dans nos sociétés.

Marco Martiniello, qu’est-ce que la multiculturalité ?

La multiculturalité renvoie à une description évolutive de nos sociétés dans lesquelles se développe une grande diversité culturelle. Il est toutefois important de faire la distinction entre la multiculturalité et le multiculturalisme. Ce dernier renvoie plus souvent à un projet de société qui met en avant la diversité culturelle au moyen de politiques publiques particulières. Le multiculturalisme est un projet politique ou une vision de société qui encourage cette diversité empirique. Lorsque l’on parle de multiculturalité, c’est plus à un niveau descriptif.

Comment cette multiculturalité a-t-elle évolué au fil des dernières décennies ?

Les migrations ont toujours eu lieu, bien qu’en Suisse la question de la migration ait commencé à se poser après la Seconde Guerre mondiale avec le développement industriel. Une forte motivation économique a engendré un recrutement de main-d’œuvre dans toute la Suisse. Toutefois, le pays ne pensait pas qu’un enracinement de ces travailleurs aurait lieu. Puis est venu la question de la protection des demandeurs d’asile en fonction des conflits qui se sont déroulés, et cela continue aujourd’hui. De nos jours, être suisse est bien différent d’il y a 50 ans.

Quels sont les principaux effets de la multiculturalité ?

La diversification de la société nous force à nous interroger sur qui nous sommes et sur ce que veut dire être suisse aujourd’hui. C’est ce qu’on appelle la fonction miroir de la migration; elle nous force à nous regarder, à nous redéfinir. En conséquence, nous pouvons développer une attitude plus inclusive, ou plus exclusive. 

L’effet de cette multiculturalité est aussi un changement de nos modes de vie; la nourriture que nous mangeons, la musique que nous écoutons, nos formes de sociabilité. Nous avons aujourd’hui une panoplie de restaurants indiens, thailandais, grecs, turcs, etc., ce qui n’était pas le cas il y a 50 ans.

Finalement, il y a les débats actuels qui visent à savoir si la diversité est profitable au niveau économique ou non. Nous remarquons à l’échelle mondiale que les villes citées comme les plus créatives et dynamiques, et qui produisent le plus de richesse, sont des villes très diversifiées telles que New York, Sydney ou Londres. Cependant, les opposants diront que la diversité est un poids sur la sécurité sociale, par exemple. Cette image que les étrangers viennent profiter du bien-être suisse persiste, alors que les personnes migrantes se trouvent bien souvent dans cette situation car elles ne sont pas incluses dans la dynamique économique, généralement à cause de discriminations ethniques et raciales. 

Comment favoriser justement une inclusion sociale et professionnelle concrète et efficace ? 

Il n’est pas possible d’ignorer la multiculturalité. C’est un processus qui est là et qui va s’amplifier. Les conflits tels que celui en Ukraine font que les pays environnants reçoivent des demandes de protection. Le problème est que nous avons souvent du mal à appréhender la multiculturalité et la diversité car nous avons été baignés dans une logique fondée sur l’homogénéité. Il y a donc un décalage entre notre représentation fondée sur le mythe de l’État nation et la réalité sociologique qui est beaucoup plus diversifiée. Je pense aussi que le terme d’inclusion occulte les phénomènes de discrimination et d’inégalité, car une personne peut à la fois être incluse et subir des inégalités et des discriminations. L’éducation pourrait jouer un rôle important à ce niveau-là. 

Qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour éviter ces discriminations ? 

Des lois contre la discrimination et le racisme existent, mais elles sont souvent mal appliquées. Les personnes discriminées ont encore du mal à mettre en œuvre ces lois, souvent par manque d’information. Le premier enjeu est donc de faire fonctionner les dispositions qui existent déjà et qui permettent de lutter contre les inégalités et les discriminations. 

Il existe aussi beaucoup de politiques de la diversité, notamment dans les entreprises. Mais je suis un peu sceptique par rapport à cela. D’un côté, elles peuvent avoir un effet symbolique sur le long terme et montrer que la diversité est représentée. Toutefois, cela peut aussi avoir l’effet pervers de nous convaincre que le racisme ou la discrimination n’existent plus. C’est pourquoi je pense que les politiques d’inclusion ne doivent pas prendre la place de politiques de lutte contre les discriminations ou de lutte contre le racisme. Ce sont des composantes différentes qui peuvent se combiner. 

Finalement, beaucoup de personnes migrantes veulent apprendre la langue du pays dans lequel elles s’installent. Il est important de les encourager dans cet apprentissage et de leur offrir un soutien. Il y a aussi une évolution à faire au niveau de la reconnaissance des diplômes, particulièrement en Suisse. Cela permettrait à des personnes qui ont de l’expérience de s’intégrer plus facilement sur le marché du travail.

Vous l’avez dit, nos villes sont de plus en plus multiculturelles. Comment voyez-vous l’évolution de cette tendance-là ? 

Certes les villes sont de plus en plus multiculturelles, mais elles sont aussi de plus en plus inégalitaires. La classe moyenne tend à s’amenuiser: des personnes ont des moyens élevés tandis que d’autres luttent pour subvenir à leurs besoins de base. Le risque de tension est très fort, nous pouvons l’observer dans certaines villes. 

Cette diversité va continuer à exister et à s’accentuer. La question est de savoir comment améliorer les conditions de vie pour tout le monde. Pour cela, il faut y mettre de l’énergie, lutter contre les inégalités et les discriminations. Il y a un potentiel énorme dans les villes, mais il est nécessaire de sortir de cette tension grâce à la mise en place de dispositifs concrets ainsi qu’une meilleure mise en œuvre des dispositions légales qui existent. Nous avons certes progressé, mais nous pouvons progresser davantage. 

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