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Culture Société

Favolacce: l’être humain et le tourment existentiel

06.10.2020
par Andrea Tarantini

Récompensé au Festival de Berlin pour le meilleur scénario, Favolacce, le nouveau film des frères d’Innocenzo, est une œuvre cinématographique complexe et stratifiée qui nécessite d’une analyse approfondie pour être comprise au mieux. 

Complexe, stratifié, hybride et courageux, voici comment on pourrait décrire le nouveau chef-d’œuvre des frères d’Innocenzo. Ce film, présenté également au Festival du Film de Zurich, mêle des genres et des styles différents créant ainsi une atmosphère inquiétante et cauchemardesque mais également une étrange et surprenante harmonie. Mais quels sont les principaux thèmes abordés par les réalisateurs italiens? Que signifie le film Favolacce? Nous vous proposons une analyse thématique.

Le tourment existentiel

En apparence, la vie que mènent les habitants du quartier de Spinaceto, une banlieue de Rome, est paisible et satisfaisante. Toutes les familles présentées dans le film appartiennent en effet à la bourgeoisie moyenne et vivent une vie tranquille: tous se connaissent, partagent des soupers et des piscines gonflables, les parents ont un travail et les enfants ont de bonnes notes à l’école.

Pourtant, déjà au début du film, on se rend compte que cette apparence est fragile et qu’il se passe en fait des choses étranges à Spinaceto. Par exemple, deux parents et leurs deux enfants sont assis sur leur canapé et écoutent des faits divers morbides à la télévision, cela en silence et sans cligner des yeux. D’ailleurs, pendant le souper, les enfants sont obligés de lire à haute voix leurs bulletins scolaires et sont ensuite traités comme des trophées par leurs parents.

Dès les premières minutes du film, on remarque que tous les adultes vivent dans un flou existentiel constant. Ils sont en effet tourmentés: ils ne sont ni riches ni pauvres, ni contents ni tristes, ni vraiment heureux ni tristes, ils se plaignent toujours de tout, ne profitent pas des bons moments et s’ennuient même pendant les vacances. Toute leur existence se base en fait sur une apparence très fragile.

Des hommes ou des bêtes?

La frustration éprouvée par les adultes se traduit, chez les mères, par une incapacité à aimer, une passivité globale ainsi qu’un égoïsme extrême. Ces traits les mènent à rabaisser même leurs propres enfants. Chez les hommes, la frustration et l’incertitude existentielle débouchent sur une violence constante et inutile. Au sein de chaque famille, ce sont les pères qui décident de tout: ce qu’il faut manger, quand il faut rire ou pleurer. Leur insatisfaction aboutit aussi à une répression sexuelle traduite par des commentaires inappropriés, des désirs malsains et des actes ayant lieu même devant leurs enfants. Dans Favolacce, les femmes sont passives et les hommes sont des bêtes qui font prévaloir leurs instincts primaires. Ainsi, la relation homme – culture est annihilée au profit d’une relation homme – nature principalement malsaine.

Tous les adultes vivent dans un flou existentiel constant.

Des enfants fantômes

Et les enfants dans cette histoire? Bien qu’ils soient tous silencieux et apathiques, les enfants sont les personnages principaux de Favolacce. En effet, c’est sur les plus petits que retombe la frustration des adultes. Incapables de communiquer et d’exprimer leurs sentiments, les enfants sont les véritables victimes du film des frères d’Innocenzo. Ce sont en fait des enfants «vides», ni tout à fait enfants ni adultes, curieux de découvrir l’amour et le sexe mais incapables d’en ressentir le besoin.

Les plus petits, comme leurs parents, vivent aussi dans un flou existentiel. Ils se trouvent dans l’impossibilité de grandir mais, en même temps, dans l’impossibilité de profiter pleinement de l’insouciance de l’enfance. Pourtant, contrairement aux adultes, les enfants veulent à tout prix sortir de leur situation. Ils essayent donc d’agir afin de trouver la paix. Il n’y a ni héros ni anti-héros à Spinaceto, mais les choses doivent tout de même changer.

ATTENTION: SPOILER!

La solution ultime 

Comment les enfants peuvent-ils sortir de leur insatisfaction existentielle et trouver la paix? Ils y essayent en construisant une bombe. Cependant, leur plan ne fonctionne pas car la cousine du petit Geremia trouve l’engin explosif. Cet échec ne démotive pas les enfants car la mort semble être la seule solution à leur mal-être. C’est pourquoi, ils écoutent attentivement les leçons de leur professeur de sciences et décident de se donner la mort avec un puissant pesticide. Cet acte atroce et bouleversant mène les adultes à se rendre compte de leurs échecs. Mais c’est trop tard malheureusement!

C’est sur les plus petits que retombe la frustration des adultes.

Le professeur de sciences est un autre personnage étrange. Il n’appartient en effet ni au monde de ses élèves ni à celui des adultes, de ses collègues par exemple. C’est lui le seul adulte qui pense que la mort est la solution ultime et qui, bien que cela paraisse malsain, essaye de sauver ses élèves afin qu’ils ne deviennent pas les futurs adultes de Spinaceto.

Un autre personnage intéressant est celui de Vilma, la jeune femme qui vient d’entrer dans le monde des adultes, qui a une fille et qui, pourtant, ne fait ni partie du monde des enfants qu’elle fréquente ni de celui des adultes. Encore jeune, elle est liée émotionnellement à sa mère mais elle a déjà un pied dans le monde des adultes puisqu’elle a un bébé. Vilma s’avère donc le personnage le plus emblématique de Favolacce: elle doit grandir, prendre soin de son bébé et risquer ainsi de reproduire le même cycle et les mêmes erreurs commises par ses parents et par tous les adultes de Spinaceto. Choisira-t-elle cette vie, risquant de venir une copie de sa mère, ou considérera-t-elle aussi que la mort est la solution ultime?

Ce film a le pouvoir de susciter la réflexion, qu’elle soit positive ou négative.

La nécessité de réfléchir

Que penser alors de cette histoire racontée dans le fameux journal intime trouvé par la voie narrative? S’agit-il vraiment d’un journal «qui tire son inspiration d’une histoire vraie, à son tour inspirée d’une histoire fausse, qui elle n’est pas très inspirante»? Est-ce une histoire trop pessimiste? Si c’est le cas, comme le suggère la voix narrative, il faut donc tout recommencer depuis le début.

Cependant une question persiste: un nouveau départ changera-t-il la fin de l’histoire ou s’agira-t-il simplement du début d’un nouveau cycle? Dans tous les cas, qu’elle plaise ou ne plaise pas, qu’elle choque, indigne ou surprenne, Favolacce ne laisse pas les spectateurs indifférents. Ce film a le pouvoir de susciter la réflexion, qu’elle soit positive ou négative. C’est pourquoi nous vous le conseillons vivement!

«Oh come t’inganni
se pensi che gl’anni
non hann’ da finire,
bisogna morire.»

«Oh comme vous vous trompez
si vous pensez que les années
ne finiront jamais,
il faut mourir.»

Texte Andrea Tarantini

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