« Les banques ont tout intérêt à recruter des jeunes formés aux technologies modernes »
Gestion des risques, nouvelles technologies, développement durable, le monde de la finance a largement évolué ces dernières décennies, et avec lui la formation en finance. Plus que jamais, la Suisse a aujourd’hui besoin d’étudiants qui sauront gérer les nombreux défis de demain.
Le Professeur Michael Rockinger est directeur du master en finance à HEC Lausanne depuis plus de vingt ans. Au fil des années, l’offre de formation y a été adaptée en fonction des changements du secteur financier. Il nous explique comment dans cette interview.
Michael Rockinger, avez-vous pu noter de récentes évolutions dans l’enseignement de la finance en Suisse ?
Il y a eu un certain nombre de surprises dans le domaine de la finance. Cela a commencé dès la fin du XXème siècle et la faillite d’Enron qui a été une vraie révolution dans le domaine des aspects comptables. Il y a ensuite eu la crise de l’internet dans laquelle on s’est rendu compte que les jeunes pousses pouvaient représenter un grand risque. En 2008 est ensuite arrivée la crise financière. Plus récemment, la pandémie de la Covid-19 et l’émergence de technologies nouvelles ont bousculé le secteur. À chaque fois l’enseignement a été adapté.
La finance était très quantitative et mathématisée jusqu’en 2008. À ce moment-là, nous nous sommes rendu compte que les modèles étaient très esthétiques mais qu’ils ne répondaient pas à la réalité des marchés. La formation pondère désormais de manière significative la gestion des risques. Nous avons aussi élargi l’économétrie au Machine Learning puis nous avons introduit l’analyse de données. Cela correspond au Big Data et au fait que des grosses bases de données sont désormais disponibles. On s’est aussi adapté à la disparition du LIBOR avec les changements que cela entraine.
Quelle est l’évolution du nombre d’étudiants ?
Dans le master, nous sommes passés de 44 étudiants il y a une vingtaine d’années à 200 étudiants l’année dernière. À l’époque, il y avait une admission sur dossier jusqu’à l’adoption du processus de Bologne qui a permis d’accueillir plus d’étudiants.
Il est important de noter que nous sommes passés de 8 à 9 % de femmes étudiantes à plus de 30 % aujourd’hui. De même, pour les professeures à la faculté, nous sommes passés de 0 % à 30 %.
Qu’en est-il des débouchés ?
En 2017 et selon la demande de la part des banquiers et des industries, nous avons scindé le master en trois orientations : la Finance d’entreprise, la Gestion d’actifs et des risques et l’Entrepreneuriat financier et la science des données, le Fintech en somme. Le profil des étudiants est ainsi beaucoup mieux défini et cela permet de trouver une meilleure adéquation en termes d’emplois.
Les plus grands recruteurs sont les banques, qu’elles soient cantonales, régionales, d’investissement, etc. On retrouve également les cabinets d’audit. Une minorité se dirige enfin vers des doctorats.
En matière de débouchés, le cas de Credit Suisse reste la grande inconnue. On se demande si le rachat de la banque aura des conséquences sur le nombre d’étudiants qui s’inscrivent en finance et sur la situation du marché du travail. Un certain nombre de personnes risquent en effet de devoir se diriger vers d’autres métiers. Pour l’instant, je n’ai pas vraiment d’inquiétudes car nous avons des étudiants qui sont très compétents et les banques ont tout intérêt à recruter des jeunes formés aux technologies modernes.
Je crains qu’avec la faillite du Credit Suisse, la place financière suisse à l’international soit ébranlée. Les banques suisses doivent revoir leur modèle d’affaires et prioriser la qualité et la transparence. Ainsi, se doter d’outils statistiques et quantitatifs leur permettra de gérer les risques et d’effectuer l’allocation des actifs avec des techniques de pointe. Certains pays l’ont compris et les banques suisses ont toujours eu un retard dans ce domaine. Le secret bancaire les a bien aidées, mais c’est fini. Les étudiants ont donc toute leur place dans ce secteur pour combler ses lacunes. Il faudrait aussi que d’un point de vue général, les gens s’intéressent plus à la finance, comme on peut s’intéresser à l’art ou à la politique.
La finance est aussi soumise à l’évolution de la digitalisation, avec de nouveaux défis tels que la cybersécurité. Comment la formation s’y adapte-t-elle ?
Dans notre programme, les étudiants qui sortent de l’orientation Fintech savent travailler avec des informaticiens et apprennent à programmer à haut niveau. Ils sont aussi formés aux monnaies digitales, les cryptos, et aux techniques informatiques qui vont avec. Par contre, tout ce qui concerne les cyberattaques par exemple est laissé aux spécialistes du domaine.
Qu’en est-il de la formation pour une finance plus durable (développement durable, critères ESG, etc.) ?
La finance responsable est un concept ancré depuis très longtemps à HEC Lausanne. Il faut vraiment différencier les trois domaines de l’ESG. Le social est assez facile à quantifier : il s’agit des conditions de travail ou encore de l’égalité des genres par exemple. La question de la gouvernance fait quant à elle partie des retombées de l’affaire Enron et de la crise de 2008 : on a compris qu’il faut aussi un régulateur en plus des aspects comptables. Je dirais que c’est un domaine qu’on maitrise bien, en tout cas en théorie. Le Credit Suisse est le contre-exemple. Vient se greffer à ces deux critères tout ce qui relève de l’environnement, avec des enjeux tels que la biodiversité, l’érosion des sols ou encore le réchauffement global. Les acteurs de la finance ont la possibilité d’agir directement sur certains secteurs comme ceux du fossile qui sont responsables des émissions de CO2. En revanche, agir sur des concepts globaux comme la pauvreté sont plutôt du domaine politique que bancaire. Ce domaine est en pleine évolution. Les étudiants ont également des cours d’éthique dans lesquels leur sont enseignées les valeurs essentielles pour répondre à ces problématiques.
Comment la formation en finance intègre-t-elle la gestion des risques ?
Avec Enron, on s’est rendu compte que la comptabilité n’était pas faite pour parer aux risques des entreprises. Ce scandale a donc donné lieu à de nombreuses réformes. Nous enseignons aujourd’hui des modèles de statistiques qui permettent de délimiter les risques entrepreneuriaux mais aussi ceux dus aux catastrophes naturelles. Il est ainsi possible de couvrir les risques financiers avec des instruments dérivés, tels que ceux liés aux taux de change. On peut aussi chercher à mieux adapter ses portefeuilles pour être plus résilient en cas de crise financière.
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