Qu’ont en commun la conquête de la lune, les attentats du 11 septembre 2001 et la pandémie de coronavirus? Ces trois événements se sont déroulés sur plus de cinquante ans et, à première vue, rien ne le relient. Sauf peut-être une chose! Ils constituent un terrain susceptible de donner vie à un certain nombre de théories conspirationnistes. Comment une théorie du complot se concrétise-t-elle? Qu’est-ce qui la rend si dangereuse? Explications.
Le coronavirus est en fait une arme biologique et sort tout droit d’un laboratoire, la 5G propage le virus et Bill Gates tente de contrôler l’humanité par des vaccinations obligatoires – voici seulement trois exemples des théories de complot qui circulent actuellement sur la crise sanitaire due au Covid-19. Mais pourquoi ces dernières se répandent si largement? «Bien sûr qu’il existe de véritables complots mais ce n’est pas toujours le cas», affirme Dieter Sträuli, psychologue et président d’infoSekta, l’office spécialisé dans les questions sectaire. Selon l’expert, «les théories du complot diffèrent par leur structure et dans le comportement qu’elles occasionnent chez les personnes qui y croient».
Réelles conspirations ou théories?
Il est important de faire la différence entre les véritables complots et les théories. Car les différents effets qu’ils peuvent engendrer sont frappants. Dieter Sträuli explique: «lorsque des conspirations criminelles sont mises à jour, cela peut être surprenant, mais en fin de compte, elles restent dans le cadre du crime organisé tel que nous nous l’imaginons. En revanche, les théories du complot, elles, décrivent des organisations mondiales opérant dans l’ombre ou de puissants services secrets dont on ignore l’existence».
Des théories de complot persistantes
La raison pour laquelle les théories du complot reçoivent autant d’attention est relativement simple: il n’existe aucune preuve qu’elles ne soient pas vraies. «À titre d’exemple, nous n’avons pas pu prouver que Bill Gates n’est pas derrière la pandémie de coronavirus. Donc, il est difficile de convaincre du contraire tous les théoriciens du complot», illustre Dieter Sträuli. Mais où se situe alors la limite entre la paranoïa et la croyance? «Je pense que nous sommes tous enclins à croire à certaines théories du complot. Mais, à la différence des fanatiques, nous admettons rapidement que certains détails semblent sortis de la fantaisie», affirme le psychologue.
Je pense que nous sommes tous enclins à croire à certaines théories de complot – Dieter Sträuli
Les rouages du concept
Bien que les théories conspirationnistes diffèrent grandement en termes d’acteurs, de temps et de lieu, elles possèdent néanmoins quelques points communs. Pour Dieter Sträuli, ces spéculations sont construites autour d’une histoire relativement simple. «Elles pointent du doigt des coupables pour ce qui va mal dans le monde. Ces derniers sont toujours de réelles personnes et font partie d’organisations secrètes. Ce ne sont jamais descauses ou de facteurs abstraits. En plus, ces vilains agissent dans l’ombre et toujours de manière délibérée.»
Auteurs, victimes et cibles
Selon Dieter Sträuli, les théories du complot sont ainsi faites qu’elles désignent également qui sont les auteursdu méfait, qui en sont les victimes et qui en sont les cibles. Typiquement, les coupables seront des individus ou des organisations puissants. «En général, dans ce genre de théorie, les victimes, c’est nous. Et les conspirateurs visent notre santé, notre liberté ou encore notre conscience», explique l’expert. «Dans la même logique, ces derniers nous embrument les idées, nous empoisonnent et nous manipulent. C’est donc facile de les désigner comme les responsables des difficultés que nous rencontrons dans la vie».
Un phénomène intemporel
La société est en constante évolution, et pourtant, les théories du complot ne cessent d’apparaître – est-ce une contradiction? «En fait, les théories du complot reprennent, d’une part, des sujets d’actualité, comme la pandémie actuelle», explique l’expert. «D’autre part, les théoriciens du complot remontent à l’Antiquité ou à d’autres époques mythiques pour chercher des coupables, comme les Templiers ou encore les Assassins, un ordre présumé de tueurs à gages.» Et cela fonctionne, parce que la base même de l’idée d’une conspiration ne repose pas sur le concept de temps. «Ce qui est important, c’est qu’autant les anciennes que les nouvelles théories du complot nous donnent la même chair de poule», conclut Dieter Sträuli.
La croyance déclenche une projection
La composante psychologique de la croyance en une théorie du complot est plus complexe qu’elle peut paraître- et donc d’autant plus dangereuse. Qu’est-ce qui déclenche cette croyance ferme? «La personne qui croit dur comme fer à un complot, a la certitude d’avoir localisé la cause de ses problèmes et de l’humanité entière», explique Dieter Sträuli. «D’ailleurs, c’est pourquoi il n’arrive pas à comprendre pourquoi les autres doutent de sa découverte. La théorie coïncide avec des idées inconscientes, qu’il projette sur d’autres personnes. Cette projection lui donne l’impression d’avoir raison», poursuit l’expert.
Un sentiment de triomphe
Selon Sträuli, la croyance dans les théories du complot permet une certaine jouissance. En effet, les théoriciens de la conspiration apparaissent rarement craintifs. Ils sont plutôt triomphants lorsqu’ils exposentleur sujet. «Une des explications possibles réside dans le fait que, pour eux, il est important que de telles positions exagérées de pouvoir, comme celles qu’occupent les conspirateurs, n’existent pas du tout. Il est alors possible pour les partisans de penser <moi aussi, je pourrais être dans cette position, du moins en théorie> ».
Théories du complot et fake news
Lorsque des théories du complot sont évoquées, souvent le terme de fake news suit dans la foulée. Dans quelle mesure ces deux phénomènes sont-ils liés? «Les concepts ne sont pas synonymes, mais ils sont proches dans leur signification», explique Dieter Sträuli. Les théories du complot représentent un cas particulier de fake news. Alors que la notion de «fake news» est utilisée de deux manières, premièrement comme une accusation contre les médias qui sont les messagers de «fake news», par exemple. Dans un deuxième axe, les fake news sont délibérément utilisées comme un moyen de propagande ou de publicité politique, il s’agit alors d’un usage délibéré de mensonges. «Les <fake news> sont donc un sujet de théories du complot ou une catégorie supérieure, à laquelle ces dernières appartiennent également», résume l’expert.
Les théories du complot sont construites de manière relativement simple: elles blâment des coupables désignés pour tout ce qui va mal dans le monde à un moment donné. – Dieter Sträuli
Le niveau d’études ne change rien
On pourrait croire que les personnes qui ont suivi de longues études sont moins enclines à croire dans une théorie du complot. Au contraire, c’est souvent le phénomène inverse qui se passe. Pourquoi? «Notre intellect est très complexe. Nous possédons tous des fantasmes inconscients dépassant toute raison, décrivant le grand amour par exemple, ou la vérité absolue et la liberté ou encore le bonheur», explique Sträuli. «Donc, si nous rencontrons dans notre entourage des personnes, des événements ou des textes qui semblent correspondre à nos fantasmes cachés, nous pouvons difficilement nous défendre. On pourrait comparer cela à un chant de sirène qui s’amplifie lorsque d’autres personnes profitent de notre faiblesse et entament un discours engageant», poursuit-il. Ainsi, il est bon de connaître nos propres fantasmes et nos vulnérabilités pour renforcer notre immunité intellectuelle.
Prévenir les théories du complot
En résumé, il ne faut pas sous-estimer les théories conspirationnistes et leurs effets. C’est pourquoi la prévention est nécessaire et utile. D’ailleurs, on peut contribuer à ne pas les propager en prêtant attention à quelques points. Dieter Sträuli conseille «de les étudier individuellement en détails et ensemble dans leurs schémas théoriques. Ainsi, il est plus simple de les réfuter de manière scientifique et journalistique, même si cela n’est possible qu’à petite dose». En effet, es théories du complot peuvent s’avérer dangereuses. C’est notamment le cas de l’antisémitisme qui a mené à une des grandes atrocités historiques de l’Europe, souligne le président d’infoSekta. Lorsqu’elles surgissent en politique, nous devrions les combattre dès qu’elles apparaissent.
Texte Lars Gabriel Meier
Traduit de l’allemand par Laetizia Barreto
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