Manuela Schär a vu sa vie changée pour toujours à la suite d’un accident survenu à l’âge de 9 ans. Aujourd’hui, à 35 ans, elle et son fauteuil roulant forment un duo sportif classé parmi les meilleurs dans le handisport international. Comment l’athlète a-t-elle appris à vivre avec sa paraplégie, comment se prépare-t-elle pour les compétitions, en quoi consistent ses entraînements, et pourquoi a-t-elle encore toutes ses chances face à des adversaires plus jeunes? Manuela nous explique tout lors d’une interview.
Manuela Schär, on peut qualifier votre saison 2018/2019 de point fort dans votre carrière. Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit lorsque vous y repensez?
Avec le recul, je peux affirmer que 2019 a été la meilleure année de ma carrière. J’aurais même presque du mal à déterminer un moment plus important que les autres. Évidemment, le fait d’être la première femme à remporter les six grands marathons dans la catégorie fauteuil roulant en un an m’apporte énormément de joie.
Vous avez mis la barre très haut pour 2020.
C’est vrai. C’est même dommage que les Jeux paralympiques ne se soient pas déroulés cette année. J’étais bien partie, j’y aurais peut-être été tout aussi performante (rires). Cependant, mes saisons précédentes ont également été excellentes pour moi, et je ne considère pas mes réussites passées comme une pression ou une contrainte: elles sont plutôt le précurseur de ce qui reste à venir. De plus, une année réussie ne signifie pas forcément que maintenant je vais faire moins bien.
Les prochains Jeux paralympiques se dérouleront à Tokyo. Pour vous, ce sera un peu comme rentrer à la maison. Qu’est-ce qui vous lie avec le Japon?
J’ai toujours été fan des Japonais et de leur culture, et plus particulièrement de leur cuisine. Cette relation a encore plus évolué lorsque j’ai commencé ma collaboration sportive avec le fabricant de voitures japonais Honda, dont je fais partie de l’équipe depuis 2017. Dans le cadre de cette collaboration, Honda m’a fourni un fauteuil roulant en carbone sur mesure, qu’ils ont su adapter parfaitement à mes besoins grâce à un scan en 3D de mon corps. En outre, en plus de me fournir le matériel parfait, ma collaboration avec Honda m’a permis de découvrir la culture japonaise sous un autre angle.
Qu’en est-il de l’accessibilité dans une grande ville comme Tokyo – par rapport à la Suisse?
Pour les personnes en fauteuil roulant, c’est pareil: au Japon, comme en Suisse, il y a encore une vraie marge de progression en termes d’accessibilité. Il est compliqué pour nous de prendre les transports publics, par exemple, et ce n’est pas forcément mieux dans les restaurants et les magasins.
Manuela Schär, vous êtes une handisportive professionnelle suisse. Comment se passe votre quotidien?
Heureusement, ma progression sportive de ces dernières années m’a permis de réduire ma charge de travail. Aujourd’hui, je ne travaille que sur 20 pour cent de mon temps, et je peux consacrer le reste de ma semaine à mon entraînement. Mon quotidien est donc très structuré: pour bien réaliser chacun de mes entraînements, ma semaine est très précisément planifiée. Et c’est le même planning, semaine après semaine. Mon jour de repos est le vendredi, et le reste du temps, je m’entraîne une à deux fois par jour.
Je pratique deux sessions de force par semaine, le reste du temps, je fais du cardio et de l’intervalle, soit dans mon fauteuil roulant soit à la manivelle.
Et plus concrètement, à quoi ressemblent vos entraînements?
Je pratique deux sessions de force par semaine, le reste du temps, je fais du cardio et de l’intervalle, soit dans mon fauteuil roulant soit à la manivelle. Les entraînements de force peuvent parfois être compliqués, car mon tronc n’est pas toujours complètement fonctionnel, ce qui complique la stabilisation de la partie inférieure de mon corps. À cause de cela, nous avons dû développer nous-mêmes des machines d’entraînement spéciales qui me permettent de m’ancrer au sol à l’aide d’un dispositif adapté.
Dans le monde du sport, l’alimentation joue un rôle prépondérant.
C’est également le cas pour moi. Bien sûr, la situation est un peu spéciale, car quand on est en fauteuil roulant on n’a pas besoin d’autant de calories qu’une personne sans handicap. En effet, en raison du dysfonctionnement musculaire de mes jambes, ma consommation de calories est amoindrie. Je dois donc faire attention à consommer les nutriments importants pour moi et en même temps à ne pas être trop dure avec moi-même. Il y a bien sûr toujours quelques variations, mais de manière générale mon alimentation est plutôt bien équilibrée.
Mentalement, comment vous préparez-vous aux compétitions?
Bien sûr, l’aspect mental est important, car la tactique peut s’avérer décisive sur les derniers mètres d’un marathon. C’est pour cela que de temps en temps, je retrouve mon coach mental, mais je n’y consacre pas énormément de temps. La raison en est simple: pour moi, ce serait comme tirer mes dernières cartouches, et je préfère conserver consciemment un certain potentiel d’amélioration. En outre, pour l’instant, je suis déjà très forte mentalement. Lors d’un marathon, notamment, il est important de toujours viser la «course idéale». Il faut attendre la fin pour penser à la tactique.
Vous êtes paraplégique depuis votre enfance. Une balançoire s’est effondrée sur vous et vous a blessée au dos. Comment se remet-on d’un tel événement à 9 ans?
Naturellement, les quelques temps qui ont suivi l’accident ont été extrêmement marquants. Ça a été particulièrement dur pour moi au début, car à cause de l’accident je n’ai pas pu rentrer chez moi pendant longtemps. J’ai passé six mois à l’hôpital et je me sentais souvent seule. Pendant cette période, j’ai appris que je devais assumer la responsabilité de mon propre corps. C’est un processus d’acceptation long et difficile. Il faut accepter que plus rien ne se passera comme on en avait l’habitude. Qu’on va devoir changer nos habitudes. Et que tout sera toujours «différent». Ça ne commence pas immédiatement: pendant très longtemps, j’ai essayé de me «fondre dans la masse». Dix ans après l’accident, c’était encore très important pour moi. J’y pense encore aujourd’hui, de temps en temps. Mais j’ai appris à vivre avec mon handicap, et j’en tire le meilleur. J’aime ma vie.
Que peut-on conseiller à des personnes qui auraient vécu un tel bouleversement?
C’est bien sûr difficile de faire une généralité. Chaque personne est unique et provient d’un environnement différent. Et cet environnement est précisément très important après un tel événement. On a besoin de gens qui soient là pour nous, qui nous soutiennent. De manière générale, la seule chose à dire, c’est: tout va bien se passer, mais cela va prendre un peu de temps. La vie vaut le coup, et elle le vaudra toujours.
Parlons un peu du futur: combien de temps souhaitez-vous participer aux compétitions internationales de haut niveau?
J’ai 35 ans, je suis dans la force de l’âge. Toutefois, je rencontre des adversaires plus jeunes de cinq à six ans et qui sont très fortes. Mais j’ai quand même toutes mes chances, puisque le marathon est surtout une question d’expérience. Pour l’instant je reste ouverte quant aux objectifs sportifs concrets que je souhaiterai réaliser dans les années à venir. Cependant, je continue de capter un certain potentiel en moi, mais bien sûr je ne pourrai plus participer à des compétitions de ce niveau d’ici dix ans.
Pouvez-vous vous imaginer passer du rôle d’athlète à celui d’entraîneur à l’avenir?
Sur le principe, oui. D’un côté, je m’imagine fidèle au sport, et en même temps je me dis que je pourrais également prendre un chemin complètement différent. L’avenir nous le dira.
A propos Manuela Schär
Manuela Schär est l’une des plus grandes athlètes suisses à concourir aux Jeux paralympiques en fauteuil roulant. Elle grandit à Altishofen (Canton de Lucerne). À l’âge de 9 ans, au goûter d’anniversaire de l’une de ses amies, elle se pose sur une balançoire qui n’était pas suffisamment ancrée au sol. La balançoire lui tombe dessus et la blesse gravement au dos. Manuela Schär est paraplégique depuis ce jour.
Manuela Schär a participé et remporté les Jeux paralympiques ainsi que plusieurs marathons en catégorie fauteuil roulant. Elle est la plus grande athlète, elle a donc pu décider d’elle-même de participer aux six plus grands marathons en un an.
Vous trouverez de plus amples informations sur www.manuelaschaer.ch
A propos de Swiss Paralympic
Swiss Paralympic accompagne tous les athlètes d’élite suisses porteurs d’un handicap lors de manifestations internationales de grande envergure. Elle prend en charge le financement et l’organisation de leur participation à ces dernières. Grâce aux donateurs et aux sponsors qui soutiennent Swiss Paralympic, nous sommes en mesure de réaliser nos rêves sportifs.
Vous trouverez de plus amples informations sur www.swissparalympic.ch
Texte SMA Images Daniel Streit
Laisser un commentaire