lumière sur les tabous de la maternité
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Femmes

Lumière sur les tabous de la maternité

31.08.2023
par Maévane Mas

La maternité est souvent décrite comme un voyage extraordinaire entre joie, bonheur et impatience de rencontrer son nouveau-né. Ce parcours s’avère toutefois bien plus complexe. Le chemin vers la parentalité peut en effet être jalonné de questionnements et d’émotions telles que l’anxiété et l’angoisse, voire la dépression. Cette réalité est souvent occultée dans notre société, laissant les jeunes parents en difficulté sans ressources adéquates.

Noémie FaurePsychologue en périnatalité

Noémie Faure
Psychologue en périnatalité

Catherine MonzièsSage-femme indépendante

Catherine Monziès
Sage-femme indépendante

Noémie Faure, psychologue en périnatalité dans différents centres pluridisciplinaires et dans les associations Dépression Postpartale Suisse et Né Trop Tôt, également membre du Comité de pilotage pour l’établissement de lignes directrices sur la dépression périnatale, revient sur le sujet. Catherine Monziès, sage-femme indépendante dans un centre pluridisciplinaire, donne un éclairage à travers son regard de sage-femme.

Noémie Faure, quels sont aujourd’hui les différents enjeux de la maternité ?

La maternité soulève aujourd’hui de nombreuses questions aux niveaux psychologique, social, économique et politique. La grossesse et le post-partum sont des moments charnières à divers égards sans que les futurs parents en aient réellement conscience. Cette période sensible est effectivement passée sous silence. Nous construisons alors des représentations de la parentalité décalée de la réalité, ce qui peut être délétère et compliqué à vivre. En Suisse notamment, nous sommes laissés seuls face à cela, car la société estime que les aspects familiaux sont du domaine du privé, alors que les questions autour de la grossesse et du post-partum sont des enjeux de santé publique.

Quelles peuvent être les difficultés rencontrées pendant la grossesse et la période post-partum ?

Pendant la période périnatale, on assiste à une véritable révolution psychologique où des mécanismes psychiques, cérébraux et endocriniens se mettent en place permettant aux futurs parents d’augmenter leurs capacités d’adaptation. Mais ces changements ont un coût: ils rendent les parents plus vulnérables. Cette vulnérabilité est indispensable pour créer notamment le lien d’attachement au bébé mais en même temps, elle prédispose à l’apparition de troubles psychologiques. Ce qui est fascinant, c’est que de tels changements sont observés également chez les pères et chez les parents adoptants. En termes de santé mentale, près de 15 % des mères et 10 % des pères font une dépression périnatale. L’anxiété périnatale touche quant à elle 10 % à 20 % des femmes. En plus de ces taux élevés, le suicide est la 2ème cause de mortalité maternelle dans l’année qui suit la naissance. Je pense que cela souligne bien à quel point la santé mentale périnatale est une période de vulnérabilité et qu’il s’agit d’en faire un enjeu de santé publique et une priorité de soin plutôt qu’un tabou.

Comment se fait-il qu’un tel silence règne autour de cette période de vulnérabilité ?

L’un des problèmes majeurs est que l’on ne considère pas la grossesse et le post-partum comme des étapes de vie sensibles alors qu’ils le sont, en premier lieu sur le plan psychologique. Or, rien n’est défini en termes de guidelines sur les soins psychiques post-partum. Par ailleurs, beaucoup de stéréotypes de genre ressortent à cette période et créent énormément de souffrance dans les familles. Nous avons des représentations très ancrées de ce qu’est une bonne mère ou un bon père, et beaucoup d’éléments reposent sur la mère. J’entends souvent « si maman va bien, bébé va bien ». Je comprends l’intention derrière cette phrase, mais je trouve la charge mentale terrible à porter pour la maman. Notre vision de la maternité est très lacunaire, comme s’il n’existait que la dyade mère-enfant. Alors qu’il y a tout un écosystème, et notamment généralement un co-parent. Cela vient questionner le congé paternité : le message véhiculé au travers de ces deux seules semaines de congé est que le père n’est qu’une aide momentanée. Les jeunes mères ont dès lors l’impression qu’elles doivent y arriver seules, ce qui n’est pas possible. Cette vision fait souffrir les mamans, mais enferme aussi les pères. Il est nécessaire de relever que les pères aussi vivent des changements importants, même dans leur corps : je constate que prendre en compte la vulnérabilité psychique des co-parents favorise la cohésion dans le couple. C’est une façon de se dire « on est dans le même bateau, ensemble ».

L’anxiété périnatale touche 10 % à 20 % des femmes.

Quels conseils prénataux et postnataux donnez-vous aux jeunes mamans ?

Bien s’entourer, communiquer avec son ou sa partenaire, demander du soutien (logistique et émotionnel), avoir des moments de vrai repos, identifier et communiquer ses besoins, parler de ses difficultés avec son entourage et ses professionnels de confiance. Dans notre culture, demander de l’aide est perçu comme une faiblesse et chacun pense que les autres se débrouillent sans aide. Alors que tout assumer seul est impossible.

Catherine Monziès, quel est votre regard de sage-femme sur ces enjeux autourde la maternité ?

Le travail de sage-femme est complexe et s’inscrit dans une vision globale de la famille, aussi bien sur les aspects physiques et obstétricaux qu’émotionnels et de soutien. Nous avons aussi en charge le travail de préparation à l’accouchement et à la parentalité en expliquant la physiologie des processus. Dans la pratique des visites post-partum à domicile, on est régulièrement confronté au désarroi des parents face aux bouleversements psychologiques de cette période. Les sages-femmes jouent alors un rôle important de soutien et de coordination entre les différents professionnels. J’observe aussi que les deux semaines de congé paternité (à mon sens le strict minimum) harmonisent déjà la relation de co-parentalité. C’est un premier pas, mais il faudrait bien plus ! Plus on mettra de moyens en termes de santé publique, mieux les prochaines générations se porteront : la périnatalité est un investissement pour le futur.

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