andré lüthi : pourquoi les voyages sont-ils importants?
Interview Lifestyle Voyage

André Lüthi : Pourquoi les voyages sont-ils importants?

27.05.2020
par Andrea Tarantini

André Lüthi, PDG de Globetrotter, soutient qu’il a eu de la chance dans la vie. Dans l’interview suivante, il nous explique pourquoi et nous parle de sa conception des voyages.

La mondialisation est déjà une réalité. Je peux boire le même café à Zürich et à Los Angeles. Alors, pourquoi devrais-je voyager?

Je pense que le besoin de découvrir le monde est en nous, êtres humains. Nous voulons savoir ce qui se trouve derrière telle montagne ou de l’autre côté de la mer. Pour moi, voyager, c’est avant tout découvrir et rencontrer. C’est ainsi que les voyages deviennent un énorme enrichissement, la meilleure école de vie. La rencontre avec d’autres cultures et religions favorise le respect et la tolérance. Quand on a fait le tour du monde, on a aussi une autre vision de la Suisse.

On devient plus ouvert, surtout en ce qui concerne les religions, c’est le plus important pour moi. Par exemple, se rendre dix fois à Majorque et prendre la même chaise longue à la rangée 57 dans une grande station balnéaire, je ne pense pas que ce type de vacances vous permet de vous ouvrir à autrui. Dans ce cas, la chaise longue est simplement une manière d’identifier des pays et des expériences qui ne me conviennent pas.

Vous avez fait allusion au lien entre la tolérance et les voyages. Mais alors, voyagez-vous parce que vous êtes déjà tolérant ou est-ce que voyager mène à la tolérance?

Au début, il y a la curiosité et l’envie de découvrir. Quand je suis sur les lieux, j’apprends à connaître les gens, la religion et la nature. Cela m’ouvre les yeux et j’apprends plus, beaucoup plus que si je lisais uniquement le journal à la maison. Par exemple, je suis allé quatre fois en Corée du Nord. Ce que je lis ici, dans les médias, à propos de ce pays, est une chose. Mais quand je me déplace dans le pays, je perçois une autre Corée du Nord, même si je condamne les violations des droits de l’homme dans ce pays. La vraie réalité d’un pays vous l’apercevez seulement quand vous y êtes confrontés physiquement et non par le biais des médias.

La rencontre avec d’autres cultures et religions favorise le respect et la tolérance.

Vous avez déjà voyagé dans plus de 100 pays. Où n’avez-vous pas été encore?

Je ne vous le dirai pas (rires). Non, je rigole. Par exemple, je n’ai pas encore visité l’Afrique centrale, le Soudan ou le Cameroun, bien qu’il s’agisse des régions qui me fascinent le plus.

Je suis parti 49 fois dans l’Himalaya, mais il y a des coins que j’aimerais explorer davantage. Mais je ne vous dirai pas où ils se trouvent (rires).

Quelle est votre position sur le problème du surtourisme?

On ne peut pas l’empêcher. Nous sommes de plus en plus nombreux sur cette planète et nous nous améliorons de plus en plus. La Chine et l’Inde délivrent 50 000 nouveaux passeports chaque jour parce que la classe moyenne a désormais plus d’argent et peut voyager. Vous ne pouvez pas condamner les personnes parce qu’elles voyagent.

Mais je suis conscient du problème. Dans certains endroits, nous vivons déjà le surtoursime, que ce soit au Taj Mahal ou à Lucerne. Dubrovnik est un autre exemple. Cette petite ville est envahie par les bateaux de croisière. Ce n’est agréable ni pour les locaux, ni pour les touristes. À mon avis, il faudrait constituer des contingents pour les points chauds afin de rétablir un certain équilibre.

Ces lieux ne risquent-ils pas de devenir accessibles seulement à des personnes privilégiées?

Non, ce serait la loi du premier arrivé, premier servi. C’est comme pour un concert: si vous arrivez assez tôt, vous aurez votre billet, au même prix que les autres.

L’augmentation des prix est une autre approche. Par exemple, je pense que les vols sont trop bon marché. Quarante francs aller-retour pour se rendre à Londres, c’est de la folie. Ce n’est pas normal. Les gens disent que voler est un droit de l’homme. À mon avis, ce n’est pas vrai. Il y a des choses que certaines personnes peuvent se permettre et d’autres pas. Certains vivent dans un appartement de trois pièces et demies, d’autres dans une villa au bord du lac de Zürich. C’est notre société. Tout le monde ne peut pas tout se permettre. C’est injuste, oui, mais ce n’est pas un droit de l’homme de voler pour 40 francs. Cela n’a pas non plus de sens dans le contexte du changement climatique.

N’est-ce pas facile à dire dans votre position?

Oui, bien sûr. Mais pourquoi les gens qui vivent dans des villas ne suscitent-ils pas un sentiment de révolte? Dire simplement que tout le monde devrait pouvoir prendre l’avion est une approche totalement erronée à mon sens. Dans le passé, je n’avais pas d’argent. Je travaillais beaucoup, je dormais dehors et j’économisais de l’argent pour pouvoir voyager. Il fut un temps où l’on économisait pendant deux ans et où l’on était heureux de pouvoir voyager pendant un mois.

Les voyages sont désormais devenus un bien de consommation. Un week-end à Riga, à Londres, à Barcelone, ça ne coûte rien. Mais le fait d’épargner pour quelque chose de bien, pour être heureux, cela a été perdu et c’est tellement dommage. Ce bien de consommation qu’est le voyage, vous le consommez comme un hamburger.

Je pense qu’il est plus logique de se passer de ces petits déplacements et d’économiser quelques milliers de francs à investir dans un long voyage. C’est autre chose.

Mais le fait d’épargner pour quelque chose de bien, pour être heureux, cela a été perdu et c’est tellement dommage.

Pour vous, le respect des autres cultures est important lors de vos voyages. Est-ce incompatible avec des voyages de courte durée?

Non ce n’est pas incompatible. Mais je pense qu’aller à Saint-Pétersbourg pendant quatre jours pour observer les beaux bâtiments de la ville et se plonger dans son histoire a plus de sens que de passer un week-end en Espagne à s’adonner aux discothèques et à l’alcool. Les voyages sont devenus une marchandise de masse. C’est tout simplement dommage.

Y-a-t-il un voyage que vous avez fait que vous auriez bien aimé éviter?

(Réfléchit longuement), non. J’ai toujours appris quelque chose de mes voyages. L’un des voyages les plus dramatiques de ma vie s’est déroulé à Khao Lak, juste après le tsunami. J’ai accompagné le premier jet de la Rega alors qu’il n’y avait pas d’autres secouristes. Nous cherchions des Suisses.

J’ai vu deux à trois cents morts par jour. C’était six jours misérables. Et maintenant, je pourrais dire que j’aurais pu m’épargner cela, mais j’ai tant appris de ce tragique voyage: j’y ai beaucoup appris sur moi-même et sur la mort surtout. Un autre exemple est la séparation avec mon ex-compagne. Nous avons décidé de nous séparer après neuf ans, mais nous avons d’abord fait un voyage. Pendant ce voyage, nous avons écrit des lettres à nos proches pour leur faire savoir que nous nous séparions. Ce n’était pas drôle. Mais j’ai beaucoup appris de cette expérience aussi.

Mais, dans ces cas, n’est-ce pas plutôt votre attitude personnelle face à la vie qui rentre en jeu plutôt que le fait de voyager? N’auriez-vous pas pu apprendre ces choses à Berne?

Apprendre à se connaître est une réflexion sur soi-même qui peut se faire partout. Mais j’ai toujours été curieux. J’ai grandi dans une maison près de la forêt. Enfant, j’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait derrière la forêt. Mes parents ont dû me récupérer là tellement de fois. Le gène du découvreur, la curiosité, c’est en moi. C’est ce qui m’a toujours motivé. Mais chacun peut se retrouver n’importe où.

J’ai grandi dans une maison près de la forêt. Enfant, j’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait derrière la forêt.

Dans une de vos interviews, vous avez dit qu’il faut être authentique pour trouver le bonheur. D’où vient cette philosophie?

Elle vient d’un moine tibétain qui pense que l’on ne peut être satisfait dans ce monde que si l’on s’aime. Si vous vous aimez, alors vous êtes vous-même, et vous vous acceptez même avec vos bords rugueux. Il faut trouver le bonheur en soi. Cela permet d’être authentique.

Mais comment s’y prendre?

Je pense qu’il faut aussi de la chance. Et j’ai eu de la chance plusieurs fois dans ma vie. La chance de rencontrer ce moine par exemple ou celle que j’ai eu lorsque j’ai rencontré les bonnes personnes qui m’ont aidé à travailler dans l’industrie du voyage. Ce n’était que de la chance.

Chance ou destin?

Quelle est la différence?

Je pense que la chance implique la notion de coïncidence alors que destin ne le fait pas, qu’est-ce que vous en pensez?

Qu’est-ce que le karma alors?

Il y a une logique derrière le karma.

Dans la religion, oui, il y en a une. Mais pour moi, le karma, le bonheur et la logique sont entremêlés. Le bonheur, pour moi, c’est quelque chose que je ne peux pas contrôler. J’ai eu de la chance. Beaucoup de gens ne veulent pas l’admettre, surtout les hommes quand ils sont un peu plus âgés. Puis, ils écrivent des livres sur leurs actes héroïques même si tout ce qu’ils racontent ce n’est pas eux-mêmes qui l’ont fait. Je pense plutôt que, souvent, on se trouve au bon endroit au bon moment, ce qui nous permet de rencontrer les bonnes personnes.

Vous avez fait du stop de Berne à Londres. Aussi fascinant que cela puisse paraître, ma première pensée a été: en tant que femme, ce serait impossible car beaucoup trop dangereux. Pensez-vous être plus ouvert aux voyages parce que vous êtes un homme?

Non, je ne pense pas. La plupart des gens ont tellement de peurs. Nous nous assurons contre tout et contre tous, nous nous vaccinons contre la mort et pour chaque mouvement que l’on fait, nous portons un casque. Je trouve ça si triste parce que, dans 95% des cas, rien ne se passe quand on s’ouvre au monde et aux gens.

Quelle est l’erreur la plus grave que l’on puisse commettre en voyage?

Le trop et le trop peu. Mais c’est la faute de l’industrie. Elle propose des choses qui ne sont pas normales comme un voyage tout compris à 980 francs par semaine à Bali en vol et en demi-pension. Et quand l’offre est là, je comprends le consommateur qui l’accepte. La plus grande erreur est de céder à cette tentation tout de suite au lieu de prendre le temps de réfléchir. Parfois, les choses peuvent se compliquer et il faut économiser un an ou deux avant de pouvoir faire un beau voyage. Mais vous voyez l’annonce, 500 francs pour une semaine à Majorque et puis vous réservez sans trop y penser.

La plupart des gens ont cinq semaines de vacances par an et un budget limité.

Mais on peut toujours décider de faire un long voyage en ville trois semaines de suite au lieu de quatre week-ends. Et ces cinq semaines de vacances, c’est un problème pour les employeurs. Nos employés ont douze semaines de vacances, dont cinq payées. C’est une dépense énorme pour les RH et la gestion, mais les gens vivent leur passion, partent en voyage et reviennent avec un savoir-faire en plus. Si l’employeur le souhaite, il peut aussi accorder à chaque employé deux semaines supplémentaires non rémunérées.

Dans le contexte du changement climatique et des problématiques qui y sont liées, avez-vous honte de prendre l’avion?

Je n’ai pas honte de prendre l’avion. Voler est nocif, c’est vrai car cela contribue aux émissions de CO2. Mais ensuite, je regarde notre consommation. Un exemple: 80% des vêtements que nous portons sont produits en Asie, ils arrivent en Europe sur des cargos puants. Il ne s’agit pas de jouer les uns contre les autres – il me manque simplement une vue d’ensemble. Nous ne pouvons pas revenir en arrière en matière de mobilité, elle est devenue une nécessité. L’objectif doit être une mobilité plus propre.

La taxe sur les billets d’avion, actuellement en discussion au Conseil national, est rejetée par la plus grande partie des entreprises du secteur. Je suis favorable, mais pas à ce que la taxe soit utilisée pour l’AVS et les prestations de l’assurance maladie. L’argent doit aller à la recherche et aux technologies plus propres, pour que nous puissions nous déplacer plus proprement. Mais l’interdiction de circuler ne fonctionnera jamais. L’homme ne peut pas l’accepter. Nous pouvons aller sur la lune, nous pouvons téléphoner dans le monde entier, nous avons inventé tant de bêtises. Je m’engage à investir beaucoup plus dans la recherche et le développement de nouvelles technologies. Et nous devons être prêts à payer plus cher pour voler.

Quelles valeurs voulez-vous transmettre à vos enfants?

D’une part, j’aimerais leur apprendre à parcourir le monde avec une certaine humilité. Nous sommes extrêmement privilégiés. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut considérer comme acquis. Et nous devons réduire ces revendications perpétuelles que nous avons.

Je pense aussi que la confiance est importante. Nous faisons de moins en moins confiance aujourd’hui. Nous sommes de plus en plus contrôlés et sécurisés, tout est marqué par le scepticisme, des affaires aux relations.

Mais la confiance est une chose que vous devez pouvoir vous permettre. Si l’on a une forte personnalité, il est plus facile de donner sa confiance.

Mais pourquoi l’on a cette forte personnalité? Nous voici de retour au karma (rires). La confiance est une belle base: elle nous détend. Par exemple, c’est un stress incroyable d’être assis dans un avion pendant douze heures et de se demander constamment si le pilote a tout sous contrôle. C’est la même chose dans la vie. Faites confiance et détendez-vous.

Interview Fatima Di Pane

Traduction de l’allemand par Andrea Tarantini

Images zvg

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