Interview par Maévane Mas

Max Dudler : « Travailler, travailler, travailler – et réfléchir »

L’architecte suisse retrace son parcours, définit son métier et expose les défis auxquels seront confrontés les architectes de demain. 

L’architecte suisse Max Dudler a déjà réalisé un grand nombre de projets avec son bureau d’architecture qui existe depuis 1992 et qui a des sites à Berlin, Francfort-sur-le-Main, Munich et Zurich. Il a remporté de nombreux prix pour ses créations, majoritairement dispersées entre l’Allemagne et la Suisse mais aussi dans toute l’Europe. L’artiste, aujourd’hui âgé de 73 ans, retrace son parcours, définit son métier et expose les défis auxquels seront confrontés les architectes de demain.

Max Dudler, comment vous décririez-vous ?

En tant qu’être humain et architecte, je pense vivre de manière très continue, si l’on peut dire cela comme ça. J’aime voyager entre nos différents sites de travail, bien que le siège de notre bureau et mon domicile se trouvent à Berlin. J’apprécie toujours revenir en Suisse, surtout dans les montagnes pour contraster avec la vie trépidante des grandes villes. Une autre facette de ma personnalité est que je peux facilement m’énerver contre presque tout et surtout contre l’état du monde et ce qu’il s’y passe actuellement. Mais quand je pense à l’avenir, je reste très positif.
Mon travail est au service de la ville, que je souhaite développer de manière conceptuelle pour la rendre la plus durable possible. C’est pourquoi dans nos bureaux nous jouons dans « l’équipe de la permanence », c’est-à-dire que nous pensons que les architectes doivent concevoir une architecture intemporelle en construisant des bâtiments qui seront toujours beaux et utilisables dans 200 ans. Notre travail s’inscrit dans la continuité de l’histoire et la développe.

Pourquoi avez-vous décidé de devenir architecte ?

Je voulais faire un métier dans lequel je pourrais m’investir dans le long terme et qui offre de la variété. Le travail d’architecte est structuré de niveaux extrêmement complexes et différents. C’est ce qui m’a d’abord attiré et intéressé. Mais il fut un temps où je voulais devenir une rock star. Toutefois, mon talent n’a malheureusement pas suffi. Pour devenir célèbre en tant que musicien, il faut être extrêmement bon et doué. Aujourd’hui, disons que j’ai obtenu une certaine célébrité mais dans le domaine de l’architecture, ce qui me convient aussi (rires).

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

Ce qui me plaît le plus est la complexité de mon travail. Je trouve aussi très intéressant de collaborer avec des personnes toutes si différentes les unes des autres. C’est passionnant de travailler avec des jeunes qui sont curieux, qui pensent et œuvrent autrement. Je ne suis pas un combattant solitaire, j’ai besoin de communiquer avec d’autres personnes. De plus, je ne pourrais pas me passer d’une équipe. En ce moment, nous travaillons sur environ 60 projets en même temps. Cela serait tout simplement impossible à réaliser seul.

Quelle est la devise qui vous accompagne dans votre vie quotidienne ?

Avoir du plaisir à vivre. Ni plus, ni moins.

À quoi faites-vous particulièrement attention lorsque vous planifiez un nouveau projet ?

L’emplacement choisi est le point de départ de toute architecture. Mon équipe et moi-même étudions d’abord le lieu, puis la tâche qui nous est confiée. Nous essayons de comprendre la nature du projet et comment il pourrait se développer. Nous nous intéressons à l’histoire qui se cache derrière l’idée proposée. C’est à partir de ces connaissances que nous développons ensuite nos thèmes et que nous poursuivons la planification. Je trouve également intéressant de garder un lien avec l’art et d’autres disciplines. Après tout, c’est seulement avec une bonne équipe qu’il est possible de réaliser une belle performance.

Hochhausensemble Hagenholzstrasse

Hochhausensemble Hagenholzstrasse

Comment décririez-vous votre style architectural ?

Certains prétendent que je suis un rationaliste. Je dirais plutôt que je travaille de manière conceptuelle. Nous trouvons nos thèmes dans l’histoire de la ville et les développons à partir du lieu où le projet est construit. L’emplacement, la mission et la forme de la construction doivent ensemble produire une certaine résonance.

Que souhaitez-vous offrir à la société avec vos constructions ?

L’homme a besoin d’espace. Nos villes européennes sont pensées à partir de l’espace public urbain tel que les ruelles, les rues et les places. Ce sont des lieux où l’on peut se rencontrer et où les individus interagissent entre eux. Il faut donc prendre conscience de cette typologie lors de la confection d’une œuvre. Dans les années 1970, lorsque nos banlieues actuelles ont vu le jour – des zones où les maisons se côtoient sans thème, sans espace urbain, sans idée commune -, cette identité spatiale ou typologique s’est perdue. Les espaces urbains ne sont pourtant pas remplaçables : ce sont des lieux qui offrent des possibilités diverses pour la vie commune. Je souhaite donner un souffle nouveau à ces représentations et les offrir aux citoyens afin qu’ils puissent se sentir à l’aise et en sécurité dans la ville.

Où trouvez-vous votre inspiration ?

J’aime expérimenter les aspects de la vie – les rencontres, les voyages et bien d’autres aspects du monde. Ils sont toujours synonymes de formation. Une autre référence est pour moi l’histoire, surtout l’Antiquité, la Renaissance et le début de l’époque moderne. Parfois, une référence directe se reconnaît dans les projets qui prennent la forme d’hommages. Mais la plupart du temps, les idées se transforment pendant la planification et l’architecture quitte l’image qu’on se faisait d’elle initialement; les idées sont transposées dans de nouvelles formes.

Selon vous, quelles sont les compétences nécessaires pour être un bon architecte ?

Travailler, travailler, travailler – et réfléchir (rires). La pratique et le travail permettent d’atteindre la qualité. C’est comme pour les autres artistes, on ne s’améliore pas en discutant, mais en pratiquant.

Avez-vous un projet existant ou à venir qui vous tient particulièrement à cœur ?

Non. Pour moi, tous les projets sont importants. Qu’il s’agisse du premier ou du dernier, d’un plus petit ou d’un plus grand.

Quels sont les plus grands défis auxquels les architectes sont confrontés aujourd’hui ?

Nous devons construire avec plus de qualité et plus durablement. Le problème réside dans le fait que le secteur de la construction est très spéculatif. Si le projet est revendu après la construction, les architectes feront beaucoup moins attention à la qualité que si le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre garde le bien, voire le quartier entier, pour lui. C’est la raison pour laquelle je préfère construire pour de tels détenteurs.

Vous avez construit dans de nombreux pays européens, notamment en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Y a-t-il des pays où vous n’avez pas encore de projet mais souhaiteriez en développer ?

Cela me va très bien comme ça (rires). À mes yeux, la culture est très importante et je dois me reconnaître dans l’environnement dans lequel je vis et construis. Pour moi, c’est l’Europe. C’est pour cette raison que je ne souhaite pas construire en Chine ou à Dubaï par exemple. Cependant, je trouve que Chicago, New York ou Boston ressemblent déjà beaucoup plus à des villes européennes. Si je devais sortir de l’Europe, c’est donc là que je m’imagine le mieux.

Quels sont vos futurs projets professionnels ?

Construire beaucoup et être heureux (sourit).

Interview Maévane Mas et Julia Ischer
Images Pascal Rohé et Stefan Müller

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L’inventaire des « ceci ou cela » avec Max Dudler

Tour Eiffel ou Statue de la Liberté ?

La tour Eiffel. Gustave Eiffel était un ingénieur et un architecte de génie.

Zurich ou Francfort ?

Les deux. Comme une interaction des contraires.

Bois ou béton ?

Les deux. La construction en bois est en plein essor. Aujourd’hui, on ne gagne plus de concours si l’on n’utilise pas de bois comme matériau de construction statique. Toutefois, la déforestation est un problème et nous ne pouvons pas simplement rattraper ce besoin en bois avec une nouvelle plantation. De nos jours, nous pouvons aussi travailler avec du béton neutre en termes d’émissions de CO2. C’est pourquoi nous nous efforçons d’utiliser les deux dans nos structures.

Baroque ou Renaissance ?

La Renaissance. J’ai certes restauré et transformé des églises baroques pendant une longue période de ma jeunesse. Toutefois, la Renaissance n’est comparable à aucun autre mouvement, et pas seulement en termes d’architecture.

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03.03.2023
par Maévane Mas
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