portrait de mory sacko
© Virginie Garnier
France Interview Hiver

L’audace culinaire signée Mory Sacko

05.12.2024
par Océane Ilunga

Chef Mory Sacko est l’un des plus jeunes chefs étoilés de France. Il a ouvert son restaurant MoSuke en septembre 2020, en pleine pandémie, et a obtenu sa première étoile au Guide Michelin dès 2021. Dans ce lieu unique, il propose une cuisine qui allie les traditions de l’Afrique, de la France et du Japon. Entre la gestion de ses restaurants de street food “Mosugo”, et l’animation de l’émission « Cuisine ouverte » sur France Télévisions, Mory Sacko ne cesse d’explorer et de repousser les limites culinaires. Interview sur ses inspirations, ses défis et son amour pour les saveurs.

Mory Sacko, que vous a apporté votre formation en école hôtelière ?

Mon passage par l’école hôtelière m’a permis de découvrir la gastronomie française en profondeur. Avant, je connaissais bien la cuisine africaine mais mes expériences de la cuisine française se limitaient aux plats de la cantine, pas forcément dans leur meilleure version (rires). Ce parcours m’a permis d’acquérir des bases techniques solides et de maîtriser des recettes classiques, ce qui enrichit ma manière de cuisiner aujourd’hui.

Votre cuisine est souvent qualifiée de fusion. Est-ce une étiquette qui vous convient ?

Pas vraiment. Chez MoSuke, nous ne faisons pas de ‘cuisine fusion’. Chaque élément de l’assiette a un but précis. Par exemple, dans notre sauce mafé, nous utilisons du miso pour apporter un umami subtil, mais cela ne signifie pas que nous ajoutons des ingrédients exotiques juste pour le faire. Nous cherchons toujours à rester authentiques, à flouter les lignes entre les cultures tout en respectant leur essence.

Comment vos racines maliennes influencent-elles vos créations culinaires au quotidien ?

Mes parents sont maliens et ma mère a grandi au Sénégal. Pour moi, elle est un peu mon référentiel de goût. Quand je travaille des recettes d’Afrique de l’Ouest, je me base sur ces saveurs, car elles m’ont bercé durant mon enfance. J’ai mangé des mafés des centaines de fois, et chaque fois que je le prépare, je recherche ce goût de mon enfance. Bien sûr, j’y ajoute plus de complexité en travaillant les produits, mais l’essence reste la même. Les chefs ont tous une bibliothèque de goûts dans leur tête ; la mienne est remplie de ces saveurs africaines et familiales qui m’influencent profondément.

Mory Sacko

Image : © Virginie Garnier

L’idée est donc de mettre en valeur les différentes cuisines du continent africain ?

Oui, chez MoSuke, je puise largement dans la cuisine d’Afrique de l’Ouest, mais je vais au-delà. Je m’inspire également du Maghreb, de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale, avec des plats qui évoquent le Congo ou le Rwanda. Quand je propose un curry par exemple, il n’est ni purement africain, ni français, ni japonais. C’est l’occasion de montrer qu’à l’est de l’Afrique, notamment en Tanzanie, la culture indienne a laissé son empreinte, et l’on y mange des currys et des biryanis. Cela permet de raconter l’histoire de l’immigration indienne et d’illustrer la diversité culinaire du continent. C’est aussi une manière de rappeler que l’Afrique est vaste et riche en traditions variées, tout autant que l’Europe peut l’être.

Quels ingrédients africains aimez-vous particulièrement intégrer dans votre cuisine ?

J’apprécie beaucoup le poivre Penja du Cameroun et celui de Madagascar, que je considère parmi les meilleurs poivres au monde. J’aime aussi travailler avec la vanille de la Réunion, qui est exceptionnelle. Un autre ingrédient que j’utilise est le beurre de karité. Nous l’employons pour faire maturer le bœuf, car en plus d’ajouter une saveur distincte, il a des propriétés qui attendrissent la viande, tout comme il adoucit la peau et les cheveux. Cela donne à la viande une tendreté unique et un goût intéressant, ce qui lui confère une double utilité gustative et moléculaire.

Pouvez-vous nous parler d’un plat qui représente votre philosophie ?

Nous avons une soupe inspirée de la “Pépé soupe” camerounaise. Nous partons d’une base qui évoque la bouillabaisse et ajoutons un bouquet d’épices africaines, infusé avec du katsuobushi japonais et du sel de kombu. Cela donne un plat unique, nourri par les traditions des trois cultures, tout en mettant en avant l’huile de palme rouge, souvent mal comprise en Occident mais essentielle à la cuisine africaine, comparable à un beurre végétal.

Qu’aimez-vous cuisiner pendant l’hiver ?

Les noix de Saint-Jacques, dont la saison commence en novembre, sont un de mes produits favoris. En hiver, j’apprécie aussi le foie gras et les agrumes, qui apportent de la fraîcheur et des saveurs intenses. En boisson, je me régale avec du jus de bissap.

Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

Le produit lui-même est souvent ma première source d’inspiration. J’aime découvrir de nouveaux ingrédients ou redécouvrir des épices qui me rappellent des souvenirs. Ces moments débloquent souvent des idées de recettes.

Un mot pour les jeunes chefs en devenir ?

La persévérance est essentielle. C’est un métier exigeant, aussi bien physiquement que mentalement. Mais surtout, je leur dirais de ne jamais perdre leur identité. C’est ce qui différencie un bon cuisinier d’un grand chef. Restez fidèle à qui vous êtes.

Quel est votre mantra ?

Ce n’est jamais fini.

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