Le périmètre Praille Acacias Vernets est depuis les années 60 la plus grande zone industrielle du canton de Genève. à cheval sur trois communes, Genève, Carouge et Lancy, cette zone industrielle encore en fonction a été déclassée en 2011 pour accueillir des logements et des activités mixtes. L’objectif est de créer neuf nouveaux quartiers vivants et diversifiés et de répondre à la pénurie de logements qui sévit actuellement à Genève. Interview croisée avec les trois Directeurs généraux des entités qui pilotent cette vaste mutation.
Saskia Dufresne, pourriez-vous nous donner un aperçu général du projet PAV ?
Le projet PAV est né il y a plus de 20 ans dans l’esprit de nos autorités cantonales. Il s’inscrit dans un contexte de réflexion profonde sur l’avenir du territoire genevois, soumis à de fortes pressions économiques et à une demande croissante de logements, face à une pénurie persistante depuis plusieurs décennies. L’idée initiale était de repenser l’usage du périmètre PAV, historiquement une zone industrielle et artisanale. Dans les années 60, cette zone se trouvait en périphérie de la ville, conformément à la logique de l’époque qui éloignait les activités industrielles des zones résidentielles en raison des nuisances qu’elles pouvaient générer. Cependant, au fil du temps, le territoire genevois s’est densifié, en grande partie contraint par ses frontières internationales et intercantonales. Aujourd’hui, ce périmètre se trouve en plein centre-ville, ce qui a conduit le Canton et les Communes de Genève, Carouge et Lancy à mener une réflexion sur sa reconversion pour répondre aux besoins en logements et en développement économique du canton. En 2005, un consensus s’est dégagé autour de l’idée de transformer cette zone en nouveaux quartiers, répondant à la demande croissante de logements tout en maintenant un tissu économique local, ainsi que des activités artisanales et de logistique urbaine.
Ce projet de régénération urbaine, qui concerne 140 hectares sur les 230 hectares du périmètre d’étude, est d’une ampleur inédite. Il s’agit aujourd’hui de l’un des plus grands projets de renouvellement urbain en Europe. 12 000 nouveaux logements seront réalisés et quelque 5 400 emplois seront créés, s’additionnant aux existants.
Pourquoi choisir de transformer plutôt que de tout reconstruire ?
Saskia Dufresne : Comme dit précédemment, cette zone est aujourd’hui intégrée au centre-ville, ce qui en a fait une candidate idéale pour une transformation plutôt qu’une démolition complète. Cela s’inscrit également dans la stratégie cantonale d’aménagement du territoire. Genève est un petit canton, et à l’échelle nationale il existe une volonté forte de préserver les zones agricoles et les espaces naturels. Le principe qui guide cette mutation est la stratégie de « produire la ville dans la ville ». Il s’agit de densifier et de revaloriser des zones déjà urbanisées, plutôt que d’étendre la ville en empiétant sur les terres agricoles et les espaces naturels, que nous tenons tous à préserver.
Comment ce projet s’intègre-t-il dans le Plan Directeur Cantonal 2030 ?
Vinh Dao : Le périmètre Praille Acacias Vernets représente le plus grand potentiel de logements du Plan Directeur Cantonal. C’est là où le Conseil d’État attend un impact significatif. Aujourd’hui, par exemple, Carouge compte environ 12 000 logements, soit quelque 22 000 habitants. Avec le projet PAV, nous recréons une véritable ville dans la ville. Ce qui rend ce projet unique, c’est qu’il ne s’agit pas d’une friche industrielle, mais d’un territoire encore en activité. En Europe, des projets de cette envergure ont déjà été réalisés, mais rarement dans une logique de mutation urbaine.
Guillaume Massard : Le lien avec le Plan Directeur Cantonal (PDCn) est essentiel pour mener à bien une transformation d’une telle ampleur. La Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI), qui gère toutes les zones industrielles du canton et soutient l’économie industrielle et artisanale, a pu, grâce au PDCn, créer de nouveaux périmètres industriels plus en périphérie. Cela nous permet de déplacer certaines activités hors du nouveau centre urbain, qui s’est étendu. Ces nouveaux périmètres doivent maintenant être aménagés avec des infrastructures, puis des bâtiments industriels et artisanaux modernes, adaptés aux besoins de l’économie genevoise et à son autonomie en matière d’exportation. Ce lien crucial est établi grâce à une planification à grande échelle.
Quels sont les principaux défis que ce projet de développement urbain doit relever ?
Guillaume Massard : L’un des enjeux majeurs est d’ordre économique. Contrairement à une friche, le secteur compte actuellement environ 20 000 emplois, dont une part importante n’est pas directement liée à l’industrie. Certaines de ces activités resteront sur place, d’autres pourront être relocalisées dans le périmètre. Cependant, un grand nombre d’usines de production et de PME devront céder la place. Le défi consiste donc à accompagner ces acteurs pour qu’ils puissent se réinstaller ailleurs dans des conditions satisfaisantes. L’un des objectifs pour la Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI) est de mener à bien le projet PAV sans que Genève ne perde des emplois ou du savoir-faire industriel et artisanal.
Vinh Dao : Le premier défi, dans ce que nous appelons la « mutation urbaine », consiste à relocaliser les entreprises. Si elles ne déménagent pas, le projet ne peut pas avancer. Leur départ dépend des bonnes conditions de relogement que nous devons leur offrir, ce que nous faisons en partenariat. La Fondation PAV, par exemple, verse des indemnités aux entreprises tandis que la FTI leur propose des solutions géographiques de relocalisation. Une fois que cette étape est franchie, d’autres questions émergent, notamment celles liées à la conception de l’urbanisme au 21e siècle. Le principal défi est sans surprise climatique : « Comment créer une ville capable de s’adapter aux changements climatiques ? » Il faut anticiper les grandes chaleurs, les inondations, et autres phénomènes. Un autre enjeu est social et sociétal : comment faire en sorte que les habitants se sentent bien, qu’ils soient fiers de leur quartier et qu’ils se l’approprient pleinement ? Il y a aussi la question du temps long : ce projet va s’étaler sur environ 40 ans. Pendant cette période, il faudra faire coexister les entreprises actuelles et les nouvelles opérations de logement, tout en assurant que les espaces publics restent ouverts et accessibles, sans encombrer les rues de voitures.
Saskia Dufresne : En tant que responsable de la planification pour l’État de Genève, je souligne que le défi citoyen est crucial. L’appropriation de ce concept de nouvelle ville par l’ensemble des citoyens du canton est essentielle. C’est un véritable défi démocratique, car plusieurs étapes du projet seront soumises aux règles démocratiques, notamment des référendums et des votations. C’est pourquoi l’adhésion d’une majorité de citoyens est pour nous un enjeu fondamental.
Qu’est-ce qui a motivé la transformation de cette vaste zone industrielle en quartiers mixtes et vivants ?
Guillaume Massard : Depuis les années 1960, cette zone a joué un rôle clé dans le développement de Genève après la Seconde Guerre mondiale, à une époque où l’économie mondiale commençait à se globaliser. Cette dépendance de Genève vis-à-vis du commerce international n’a pas changé, que ce soit pour l’alimentation, les services ou les biens de consommation courants. Les infrastructures ferroviaires et routières continuent de jouer un rôle essentiel pour approvisionner le centre-ville. L’objectif de cette transformation est de poursuivre l’évolution vers une logistique plus rationnelle et moderne, tout en renouvelant les infrastructures existantes. Par exemple, le secteur Praille Ouest et la gare de triage de la Praille bordant tous deux la route des Jeunes conserveront leur fonction logistique pour alimenter le futur centre-ville. Cette fonction historique sera donc préservée, mais elle sera réorganisée et optimisée.
Aujourd’hui, Genève importe une grande partie des biens qu’elle consomme, contrairement à une époque où l’on produisait et assemblait localement. Cela nous oblige à repenser et moderniser nos infrastructures logistiques. Il reste encore une industrie de production à Genève, mais nous devons offrir aux entreprises de nouveaux sites adaptés à leurs besoins. Cette transformation est en phase avec les grandes étapes de l’industrialisation, et il est crucial de prendre en compte ces évolutions pour garantir l’approvisionnement de la ville de demain. Même si la zone ne sera plus strictement industrielle, elle jouera un rôle logistique essentiel pour le centre-ville. C’est un enjeu central pour l’avenir de l’économie genevoise.
Comment le projet PAV contribue-t-il à la transition écologique ?
Vinh Dao : Actuellement, le périmètre Praille Acacias Vernets est essentiellement bétonné. L’un des projets phares en matière de transition écologique, qui structure tout le projet PAV, est la remise à ciel ouvert de deux rivières, la Drize et l’Aire enterrées dans les années 60 pour permettre le développement de la zone industrielle. C’est une initiative unique en Europe de faire revenir en surface des rivières en plein centre-ville sur plus de 2.5km.
L’objectif est de ramener la nature en ville, de rafraîchir l’environnement et de créer des biotopes. Nous allons réintroduire de la végétation, y compris au sein des immeubles de logements. Nous prévoyons notamment d’intégrer de la pleine terre dans les cœurs d’îlots pour y planter des arbres et créer des îlots de fraîcheur. En tout, plus de 3 000 arbres seront plantés. Pour ce faire, des parkings souterrains sont prévus, remplaçant les places de stationnement actuellement en surface. Nous nous appuyons également sur un réseau de transports publics performant existant qui sera complété par 25 km de pistes cyclables. Cela favorisera tous les modes de mobilité décarbonée.
En ce qui concerne les constructions, grâce à une très grande maitrise foncière, nous pourrons imposer des exigences environnementales strictes. La Fondation PAV, en tant que plus grand propriétaire du périmètre PAV louera ses terrains, en attribuant des droits de superficie, aux investisseurs qui proposeront des projets immobiliers engagés dans des solutions de sobriété carbone et d’efficacité énergétique. Nous avons établi un cahier des charges très ambitieux qui devra être respecté dans tous les projets. D’ailleurs, tous les acteurs ont bien compris l’importance de ces enjeux. Personne ne souhaite désormais posséder un immeuble énergivore, surtout face aux défis climatiques actuels. Il existe aujourd’hui une convergence d’intérêts qui pousse les investisseurs à rechercher des certifications en développement durable. Cela crée une période favorable pour réussir ce défi.
Quels seront les principaux avantages pour les habitants des nouveaux quartiers et quelles sont les prochaines étapes du projet PAV ?
Saskia Dufresne : À long terme, d’ici 40 ans, nous voulons réaliser des quartiers qui répondent à l’ensemble des besoins de la population genevoise à commencer par des logements de toutes catégories accessibles par toutes et tous. Ces quartiers proposeront également des services de proximité, des lieux d’apprentissage, des commerces, des activités culturelles et sportives etc. Plus concrètement, plusieurs chantiers ont déjà commencé, comme le projet de logements Quai Vernets, le Campus Pictet de Rochemont, ou encore la remise à ciel ouvert de la Drize dans le quartier des Acacias. D’ici 2030, notre priorité est de poursuivre les planifications, car sans plan de quartier, il est impossible de construire. Nous avançons également dans la préfiguration du futur grand parc de 8 hectares, un élément essentiel pour garantir la qualité de l’ensemble du périmètre. L’objectif est de concrétiser ces planifications pour que la Fondation PAV et la FTI puissent passer à l’opérationnel.
Vinh Dao : À court terme, notre principal défi est le quartier Acacias 1, dont nous possédons 82 % du périmètre. Ce projet représente 2 300 logements et constitue une grande pièce urbaine à réaliser. Le véritable enjeu pour la Fondation PAV, en tant qu’opérateur foncier, est de réussir le développement de ce quartier et d’offrir à ses habitants un cadre de vie animé et inclusif.
Guillaume Massard : Pour la FTI, à court terme, l’accent est mis sur le quartier de Praille Ouest et la gare de la Praille. Nous travaillons en étroite collaboration avec les CFF pour gérer l’ensemble du fonctionnement ferroviaire, ainsi qu’avec l’Office cantonal des transports pour la logistique. Il est important que nous adoptions les deux plans de quartier de Praille Ouest, avec des objectifs fixés pour 2028.
Quelle est votre vision personnelle de la ville de demain et comment le projet PAV s’y inscrit-il ?
Saskia Dufresne : Ma vision de la ville de demain est une ville inclusive, où cohabitent toutes les générations et qui assure une vraie mixité sociale. Avec l’évolution de la société, où les deux parents travaillent souvent, les grands-parents jouent un rôle clé, et cette solidarité intergénérationnelle restera essentielle.
Vinh Dao : Quand on parle de la ville du futur, je pense à une ville où tout est accessible en un quart d’heure, une ville qui offre des services de proximité et qui est désirable, où il fait bon vivre. On ne reproduira plus de vieilles villes en pierres naturelles, ni de villes bétonnées. Ce sera une ville tournée vers l’innovation et la créativité.
Guillaume Massard : Nous partageons tous l’enjeu de créer une ville durable, plus fraîche et décarbonée. Le défi majeur aujourd’hui, c’est de réussir à concilier le besoin d’un habitat calme en ville, face aux nuisances sonores des véhicules ou de l’activité urbaine, tout en préservant une ville vivante. Il faut trouver un équilibre pour que la ville soit agréable à vivre, avec des distances courtes et des espaces qui procurent de la joie, tout en permettant suffisamment de calme pour bien dormir. Une ville morte, sans bars ni terrasses le soir, serait triste, mais une ville trop animée, comme Genève peut l’être parfois avec ses nuits blanches, devient difficile à habiter. Pour moi, la ville de demain doit permettre une cohabitation harmonieuse, où les habitants peuvent se rencontrer. Elle doit également reconnaître son besoin économique : les gens vivent et consomment, et ils doivent pouvoir le faire de manière qualitative, durable, et sans nuisances, tout en accédant facilement à ce dont ils ont besoin. L’inclusion économique est tout aussi cruciale que l’inclusion sociale et récréative dans les futurs quartiers.
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