Interview par Kevin Meier

Enrico Macias : « La musique est le langage de mon âme »

Le chanteur partage ses réflexions sur sa vie, sa musique et son impact culturel.

Le mendiant de l’amour, Adieu mon pays, Non, je n’ai pas oublié… Ces chansons font partie du patrimoine culturel francophone. Dans cette interview, leur interprète, Enrico Macias, partage ses réflexions sur sa vie, sa musique et son impact culturel.

Enrico Macias, quels sont les adjectifs qui vous décrivent le mieux ?

Je vais commencer par les plus désagréables. Je dirais colérique, mais je n’ai pas de rancune. Je suis également tolérant.

Comment est né votre passion pour la musique ?

C’est facile à expliquer. Je suis né dans une famille de musiciens : mon père était un grand violoniste dans l’orchestre de Cheikh Raymond. C’est ce dernier, qui allait par la suite devenir mon beau-père, qui m’a découvert. À l’âge de 15 ans, je jouais de la guitare au côté de mon père. J’ai d’abord été élève de Cheikh Raymond et je jouais la musique arabo-andalouse. Quand j’étais étudiant, je m’amusais avec mes camarades à chanter des petites chansons que je composais. En plus d’être guitariste, c’est de cette manière que j’ai découvert que je pouvais également chanter.

Comment choisissez-vous les thèmes de vos chansons et quels rôles jouent-ils dans votre vie personnelle ?

Je les choisis en fonction de mon inspiration et en fonction des informations auxquelles je suis confronté dans ma vie quotidienne, que ce soit à la télévision, à la radio ou dans les nouvelles. Pour vous donner un exemple précis, j’ai un jour vu à la télévision une émission où des bombes étaient jetées, touchant des enfants. J’étais à ce moment-là avec mon parolier, Jacques Demarny, que je regrette d’ailleurs énormément car il n’est plus de ce monde. Je lui ai dit, c’est incroyable car, pendant que les adultes s’entretuent, ils ne font pas attention aux enfants innocents qui sont tués. C’est comme cela qu’est née la chanson Malheur à celui qui blesse un enfant. Je choisis mes sujets en fonction de ce que je vois dans ma vie quotidienne.

La musique est-elle donc un bon moyen pour vous de véhiculer les valeurs qui vous tiennent à cœur ?

La musique est le langage de mon âme. Elle véhicule tout ce qu’il y a enfoui en moi et me permet de communiquer avec les gens. C’est ma manière de m’exprimer.

Enrico Macias et Noa R.

Enrico Macias et Noa R.
Image: Martine Lafit

Comment percevez-vous l’impact de votre musique sur votre public, en particulier à travers les différentes générations ?

Je suis content de voir que, même après 60 ans de carrière, les nouvelles générations sont toujours présentes et nombreuses à mes spectacles. C’est un grand privilège pour moi. Je ne pensais pas qu’à 85 ans, les jeunes générations allaient rejoindre leurs parents, leurs grands-parents et même leurs arrière-grands-parents (rires).

En quoi la musique est-elle pour vous un moyen de renforcer les liens interculturels et de promouvoir la compréhension entre les communautés ?

Dans mes spectacles, je rassemble beaucoup de gens issus de communautés différentes qui en dehors pourraient être ennemis et se faire la guerre. Ma musique les réunit car j’ai réussi à leur faire partager mes valeurs.

Si aujourd’hui, vous ne deviez écouter plus qu’une seule chanson, quelle serait-elle ?

C’est une question difficile car il y en a beaucoup ! L’hymne à l’amour d’Edith Piaf est celle qui me correspond le mieux.

Y a-t-il un projet ou une collaboration dont vous êtes particulièrement fier ?

Tout d’abord, je parlerais de ma relation avec mon beau-père Cheikh Raymond qui m’a appris la rigueur et la précision dans la musique. C’est grâce à lui que j’ai rencontré le public et que je me suis rendu compte que, sans prétention, j’avais un certain charisme. Malheureusement, il a été assassiné pendant la guerre d’Algérie. On a donc été orphelin de lui et de sa musique.

Quel est le plus grand défi que vous avez rencontré en tant qu’artiste et comment l’avez-vous surmonté ?

Un jour, j’ai fait un spectacle en Israël devant 60 000 personnes. Il y avait notamment Nana Mouskouri et un chanteur américain du nom de Pete Seeger qui était présent avec Harold Leventhal, son manager. Il ne me connaissait pas mais, lorsqu’il a vu l’engouement du public pour ma musique, il m’a proposé de venir quelques mois plus tard au Carnegie Hall de New York. Cela a été un réel défi pour moi. Tout le monde se demandait ce que j’allais faire à New York. Par la suite, j’ai eu une première page dans le New York Times avant de faire une tournée dans tout le pays. Cela n’a pas été facile de se faire une place. Si mon public était d’abord majoritairement composés d’Européens, des Américains ont peu à peu été séduits.

Quel est le rôle que vous avez préféré jouer dans une série ou un film ?

Remarquez, à chaque fois, on me propose de jouer mon propre rôle (rires). Dans Family Business par exemple, je joue Enrico Macias. Je vais sortir un film qui s’appelle Pour ton mariage qui a été réalisé par mon gendre qui se confie : « Je ne me doutais pas que trente ans plus tard, je lui en voudrais encore d’avoir transformé nos noces en show démesuré ».

Quel est le plus beau voyage que vous avez effectué ?

Mon plus voyage, c’est la scène qui est mon pays. Sinon, j’aime voyager au soleil.

Comment faîtes-vous pour maintenir la passion et l’inspiration après tant d’années ?

On ne fait pas plus de soixante ans de carrière si l’on ne travaille pas. Je dirais qu’il doit y avoir 10 % de talent, et 90 % de sueur. Il faut également y ajouter la magie du public. Ce dernier me permet de m’exprimer. C’est un réel échange d’énergie entre lui et moi.

Enrico Macias et Noa R.

Enrico Macias et Noa R.
Image: Martine Lafit

Quels conseils donneriez-vous à votre jeune moi qui commençait dans l’industrie musicale ?

Dans mon entourage, je connais des gens qui débutent et pour qui ce n’est pas facile. Je pense notamment à la genevoise Noa R. Comme c’est difficile, les jeunes s’impatientent. Je leur demande au contraire d’être patient. Surtout, je leur dis qu’il faut croire en ce qu’ils font, car personne ne pourra adhérer à leur passion si eux-mêmes n’y croient pas. À force d’y croire, le succès arrive.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Pour les années qu’il me reste à vivre, que je continue à me réveiller le matin avec des choses à faire dans la journée : écrire une chanson, chanter lors d’un spectacle, faire une interview etc. Finalement, tout ce que je fais depuis 60 ans. C’est vous dire combien je suis heureux d’en être arrivé là malgré toutes les épreuves, tous les proches que j’ai perdus, tous les amis qui nous ont quittés. Je continue à jouir de la vie car j’aime la vie.

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16.12.2023
par Kevin Meier
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