
Michael Roschi
Directeur, Suisse Rando
Si 58 % de la population suisse pratique la randonnée, ce n’est pas par hasard. C’est évidemment parce que ceux qui foulent les sentiers en retirent un bénéfice. « Marcher est bon pour la santé », vous avez tous déjà entendu cette phrase-là ? Mais le plus souvent, c’était certainement lors de discussions ayant pour thème la condition physique. Et les arguments sont toujours valables. Mais de nombreux psychologues et philosophes nous rappellent que la marche est aussi bonne pour la santé psychique. Elle permet de se déconnecter du tumulte quotidien, de prendre du recul, de mettre les soucis de côté et de retrouver une forme de sérénité. Et pour cela, pas besoin de se rendre sur les « spots » les plus spectaculaires.
Si la Suisse a inscrit son réseau de chemins pédestres balisés dans sa Constitution (un fait unique au monde !), c’est que le pays a compris l’importance de pouvoir facilement et agréablement se déplacer à pied. Pour s’en convaincre, il y a d’abord le discours scientifique : les bienfaits de la marche ne sont plus à prouver. Sur le plan physique, elle améliore la circulation sanguine, renforce le cœur et aide à prévenir les maladies cardiovasculaires. Elle sollicite en douceur les muscles, préserve les articulations et contribue à maintenir un poids de forme. Au niveau mental, elle favorise la libération d’endorphines, ces hormones du bien-être qui aident à réduire l’anxiété et la dépression.
Marcher pour mieux penser
Mais les médecins ne sont pas les seuls à vanter les mérites de la randonnée. Depuis fort longtemps, les philosophes et psychologues ont souligné que la marche favorise la réflexion. « Toutes les grandes pensées sont conçues en marchant », a affirmé Friedrich Nietzsche en 1889. Cette affirmation a été vérifiée par des chercheurs de l’Université de Stanford, qui ont testé 176 étudiants à travers quatre expériences. Lors d’un exercice de pensée créative (imaginer différents usages pour un objet courant), les participants qui marchaient ont généré 81 % d’idées de plus que ceux qui restaient assis ! L’expérience a d’abord été menée en intérieur, sur tapis roulant, avec des résultats déjà significatifs. Mais lorsque les participants ont marché à l’air libre, l’effet a été encore plus fort, démontrant que la nature et l’environnement extérieur amplifient l’effet bénéfique de la marche sur la pensée.
Avec le mouvement, la nature est le deuxième élément qui favorise le bien-être du randonneur. Depuis l’Antiquité, les philosophes l’ont reconnue comme une source essentielle de bien-être mental.
« Détox » numérique
Et ce qui était déjà vrai il y a 100 ans, ou même 2000 ans, l’est davantage encore aujourd’hui. Dans un monde où la pression quotidienne, le stress et l’hyperconnexion dominent nos vies, la quête de tranquillité et de sérénité est devenue essentielle. L’un des premiers bienfaits d’une randonnée en pleine nature réside dans sa capacité à nous déconnecter. En quittant nos écrans et en nous immergeant dans la beauté des paysages, nous nous libérons de l’emprise du monde numérique. Cet éloignement des notifications, des courriels et des sollicitations incessantes permet de réduire le stress mental. La randonnée devient ainsi une forme de « détox » pour l’esprit, lui offrant un répit bien mérité.
La magie de l’ordinaire
Parmi les sources de stress de notre époque, il y a aussi la quête du « toujours plus ». Plus haut, plus beau, plus vite et surtout… toujours plus extraordinaire. Ce constat, valable dans beaucoup de domaines, l’est aussi en matière de randonnée : les « spots » les plus spectaculaires (comme le lac d’Oeschinen, le Creux du Van ou le Fronalpstock) deviennent difficiles à gérer certains jours, tant la foule s’y presse. On veut le meilleur !
Mais notre société s’essouffle. La course aux superlatifs engendre une grosse fatigue. Un retour à des valeurs simples émerge. Très populaire en ce moment avec son dernier livre La Magie de l’ordinaire, le philosophe français Fabrice Midal nous invite à redécouvrir la richesse et la profondeur des expériences quotidiennes souvent négligées. Il propose que l’ordinaire recèle une magie capable de transformer notre perception de la vie et d’améliorer notre bien-être. À y réfléchir, n’est-ce pas là l’état d’esprit des randonneurs ? Les chemins pédestres ne sont-ils pas, pour les quatre millions de personnes qui les arpentent en Suisse, le lieu idéal pour un retour à la simplicité et indirectement un retour à soi ?
Marcher, c’est s’extraire de rythmes effrénés, faire taire le bruit et retrouver un espace intérieur que notre quotidien ne nous laisse plus guère explorer. Marcher, c’est s’offrir une forme d’écoute : du corps, du souffle, du monde qui nous entoure. Que le balisage soit jaune (chemins de randonnée), blanc-rouge-blanc (chemins de randonnée de montagne) ou blanc-bleu-blanc (chemins de randonnée alpine), on y cherche une connexion à la nature, aux autres parfois, mais surtout à soi-même.
Et si ce que nous cherchons en marchant n’était pas un sommet ou un exploit, mais simplement une manière d’habiter le monde autrement ? Une façon de retrouver du sens, de ralentir, de savourer. Le simple fait de poser un pied devant l’autre devient alors un acte profondément réparateur. La beauté n’est plus dans l’extraordinaire, mais dans l’instant.
65 000 km de bonheur
Il est évident que les 65 000 km de chemins pédestres gérés par les 26 associations cantonales membres de Suisse Rando n’ont pas tous le même potentiel pour faire un « buzz » sur Instagram. Mais ils ont tous des arguments pour apporter du bonheur à ceux qui les empruntent. Ils permettent de marcher proche de chez soi ou de découvrir de nouveaux horizons plus lointains. Ils offrent la possibilité de transpirer dans des montées ou de se détendre à plat. Ils nous emmènent à la montagne, dans des forêts, à travers des pâturages ou le long de rivières. Ils invitent à découvrir la formidable diversité des paysages de notre pays. Raison pour laquelle, soit dit en passant, le réseau de chemins de randonnée est aussi utilisé par d’autres adeptes de sports de plein air, pas uniquement par les randonneuses et randonneurs.
L’art de ralentir
Surtout, chaque chemin pédestre est une expérience profondément apaisante. Le bruit du vent dans les arbres, le chant des oiseaux, le murmure des ruisseaux… Ces sons naturels, souvent oubliés, agissent comme des anti-stress puissants. Et puis, la randonnée nous enseigne l’art de ralentir. Chaque pas, chaque respiration, chaque regard porté sur le paysage nous invite à prendre le temps de vivre pleinement l’instant présent.
Un randonneur peut être débutant, occasionnel, passionné, expérimenté, aventurier, montagnard, campeur, sportif, contemplatif, curieux, solitaire, écologiste, etc. Mais avant tout, c’est un être humain qui cherche à se faire du bien. Et les chemins sont là pour lui en offrir la possibilité.
Que ce soit au gré des sentiers ou en savourant le printemps différemment, je vous souhaite une « douce déconnexion ».
Texte Michael Roschi, Directeur, Suisse Rando
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