digitaliser son entreprise pour garantir la qualité et la flexibilité de sa chaîne de production
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Industrie Moderne Technologie

Digitaliser son entreprise pour garantir la qualité et la flexibilité de sa chaîne de production

27.03.2024
par Léa Stocky

Si le secteur de la production de masse s’est digitalisé depuis longtemps, il en est autrement pour les marchés de niche. C’est en effet dans les ateliers industriels, caractérisés par la diversité des machines de production et des compétences, que la digitalisation représente de nombreux défis.

Dans cette interview, François Birling et Vincent Berger, tous deux ingénieurs en informatique industrielle, nous expliquent en quoi la digitalisation, par la centralisation des informations et une meilleure communication, permet de simplifier les processus industriels et de diriger son entreprise vers un plus haut niveau d’excellence dans son secteur d’activité.

François Birling,Professeur HES ordinaire à la HEIG-VD, Responsable du groupe thématique de compétence Automatisation 4.0

François Birling
Professeur HES ordinaire à la HEIG-VD, Responsable du groupe thématique de compétence Automatisation 4.0

Vincent Berger,COO Objectis SA

Vincent Berger
COO Objectis SA

François Birling et Vincent Berger, en quoi consiste la digitalisation au sein d’une entreprise industrielle ?

Il s’agit de la mise en place d’outils informatisés qui vont permettre de collecter des informations au sein des unités de production, de les agréger et de les rendre plus compréhensibles. La digitalisation n’est pas un but en soi, mais un outil qui permet le développement de l’entreprise. C’est pourquoi, avant d’entamer le processus de digitalisation, il faut clairement identifier les objectifs de la société.

Digitaliser une industrie revient à créer une copie numérique des différents éléments d’une entreprise et proposer des outils : de gestion, de pilotage machine, de micro-planification, de transmission d’ordre, d’accès aux données,… qui vont permettre aux utilisateurs d’acquérir une meilleure compréhension de l’entreprise et de ce qui s’y passe.

Aujourd’hui, certaines usines, telles que dans le secteur de l’horlogerie, sont confrontées à une grande flexibilisation de la production, avec des produits de plus en plus personnalisés et fabriqués dans des petites quantités. L’usine de production se retrouve donc avec un grand nombre d’ordres de fabrication différents qui sont actifs en même temps. Dans ce contexte, réussir à savoir où en est la production est un réel défi en termes d’organisation.

Quels sont ses avantages ?

Mettre en place des outils digitaux permet de rassembler l’information, l’analyser et la présenter à chaque collaborateur, ce qui fluidifie le travail de chacun au sein d’un atelier.
La digitalisation ne cherche pas à remplacer l’être humain par des ordinateurs. Il s’agit au contraire de rendre le travail des collaborateurs plus agréable et plus efficace. Loin d’être déshumanisante, la digitalisation met les humains en relation.

La pression psychique, nerveuse mais aussi de management de l’utilisateur est réduite. Dans les métiers de la production, on peut facilement commettre des erreurs. Si on met en place des interfaces utilisateurs qui simplifient le travail, on réduit ces risques. L’humain se retrouve déchargé du fastidieux et du répétitif pour ne garder que les tâches à haute valeur ajoutée.

À un deuxième niveau, la digitalisation et la circulation de l’information garantissent une plus grande agilité et une meilleure traçabilité. Cela permet de mesurer au mieux les délais de livraison et les coûts de production. On acquiert ainsi une meilleure maîtrise des façons de produire.

Enfin, le dernier grand avantage est l’optimisation. Une fois que les informations sont collectées, on peut analyser les zones d’inefficacité et donc améliorer sa façon de produire en travaillant sur l’organisation, la formation du personnel ou encore le choix des outils de production. Sont ainsi améliorées la qualité des produits, les performances mais aussi la qualité de vie des employés en réduisant les tâches répétitives.

Quels sont les obstacles et les défis que les industries peuvent rencontrer dans la numérisation de leurs processus de fabrication ?

On assiste à une réelle prise de conscience du potentiel de la digitalisation, avec des dirigeants qui sont convaincus de ses avantages. Cependant, la complexité pour une entreprise qui veut se digitaliser repose en partie sur le choix des outils technologiques et la compréhension des process internes. Vaut-il mieux se diriger vers un logiciel plus complet dont toutes les fonctionnalités ne seront peut-être pas utilisées, ou vers un logiciel plus précis mais qui sera peut-être plus difficile à prendre en main ?

Un des plus grands défis reste celui de la connectivité. Un logiciel, c’est bien, mais il faut que les informations y soient enregistrées. Pour cela, il est nécessaire de faire la passerelle entre les utilisateurs, les opérateurs, les chefs d’atelier et la technologie logicielle en créant des modèles et en digitalisant la compétence métier. Il s’agit d’acquérir la connaissance auprès des professionnels de l’industrie, unifier l’information, la modéliser et ensuite en créer un logiciel qui réponde parfaitement aux besoins des ateliers. La digitalisation permet de relier les machines entre elles et de connecter les opérateurs avec les systèmes d’information en clarifiant la connaissance et en créant un logiciel standardisé qui simplifie et rend plus agréable son utilisation. Finalement, il s’agit de mettre de l’ordre dans le chaos.

Enfin, une des raisons qui permet d’expliquer le retard qu’ont pris certaines petites entreprises industrielles dans la digitalisation est le fait que le calcul du retour sur investissement est souvent difficile à capitaliser. Entre acheter une nouvelle machine qui permet de produire plus de pièces ou se procurer une solution de digitalisation qui met de l’huile dans les rouages, le choix financier se porte souvent sur la nouvelle machine. Beaucoup d’entreprises tardent à sauter le pas, et c’est pourquoi elles amorcent souvent leur digitalisation sous pression sans avoir eu le temps de bien comprendre leurs processus métiers.

Quels sont les changements culturels, organisationnels ou de management nécessaires pour réussir la transition vers une industrie plus digitalisée ?

La digitalisation est un voyage continu. Il faut comprendre que l’implémentation d’une solution de digitalisation vient souvent bouleverser des années de bonnes et mauvaises pratiques. Il est donc souhaitable que les équipes comprennent et participent à cette démarche et cela passe par une bonne communication entre les managers et l’équipe et une évolution de la culture d’entreprises vers une culture d’innovation. Cette évolution crée de nouveaux rôles dans une société car elle nécessite des collaborateurs qui puissent développer une interface, s’en occuper et former les personnes sur place.

Aujourd’hui, nous remarquons un très fort intérêt des entreprises pour les projets de digitalisation.

Il est aussi souhaitable d’anticiper qu’une telle période de changement et d’adaptation puisse entrainer momentanément une charge de travail additionnelle. Cela implique de communiquer avec ses équipes sur les avancées effectuées, de leur permettre de tester les nouvelles solutions et de pouvoir prendre en compte leurs recommandations.

La digitalisation entraîne enfin un certain transfert de pouvoir au sein des entreprises et donc un accompagnement par le management pour que les équipes acceptent de participer. Finalement, il s’agit d’un processus par lequel les entreprises se réapproprient leur savoir-faire. En effet, pour réussir sa transformation digitale, il est nécessaire d’avoir une parfaite compréhension de ses processus métiers afin que la solution s’adapte aux besoins de l’entreprise, obligeant le management et les équipes à avoir une profonde réflexion sur leur manière de travailler.

Comment voyez-vous l’évolution de la digitalisation des industries ?

Aujourd’hui, nous remarquons un très fort intérêt des entreprises pour les projets de digitalisation. Pour accompagner ce mouvement, une approche pragmatique consiste à simplifier l’implémentation des solutions, et à délimiter un périmètre raisonnable pour ne pas tout digitaliser d’un coup. Les entreprises qui veulent réussir leur digitalisation gagnent à se faire accompagner par des professionnels qui connaissent ces processus et peuvent aiguiller les décideurs et leurs équipes dans les meilleurs choix à faire. Le processus de digitalisation est une vraie opportunité, on constate que les entreprises industrielles qui ont réussi leur digi­talisation parviennent mieux à tirer parti des opportunités de marché, et traversent plus facilement les crises.

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