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Interview Industrie

«Sans exportation, il n’y a pas d’industrie en Suisse»

14.02.2022
par SMA

Dans cette interview, le directeur de Swissmem Stefan Brupbacher parle de l’importance et des possibilités de l’exportation et explique en quoi l’industrie est un fournisseur de solutions.  

Stefan Brupbacher, vous êtes directeur de Swissmem depuis début janvier 2019. Comment avez-vous vécu cette période? 

Effectivement, cela fait déjà trois ans! Le temps est passé très vite. Le travail de directeur de Swissmem est intense. En même temps, il est varié, passionnant et enrichissant. En premier lieu, il y a l’échange avec les entreprises membres. Ce sont pour la plupart des PME qui, avec moins de 250 collaborateurs.rices, sont souvent leaders mondiaux dans leur marché de niche. Beaucoup sont dirigées depuis plusieurs générations par des familles d’entrepreneurs.ses.

Je parle presque quotidiennement avec des personnalités de l’industrie – que ce soit par téléphone, lors de réunions de travail ou lors de l’une de mes nombreuses visites d’entreprises. Cela me permet, ainsi qu’à mon équipe, d’être proche du pouls de l’industrie, de développer les prestations de Swissmem en fonction des besoins et de nous engager de manière ciblée dans la politique pour nos membres.

L’échange quotidien avec les collaboratrices et collaborateurs de Swissmem est tout aussi important. Ils sont tous des experts reconnus dans leur domaine. Cette combinaison de proximité avec les entreprises membres et de connaissances d’experts fait de Swissmem une organisation puissante – et rend le poste de directeur unique. 

Comment le paysage industriel suisse a-t-il évolué depuis quelques années? 

L’industrie suisse évolue en permanence et c’est une bonne chose. La pandémie a accéléré certaines évolutions comme la numérisation. Ainsi, presque toutes les entreprises forment leurs représentants à l’étranger via le numérique. Mais en même temps, la pandémie a aussi montré les forces traditionnelles de l’industrie suisse telles que des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM).

Je prendrai deux exemples: La pandémie a entraîné une situation absolument exceptionnelle. En 2020, en l’espace de six mois, l’économie mondiale a d’abord été arrêtée, puis remise en marche à plein régime. Cela ne s’était encore jamais produit. Dans ce chaos, les entreprises ont dû maintenir les activités, protéger la santé des collaborateurs.rices, garantir les liquidités et les chaînes d’approvisionnement et livrer les produits – là où c’était encore possible. Nos entreprises ont également surmonté cette crise avec agilité, internationalité, engagement et créativité. C’est absolument impressionnant et mérite la plus grande reconnaissance.

Dans les médias, on a surtout parlé du secteur de la santé. Qu’en pensez-vous?

Bien sûr, et c’est normal. Cela m’amène au deuxième exemple: la pandémie a montré que l’industrie est d’une importance systémique pour le fonctionnement de notre société. Sans les moulins de Bühler AG, il n’y aurait ni pâtes, ni pain, ni chocolat; sans nos fabricants d’ascenseurs, aucun hôpital ne fonctionnerait; sans nos entreprises d’automatisation, aucune boîte de vaccin ne serait remplie; sans les fabricants de machines-outils, il n’y aurait pas de seringues; sans les sous-traitants spécialisés, il n’y aurait pas d’appareils respiratoires fabriqués ici.

Dans l’industrie de production, les entreprises suisses sont les championnes du monde avec des solutions pour presque tous les problèmes. Cela n’est malheureusement pas assez connu du public.

L’industrie fournit-elle donc aussi la solution au changement climatique? 

Les entreprises industrielles suisses développent en permanence des technologies de fabrication plus efficaces sur le plan énergétique et plus respectueuses des ressources. Elles développent des solutions pour l’hydrogène et l’e-mobilité, des technologies pour la production d’énergies renouvelables, des techniques de construction efficaces sur le plan énergétique et des méthodes de capture du CO2.

Nous devrions donc plutôt appeler l’industrie MEM «Tech-Industrie», car elle rend chaque jour le monde un peu plus sûr, plus écologique, plus sain et plus prospère – en bref, meilleur – grâce à des solutions technologiques.

Il ne fait aucun doute que la limitation rapide du changement climatique est un défi majeur des prochaines décennies.

Et qu’en est-il de l’importance et des possibilités d’exportation dans ce contexte? 

Sans exportations, il n’y a pas d’industrie en Suisse. Nos entreprises exportent environ 80% de leurs produits et services. Le marché suisse ne pourrait jamais justifier à lui seul les 320 000 emplois dans le pays. Mais la Suisse n’est pas la seule à profiter de l’exportation. Grâce à son mix de produits issus de nouvelles technologies respectueuses du climat, l’industrie technologique suisse peut apporter une contribution substantielle à la réduction des émissions de CO2 dans le monde entier.

En outre, la population suisse ignore généralement que nos entreprises emploient 560 000 autres personnes dans leurs filiales à l’étranger et qu’elles assurent ainsi la prospérité mondiale.

Quelles sont les préoccupations actuelles de l’industrie MEM orientée vers l’exportation?

Nous avons besoin d’un accès aussi libre que possible aux débouchés mondiaux. Le marché de loin le plus important est l’UE, qui absorbe près de 60% des exportations industrielles. Depuis l’enterrement de l’accord-cadre, les relations avec l’UE se sont malheureusement détériorées. Or, de bonnes relations avec l’UE sont essentielles pour l’industrie. Il faut ici un effort politique pour mettre fin à la spirale négative actuelle et revenir sur une voie constructive et porteuse d’avenir. 

Quelle serait la solution? 

L’offensive diplomatique du Conseil fédéral est une bonne chose. Mais un redémarrage des négociations est actuellement bloqué sur le plan de la politique intérieure. Il faut donc un pont pour l’UE et les syndicats. Les deux doivent être capables de se remettre en question.

Notre proposition: nous numérisons et modernisons les mesures d’accompagnement, dont la mise en œuvre se fait toujours par fax, etc. Grâce à l’intelligence artificielle, les organes de contrôle peuvent se focaliser rapidement sur les vrais problèmes. Les contrôles sont ainsi plus rapides et plus ciblés. Le système devient moins cher et le délai d’annonce préalable, très controversé, peut être réduit sans diminuer la protection des salaires. Cette approche gagnant-gagnant contribue à débloquer la situation. 

Mais le monde ne se résume pas à l’Europe, n’est-ce pas?

C’est vrai. Nous ne pouvons renoncer ni aux marchés américains, qui représentent 14% des exportations, ni à ceux de la Chine, qui en représentent 7%. Les conflits commerciaux entre les États-Unis, l’Europe et la Chine nous préoccupent donc beaucoup. Les protectionnistes tentent sans cesse d’empêcher le commerce sous le couvert de la sécurité, des droits de l’Homme et de l’environnement.

Les victimes sont les consommateurs.rices, dont les importations deviennent plus chères, et nos entreprises, qui ne peuvent tout simplement pas respecter les lois contradictoires des blocs de pouvoir en vigueur dans le monde entier. Enfin, le protectionnisme fait retomber la population des pays émergents dans la pauvreté, à laquelle elle avait pu échapper ces dernières décennies grâce aux emplois dans l’économie d’exportation.

La Suisse a donc besoin d’une politique économique extérieure intelligente et neutre. Elle ne doit pas participer aux conflits des grandes puissances. En outre, je le dis clairement et ouvertement: le protectionnisme est irresponsable!

La faiblesse de l’euro ne vous inquiète-t-elle donc pas? 

Il s’agit d’un défi permanent pour l’industrie technologique fortement orientée vers l’exportation. L’appréciation du franc par rapport à l’euro a de nouveau augmenté de manière inquiétante. Elle pèse sur les marges déjà faibles et réduites par la hausse des prix des matières premières.

De quoi êtes-vous particulièrement fier en tant que directeur de Swissmem? 

Mes collaborateurs.rices et moi-même sommes heureux de recevoir des éloges de nos entreprises membres pour les avoir soutenues avec succès dans la crise de la Covid par des conseils en matière de droit du travail ou dans la lutte contre les confinements. Ces compliments se reflètent dans la croissance de nos membres.

Je suis déçu que nous n’ayons pas pu convaincre les politiques de l’utilité de poursuivre les négociations sur l’accord-cadre. Mais comme il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, mieux vaut tirer des leçons des défaites et faire mieux la prochaine fois.  

Que faites-vous pendant votre temps libre? Comment luttez-vous contre le stress que le travail peut engendrer?

Nous vivons dans un pays magnifique. Chaque week-end, ma femme et moi partons en montagne pour faire de la randonnée ou du ski. Pendant les vacances, nous faisons de la plongée ou un safari à pied dans des pays lointains. Du repos à l’état pur, sans Internet ni téléphone portable!

La fin de la pandémie de la Covid-19 ne semble pas si proche. Comment motivez-vous les membres de votre association? 

Nous ne sommes pas pessimistes concernant la Covid et les entreprises industrielles n’ont pas besoin de nous pour être motivées. Nos membres sont dirigés par des entrepreneurs.ses qui, avec leurs collaborateurs.rices, mettent la main à la pâte, façonnent et regardent vers l’avenir. L’objectif commun est de réussir à long terme.

La tâche de Swissmem est de soutenir au mieux les entreprises membres sur cette voie dans les questions opérationnelles et de veiller à de bonnes conditions-cadres au niveau politique et économique. Et c’est précisément ce qui me motive!

Tout le monde parle de durabilité, notamment pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de CO2. Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit à ce sujet?

Il ne fait aucun doute que la limitation rapide du changement climatique est un défi majeur des prochaines décennies. Il est aussi clair qu’une réduction massive des émissions de CO2 est nécessaire pour y parvenir. C’est pourquoi la gauche demande des dérogations et des interdictions de consommation. Mais cela mènerait directement à la récession, à l’appauvrissement et à la lutte pour la répartition. La classe moyenne en pâtirait. Les «gilets jaunes» en France ont montré que la classe moyenne se défend contre le déclin. Sans le soutien du peuple, la protection du climat est une illusion. 

Il ne nous reste donc qu’une seule voie: le progrès technologique. Il est énorme depuis des années. Soyons en outre ouverts à toutes les technologies, pour autant qu’elles réduisent les émissions de CO2. Donnons enfin un prix au CO2 pour que les investissements dans les nouvelles technologies à faible émission de CO2 soient rentables. Pour le climat mondial et pour l’industrie technologique suisse, c’est la voie du succès!

Nous invitons tous ceux qui souhaitent suivre cette voie avec nos entreprises, tous ceux qui veulent un travail qui a du sens et qui est passionnant dans un environnement moderne, à venir travailler dans notre branche. L’accès est ouvert à tous. Que ce soit par le biais d’un apprentissage, d’une reconversion professionnelle ou d’études à l’université ou dans une haute école spécialisée, des postes sont à pourvoir. Les femmes sont particulièrement bienvenues. 

Photo David Schweizer

 

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