Résiliente, optimiste et créative, Barbara Lax a usé de ses qualités pour lancer sa chaîne de crèches, Little Green House. Si le succès est aujourd’hui au rendez-vous, le chemin vers l’entrepreneuriat n’a pas été un long fleuve tranquille pour celle qui a passé les 20 premières années de sa carrière dans l’ingénierie et la construction. Dans cette interview, elle nous parle de son parcours, des difficultés qu’elle a rencontrées mais aussi du positif que tout cela lui a apporté.
Barbara Lax, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
Originaire de Bavière, j’ai étudié le génie civil à Karlsruhe. Un jour, j’ai écouté une présentation d’un professeur de l’EPFL spécialisé dans le bois, qui m’a fascinée. De plus, j’ai toujours voulu vivre en Romandie, où je faisais enfant des randonnées en ski avec mon papa. J’ai donc envoyé une candidature à ce professeur et j’ai pu commencer un travail de recherche sur la combinaison du bois et du verre. Ensuite, je suis partie deux ans à Barcelone pour un autre travail de recherche puis un master, avant de voyager six mois en Amérique du Sud. Après mon retour en Suisse, j’ai commencé à travailler chez Caterpillar où j’ai eu de nombreux postes. J’aimais beaucoup la dimension internationale et la culture d’entreprise, faite de bons moments passés entre collègues et même de voyages. Après plusieurs années dans le milieu universitaire, j’ai aussi apprécié pouvoir continuer ma carrière dans le monde des entreprises.
Cependant, cela a commencé à être un peu plus compliqué pour moi avec la naissance de ma fille en 2009. J’ai caché ma grossesse assez longtemps car je sentais que cela pouvait être un frein à ma carrière. Je craignais de ne plus pouvoir progresser dans un environnement et un réseautage majoritairement masculin. Je ne me sentais plus très à l’aise car je voyais la différence de traitement entre les femmes et les hommes lors de l’arrivée d’un enfant. J’étais également un peu frustrée de ne pas avoir de résultats tangibles de mon travail. Je souhaitais avoir un réel impact. Lors d’un test de personnalité, je me suis aussi rendu compte que j’avais le profil d’entrepreneur, ce qui était assez surprenant pour moi car je ne viens pas du tout de ce milieu.
Comment est né Little Green House ?
L’idée est venue totalement par hasard. Je savais que je n’étais pas satisfaite de ma situation, mais je ne prévoyais pas nécessairement de me lancer dans l’entreprenariat. Lors d’un barbecue avec des amis, nous discutions des projets que nous aimerions lancer si l’on en avait la possibilité. Ma première idée a été d’ouvrir des biergarten à Genève car je trouvais qu’il en manquait (rires). Cela n’avait pas vraiment enthousiasmé mes amis, qui au contraire se sont montrés plus optimistes quant à ma deuxième idée d’ouvrir des crèches. Une des copines présentes m’a parlé d’une connaissance à elle qui, après un parcours d’ingénieur, s’est lancée dans la création d’un réseau de crèches à Munich. C’est à ce moment-là que mon projet a commencé à germer dans ma tête. On a toujours besoin d’un modèle. Savoir que quelqu’un a tenté avant moi et a réussi m’a motivé. Cette idée ne m’a plus lâchée, j’en suis tombée amoureuse. Pendant les deux années qui ont suivi, j’ai continué de travailler chez Caterpillar mais je consacrais chaque minute de mon temps libre à la recherche et à la rencontre d’investisseurs et de partenaires. Au fur et à mesure, le projet s’est concrétisé jusqu’au moment de la signature du bail à Gland.
Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés ?
Tout ne s’est pas passé comme prévu. Les deux premières années ont été les plus difficiles de ma vie. Je n’avais pas d’autres ressources financières que mes propres économies et j’ai très vite atteint mes limites car j’étais trop optimiste dans mon business plan. Je cumulais deux emplois et avais un enfant en bas âge à la maison, je suis donc également arrivée au bout de mes ressources en énergie, d’autant plus que je n’étais pas forcément soutenue par mon entourage qui ne comprenait pas mon projet. Beaucoup ont trouvé ce changement de carrière complètement fou. Au niveau physique, je ne dormais plus et suis tombée en dépression. Je me mettais beaucoup de pression et étais très dure avec moi-même.
J’ai pu cependant m’appuyer sur des collègues et j’ai réussi à identifier deux ou trois personnes qui pouvaient porter ce projet avec moi. J’ai également fini par trouver des financements et des partenaires, à prendre confiance en moi et à développer ma résilience. Me sortir de cet échec m’a permis de traverser les autres tempêtes que j’ai vécues depuis.
Pourquoi un tel projet ?
Mon but avec les crèches était d’aider les mères à poursuivre leur carrière grâce à un partenaire de confiance. L’idée est de soutenir les familles modernes et les femmes à garder leur indépendance financière et à ne pas avoir à choisir entre vie professionnelle et vie personnelle. Je pense qu’aujourd’hui, on n’est qu’au début de tout ce que nous pouvons encore apporter à cette société de demain.
Comment mesurez-vous l’impact de vos crèches sur les enfants et les familles ?
Aujourd’hui, nous avons 350 employés et 700 places à plein-temps, ce qui impacte environ 1400 familles. Tous ces enfants ont accès à une éducation multilingue et ludique en français, anglais et allemand. Ils développent donc une appétence qui va les aider dans leur vie, ainsi qu’une empathie et une ouverture d’esprit envers l’autre. Nous mettons également l’accent sur le développement des enfants en fonction de leurs centres d’intérêt en les aidant à trouver leur passion. L’ouverture à la nature est également très importante pour nous.
Vous êtes également membre de trois conseils d’administration. Que cela vous apporte-t-il ?
Je suis membre du conseil d’administration de l’accélérateur de start-up, Genilem, d’un groupe d’architectes, Itten Brechbühl et du Tunnel du Grand Saint-Bernard. Je suis très contente d’avoir pu garder ce lien avec le secteur de la construction dans lequel j’ai passé les premières vingt années de ma carrière. Me lancer dans une aventure entrepreneuriale a signifié pour moi faire le deuil de ma précédente carrière et de ce monde familier dans lequel j’ai évolué et je me suis fait des amis. Grâce à mon rôle d’administratrice, je n’ai pas eu l’impression d’avoir à choisir. Si on ose sauter le pas, on peut avoir sa place dans plusieurs secteurs différents. On peut même enrichir plusieurs mondes et partager des innovations grâce à l’expérience qu’on emmène avec soi. On sort les gens de leur zone de confort, favorisant ainsi le progrès et l’innovation.
Que pensez-vous de la représentation des femmes dans les conseils d’administration ?
Les statistiques montrent que les femmes sont encore sous-représentées dans les conseils d’administration. Avoir plus de femmes, de personnes jeunes et d’étrangers permettraient de mieux représenter la société et d’apporter plus de créativité, de compétitivité, d’agilité et d’innovation.
Le monde de l’entrepreneuriat est-il accueillant pour les femmes ?
Comparé avec ce que j’ai vécu en tant qu’employée en entreprise, je trouve que le monde de l’entrepreneuriat m’a ouvert énormément de portes, et particulièrement en tant que femme. J’ai grandi dans un environnement traditionnel bavarois et je me suis toujours un peu mis des limites sur ce que je pouvais faire ou non. Cependant, j’ai toujours eu ce besoin de me faire respecter de la même manière que les hommes. Si en études d’ingénieur c’était assez facile, dans le monde des grandes entreprises, il y a historiquement des cercles d’hommes auxquels les femmes n’ont pas accès et qui se soutiennent, qui vont boire des bières après le travail etc, d’autant plus dans le milieu de la construction. Le monde de l’entrepreneuriat est beaucoup plus ouvert car les gens ne sont pas autant soudés et il y a aussi plus de place. Tout le monde comprend le besoin d’ouverture et d’innovation. Cependant, je suis consciente qu’il s’agit de mon expérience personnelle.
En tant qu’entrepreneure, certaines banques m’ont refusé des financements mais il est difficile pour moi d’en identifier les raisons. Je ne sais pas si c’est parce que je suis une femme ou parce que j’ai créé un projet dans le social et l’éducation. Cependant, je me suis fait aider par la banque alternative suisse qui, déjà en 2010, avait un programme pour le développement durable et pour les femmes entrepreneures. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un désavantage dans les conseils d’administration et je me sentais plutôt la bienvenue en tant que femme. J’ai gagné le prix de la femme d’affaire de Veuve Clicquot, j’ai été choisie pour l’Entrepreneurial Winning Women program de EY, ou encore comme entreprise innovante par l’IMD à Lausanne. J’avais plutôt l’impression d’avoir certains soutiens que je n’aurais pas eu si j’étais un homme.
Malgré l’existence de ces aides, il est encore nécessaire de soutenir les femmes entrepreneures. Le système traditionnel présente des défis qui rendent difficile leur progression, notamment en raison du manque de réseaux de soutien et de modèles féminins dans l’entrepreneuriat. Il est crucial de renforcer les réseaux, la communication et les opportunités de mentorat pour les femmes, afin qu’elles puissent naviguer plus facilement dans ce domaine. Il y a encore du travail à faire pour créer un environnement où les femmes peuvent s’épanouir pleinement et être encouragées à poursuivre leurs ambitions entrepreneuriales.
Selon vous, qu’est-ce qui définit un bon entrepreneur ?
Il faut être courageux, avoir un appétit pour le risque et être résilient. Il faut aller vers les gens, ne pas avoir peur d’être rejeté et avoir une certaine empathie. Il est également important de se développer dans son rôle de direction. C’est pourquoi être trop perfectionniste n’aide pas car cela nous pousse à tout vouloir contrôler et peut à un moment donné nous empêcher de croître.
Si vous pouviez dire quelques mots à nos lectrices, quels seraient-ils ?
Si l’on a un rêve, il faut se donner les moyens de le poursuivre car on trouvera toujours un chemin. Faire un choix, ce n’est pas renoncer, mais construire notre vie en fonction de nos expériences. Kierkegaard dit que la vie se comprend par un retour en arrière, mais qu’on ne la vit qu’en avant. Cela résume bien ma pensée. Les anciennes générations nous poussent encore à suivre un chemin prédéfini. Or l’ouverture, essayer de nouvelles choses et suivre ses passions, tout en gardant son indépendance financière, n’est que positif.
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