Aujourd’hui, de plus en plus d’enfants et de jeunes soutiennent avoir été victimes de moqueries à l’école ou sur les réseaux sociaux. Anne Jeger, psychologue clinicienne FSP active au sein de l’Association VIA, souligne que « Le harcèlement scolaire touche plus de 10% d’enfants en Suisse, soit deux élèves par classe. Selon l’enquête PISA publiée en 2019, en 2015, 11% des élèves de 15 ans déclaraient avoir subi des moqueries contre 15% en 2019 – sachant que bon nombre d’enfants et d’adolescents n’en parlent pas et n’en parleront jamais ».
Anne Jeger, qu’est-ce que le harcèlement scolaire ?
Le harcèlement scolaire englobe tout un ensemble de brimades et d’attaques infligées par un ou plusieurs individus sur un autre enfant souvent seul : moqueries, insultes, humiliations, rumeurs, chantages, contraintes, menaces, rejets, isolement, coups, etc. Il est le plus souvent insidieux. À la différence de la violence physique où l’enfant est marqué de coups, la violence psychologique ne laisse pas de traces visibles. Cette dernière comporte trois caractéristiques : elle est intentionnelle souvent couplée d’un rapport de domination, se répète – parfois pendant des années – et entraîne l’isolement. On parle de harcèlement moral – le plus fréquent à l’école – ou psychologique, de harcèlement physique et sexuel.
Pensez-vous que le harcèlement scolaire ait évolué ou changé en raison du boom des médias sociaux ?
Oui, car n’importe qui peut harceler n’importe qui à tout moment de la journée et de la nuit. Le cyber harcèlement est souvent la continuité du harcèlement scolaire. L’incitation à la violence y est facile, gratuite et souvent anonyme.
Au quotidien, quel est le poids du harcèlement sur le mental et le physique des victimes ?
Il est important. C’est un sujet de société et de santé publique sérieux. Certains enfants en viennent à avoir peur d’aller à l’école. Les symptômes remarqués sont les suivants : tristesse apparente et chronique, irritabilité, anxiété de séparation, sentiment de culpabilité et de honte, repli sur soi, agressivité voire violence envers les autres, baisse de l’estime de soi, scarifications, tentatives de suicide, plaintes somatiques fréquentes telles que les maux de ventre, de tête et les nausées. Ceci a pour conséquences directes une chute des résultats scolaires, de l’absentéisme à répétition et un refus de l’école. L’anxiété scolaire apparaît et s’installe. La détresse psychologique et émotionnelle est manifeste, les idées suicidaires pas rares. L’enfant développe une phobie scolaire et tombe alors en dépression.
Comment affecte-il les parents ?
Bon nombre de parents m’appellent et je suis très touchée de recevoir leurs récits et d’identifier les conséquences du harcèlement scolaire sur la famille entière. Il y a quelques années, j’entendais des parents tristes et impuissants. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus en colère devant l’inertie du système scolaire et l’absence d’interventions. Ils entendent dire à leurs enfants : « Il faut te défendre. Allez, ce n’est pas très grave. Ce sont des enfantillages. Je ne sais pas qui a commencé… ».
Quel est le rôle des professeurs et des conseillers scolaires ?
Ils se doivent d’être vigilants en classe et dans la cour de récréation. Un enfant qui souffre est souvent seul, préfère être assis au premier rang en classe et est parfois absent dans la cour car il se réfugie dans les toilettes ou dans un autre endroit secret. Quand un enfant sort de son mutisme et qu’il a le courage de parler, il faut prendre du temps pour lui, l’écouter sans le juger et sans banaliser ses mots et ses maux, et surtout prendre au sérieux ce qu’il dénonce. L’adulte qui reçoit ses confidences doit en référer à ses parents, à un médiateur scolaire via l’enseignant-e et à la direction.
Que conseillez-vous aux personnes concernées par le harcèlement scolaire ?
Aux parents, je conseille de prendre le temps d’écouter leur enfant qui s’arme de courage pour parler, sans banaliser ses plaintes, et de contacter rapidement l’enseignant-e.
Aux enfants et adolescents qui m’écrivent, qui consultent ou qui participent aux ateliers de l’association VIA, je suggère de parler à leurs parents ou à un adulte de confiance. Ce peut être aussi des amis qui alerteront l’enseignant.
Aux professeurs, je recommanderais de faire de la prévention en classe dès la première semaine de la rentrée scolaire : expliquer, informer, parler du harcèlement physique, psychologique et sexuel, de la contrainte, du chantage et de la manipulation. Il faut poser des questions aux élèves : « À partir de quand commence le harcèlement ? Qui peut être harcelé ? À partir de quand suis-je complice d’un harcèlement ? Qu’est-ce que l’empathie ? etc. ». Les enfants doivent réaliser que rire de quelqu’un signe les prémices d’un harcèlement scolaire. Sous forme de jeux de rôle, les enseignants peuvent travailler avec les enfants l’empathie, les jeux de pouvoir et les mener ainsi à réfléchir aux conséquences de leurs actes et à leur responsabilité : éviter de rire en groupe et d’encourager le harcèlement, de transférer des messages humiliants sur les réseaux sociaux, autrement dit soutenir la victime, signaler les messages dégradants et le harcèlement à un enseignant ou à un adulte, interpeler le harceleur.« Par ailleurs, les enseignants doivent évoquer la notion du respect de soi et des autres, de l’interdit, des règles pour bien vivre ensemble et des conséquences quand celles-ci ne sont pas respectées – comme la sanction. Se former à la méthode de la préoccupation partagée (MPP) offre de précieux outils.
Et comment voyez-vous l’avenir de ce phénomène ? Pensez-vous qu’il sera davantage accentué à l’avenir ?
Je suis préoccupée car il y a beaucoup à faire pour enrayer la violence à l’école et sur les réseaux sociaux. Faire de la prévention est capital afin d’éviter plus de déscolarisations et de plaintes pénales. Il est important de créer une collaboration parents-enfant-médiateur-enseignant-direction. L’école doit être un lieu où l’enfant se sent protégé et peut y vivre joyeux. On n’a plus le temps de se poser des questions, il faut agir !
Ateliers de soutien aux enfants/jeunes victimes de violence scolaire.
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