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Enfants Famille Portrait

Grandir dans un orphelinat: des années difficiles

18.08.2021
par SMA

Lorsqu’elle avait neuf ans, Leila* fut envoyée dans un orphelinat. Cette expérience a eu un grand impact sur sa vie. La jeune femme de 24 ans nous raconte son enfance difficile. 

«Soudain, un employé du bureau de l’aide sociale à la jeunesse s’est présenté à la porte», se souvient Leila que j’écoute attentivement. Nous sommes dans mon appartement d’une pièce à Zurich. Il y a quelques heures, nous avons cuisiné ensemble.  Je tends à Leila mon mug rose préféré avec l’inscription «With me is not good cherry eating». Elle s’assied sur mon lit, les jambes relevées, et boit le thé brûlant qui a un étrange arrière-goût. Je lui promets de ne plus acheter ce thé et nous poursuivons ensuite notre conversation.

À l’époque, Leila vivait avec sa mère et son frère – plus jeune de deux ans – dans le canton de Zurich. Ses parents étaient séparés et avaient une relation difficile. Depuis leur séparation, la mère s’était retrouvée seule avec les jeunes enfants et souffrait de problèmes psychologiques. Elle travaillait souvent de nuit, laissant les enfants seuls à la maison. Très tôt, Leila a donc dû prendre des responsabilités. Par exemple, le matin, lorsque sa mère ne se réveillait pas car elle avait travaillé jusqu’à tard, c’est Leila qui réveillait son petit frère et qui l’accompagnait à l’école maternelle.

Au fil du temps, à l’école, les professeurs remarquèrent que le petit frère de Leila était souvent fatigué et que ses vêtements n’étaient pas toujours propres. C’est pourquoi, un jour, sa maîtresse décida d’appeler le bureau de protection de la jeunesse. «Elle a trop interféré», m’explique Leila en secouant la tête. «C’est vrai, je me souviens que mon frère et moi étions très fatigués à l’école», raconte-elle en écartant une mèche de cheveux noirs de son visage. Très vite, le bureau de l’aide sociale à la jeunesse se présenta donc à la porte de Leila et amena sa mère, menottée, dans une clinique psychiatrique. Leila et son petit frère n’en savaient rien car ils étaient à la garderie à ce moment-là.

«Le responsable de l’accueil périscolaire nous a convoqués. Il nous répétait que tout irait bien, mais il ne pouvait pas nous regarder dans les yeux. C’est là que j’ai su que quelque chose n’allait pas.» Leila et son petit frère furent ensuite conduits hors de la garderie par une sortie arrière. Le directeur de l’orphelinat les attendait déjà dans une voiture et leur expliqua qu’ils allaient s’amuser en visitant une ferme. «On ne nous a même pas dit pourquoi nous allions à l’orphelinat et combien de temps nous allions y rester. Je n’osais pas poser des questions, car je voulais paraître une gentille fille.»

Ce n’est que plus tard que Leila comprit que la ferme, située à Berne, était enfait un centre d’accueil provisoire – l’orphelinat manquait de place à l’époque. Dès leurs premiers moments sur place, les deux propriétaires de la ferme, une mère et sa fille, s’occupèrent chaleureusement de Leila et de son frère. Leila aidait toujours à la ferme, mais elle allait aussi à l’école. Elle a de bons souvenirs de cette époque. Par exemple, elle me raconte que, avant d’aller se coucher, les propriétaires de la ferme lui donnaient toujours un baiser sur la joue. Néanmoins, six mois plus tard, elle fut envoyée à l’orphelinat.

Une nouvelle vie

Je demande à Leila si elle se souvient de son premier jour au foyer. Elle réfléchit un instant, puis m’explique en détail: «Après un long trajet, on arriva à l’orphelinat. Un garçon nous accueillit avec gentillesse et nous montra toutes les pièces de l’établissement. Il nous expliqua aussi que lui et deux autres personnes quittèrent l’orphelinat lorsqu’ils avaient 16 ans car il n’y avait plus de place pour eux. C’est parce qu’eux sont partis, que mon frère et moi avons pu entrer à l’orphelinat.» Quand ils arrivèrent au foyer, Leila n’avait que neuf ans. Elle avait la chance d’avoir une chambre pour elle seule, alors que son frère devait en partager une avec un autre garçon.

Lorsque Leila me raconte son enfance, je pense à mon enfance protégée et je me demande comment je me serais sentie si j’étais arrivée toute seule dans un nouvel environnement à cet âge. Je me serais probablement sentie perdue et seule.

Selon Leila, la plupart des personnes qui s’occupaient du foyer avaient un programme bien défini et leur travail consistait à le suivre à la lettre. Mais il y en avait tout de même quelques-uns qui s’investissaient corps et âme et qui s’intéressaient véritablement aux enfants. Par exemple, Leila m’explique qu’elle avait une bonne relation avec le cuisinier qui, une fois, lui a même offert une poupée. Leila soutient que les jours à l’orphelinat étaient tous les mêmes. Chaque  matin, tous les enfants et les gardiens prenaient leur petit-déjeuner ensemble. Les enfants allaient ensuite à l’école, ils rentraient au foyer à midi et dînaient tous ensemble – ils avaient un plan de menus fixe. Les enfants avaient aussi un plan pour les corvées. Ensuite, après l’heure de repos obligatoire, les enfants retournaient à l’école ou faisaient leurs devoirs. Ce n’est qu’alors qu’ils étaient autorisés à jouer. Tous les quinze jours, ils pouvaient retourner chez leurs parents pour le week-end. C’était également le cas pour Leila et son frère, qui allaient voir leur mère. Pendant ces week-ends, les deux enfants étaient plus inséparables que jamais. Depuis toujours, Leila s’était fait un devoir de protéger son petit frère.

Nuits tristes

«Entre enfants, nous nous sommes tous aidés et réconfortés. Bien sûr, on se disputait aussi, mais on était tous dans le même bateau et on avait l’impression d’être une famille.» Leila me raconte qu’elle était populaire à l’école car, en raison de ses origines serbes, elle était l’une des rares étrangères de la classe. C’est pourquoi, la fille aux cheveux noirs a toujours suscité la curiosité de ses camarades de classe. C’est aussi à l’école que Leila rencontra sa meilleure amie. «Nous avons vécu beaucoup de choses ensemble et nous avons toujours beaucoup ri. D’ailleurs, je me souviens encore aujourd’hui de son rire», me dit Leila avec des yeux brillants. Malheureusement, cela ne changeait rien à la tristesse qu’éprouvait la jeune fille qui, toutes les nuits, ne pouvait retenir ses larmes. «Pendant la journée, on était distrait. C’est pendant la nuit qu’on se rendait compte qu’il nous manquait quelque chose.» En guise de consolation, Leila gardait toujours une photo de sa grand-mère sous son oreiller.

Trois ans après son arrivée au foyer, lorsqu’elle avait douze ans, Leila fut autorisée à partir et à retourner vivre avec sa mère, tandis que son petit frère fut obligé de rester à l’orphelinat pendant un an de plus. Pendant les trois années qu’ils ont passées au foyer, la mère de Leila fit de tout pour récupérer ses enfants. Néanmoins, la relation mère et fille était difficile. Adolescente, Leila voulait passer du temps avec ses amis, ce qui ne plaisait pas à sa maman. Elles se disputaient donc souvent, et d’autant plus que sa mère était toujours en détresse mentale. Leila se sentait stressée, sous pression et commençait même à bégayer. Ce n’est qu’avec le temps qu’elle se débarrassa de ce trouble.

Lorsque Leila quitta ensuite le foyer familial à l’âge de 20 ans, sa relation avec sa mère s’améliora un peu. «Je comprends ma mère sur de nombreux points, mais son comportement durant mon enfance et mon adolescence a laissé des traces durables. C’est pourquoi notre relation mère-fille n’est pas parfaite.»

Je demande à Leila, dans quelle mesure le temps passé au foyer l’a façonnée. Elle répond: «Le foyer m’a habituée à une routine quotidienne structurée. Je ne vivais pas du tout de manière organisée avant mon passage à l’orphelinat. J’ai également appris très tôt ce que signifie prendre des responsabilités et voler de ses propres ailes. J’ai dû apprendre à me défendre, à exprimer mes besoins et à me faire confiance. Je n’étais pas une enfant facile et je ne laissais personne me dire quoi faire.» Plus tard, Leila comprit qu’il s’agissait là d’une grande faiblesse. La jeune femme était en effet si forte que son côté vulnérable n’avait plus sa place. Après tout, cela était dû au fait qu’elle s’était débrouillée seule toute sa vie.

Accès aux émotions

«Dans le foyer, je ressentais un manque d’amour et de sécurité. Personne ne nous faisait des câlins le soir ou nous exprimait son amour.» Pour cette raison, elle était aussi émotionnellement distante de tout et de tout le monde. Ce n’est qu’à l’âge de 17 ans qu’elle apprit à exprimer ses émotions. En effet, grâce à des films traitant des liens familiaux, de l’amitié et de l’amour, Leila a pu donner libre cours à ses sentiments et a découvert un côté vulnérable et empathique d’elle-même. Elle a ainsi compris que pouvoir montrer ses faiblesses est aussi une force.

Leila m’explique que, si un jour elle a des enfants, elle aimerait leur apprendre à avoir une bonne estime d’eux-mêmes. La reconnaissance, l’appréciation et surtout l’amour sont des éléments essentiels selon elle.

Je regarde l’horloge et je suis surprise de voir qu’une heure s’est déjà écoulée. Le thé que je n’ai pas fini a refroidi entre-temps. Je demande donc à Leila comment elle voit son avenir. Elle me regarde pensivement avec ses yeux bruns et, après une courte pause, elle finit par dire: «Je ne veux pas avoir peur de grandir et de perdre mon côté enfantin. Et j’espère toujours avoir de l’amour, de l’espoir et une étincelle vive dans mes yeux.»

*Nom changé par la rédaction

Texte Sonya Jamil

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