Vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) de 2002 à 2015, Jean Jouzel a contribué à établir le lien entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et le réchauffement climatique à la fin des années 1980. Dans cette interview, le paléoclimatologue revient sur les conclusions du GIEC et sur les solutions qui existent pour faire face à la crise climatique.
Jean Jouzel, comment qualifieriez-vous l’évolution des consciences des dernières décennies sur les enjeux liés au dérèglement climatique ?
Les décideurs politiques ont commencé à se rendre compte de l’impact des activités humaines sur le dérèglement climatique avec le rapport Charney de 1979. Cependant, les quatre dernières décennies montrent qu’il s’agit d’une prise de conscience dans les textes, qui sont ambitieux, et non dans la réalité. Le GIEC ne fait pas de recommandation. Son rôle est de fournir aux décideurs politiques des arguments pour qu’ils puissent prendre des décisions. Pour cela, il faudrait qu’ils aillent au-delà des déclarations de principes.
Au niveau des entreprises, la prise de conscience s’est accrue depuis le rapport Stern de 2006 et est assez hétérogène : certaines s’engagent tandis que d’autres soutiennent des climatosceptiques.
En France, l’été 2003 et la canicule ont alerté les citoyens. Cependant, la réalité du réchauffement a vite été oubliée par la suite.
Que faut-il retenir du dernier rapport du GIEC ?
Ce qui est au centre de ce rapport est la certitude que le réchauffement climatique menace notre planète et qu’il est lié à l’activité humaine, probablement dans son intégralité. Pour moi, il est important de retenir que ce que l’on vit aujourd’hui a été anticipé par les scientifiques depuis une trentaine d’années. Rien n’est une surprise. Cela doit nous inciter à accorder de la crédibilité à leurs travaux.
Vous affichez vos soutiens politiques et apparaissez régulièrement dans les médias. En quoi est-ce important pour vous de porter votre voix au-delà de la sphère scientifique ?
Au GIEC, nous avons un devoir de réserve. Depuis 2015, je suis en effet davantage engagé. D’une façon générale, je pense que les scientifiques ne doivent pas rester dans leur tour d’ivoire. Il est important d’informer le grand public.
Sur fond de guerre en Ukraine et d’épuisement des ressources naturelles, comment liez-vous les enjeux climatiques et économiques ?
Le contexte géopolitique illustre l’importance de se tourner vers la production d’énergies renouvelables et l’on peut regretter qu’une des premières réactions à la guerre en Ukraine a été de relancer les centrales à charbon dans certains pays. Les énergies fossiles sont en effet responsables de près de deux tiers des émissions de gaz à effet de serre.
Quelles sont les solutions permettant de rendre le secteur de l’énergie plus durable ?
La première conclusion du rapport RTE est que la France n’atteindra pas son objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 sans un développement significatif des énergies renouvelables. Je regrette que celui-ci ait pris du retard : elles représentent aujourd’hui un peu moins de 20 % des énergies produites au lieu de 24 %. Deuxièmement, il est indiqué que se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus dynamiques que ceux des pays européens. Quoi qu’il en soit, l’énergie restera chère et il faudra mobiliser de grandes quantités d’argent. L’Europe a en ce sens un rôle à jouer.
Beaucoup de personnes, notamment des jeunes, souffrent d’éco-anxiété et décident de ne plus s’informer. Que pensez-vous de ce phénomène ?
Il faut continuer à s’informer. Les jeunes sont les bénéficiaires de la transition si elle réussit et les victimes si elle échoue. Ils doivent réaliser qu’elle est aussi synonyme d’amélioration de la qualité de vie, de solidarité entre les pays et qu’elle est intéressante du point de vue de la recherche et de l’innovation. C’est pourquoi les jeunes peuvent aussi la voir comme une opportunité d’engagement, d’inventivité et d’innovation. J’aimerais leur dire de ne pas baisser les bras.
Et vous, comment réussissez-vous à garder de l’espoir face à l’avenir ?
Limiter le réchauffement climatique à 1,5 ou même à 2 degrés nécessite un changement complet du mode de fonctionnement de nos sociétés et je vois bien que nous n’en prenons pas le chemin. Je ne suis pas particulièrement optimiste mais je reste persuadé que la seule façon d’aller de l’avant est d’agir. C’est pourquoi je souhaite continuer de témoigner. L’action c’est maintenant et chaque dixième de degré gagné compte.
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