bertrand piccard interview bertrand piccard : écologie et rentabilité économique, l’une ne va plus sans l’autre
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Interview Bertrand Piccard : Écologie et rentabilité économique, l’une ne va plus sans l’autre

02.11.2023
par Léa Stocky

« Pour abriter toutes les personnes issues de l’exode rural et tous les nouveaux habitants de la planète dans les 20 prochaines années, il faut construire l’équivalent d’une ville comme Manhattan tous les quatre mois », indique Bertrand Piccard. Créée sous l’impulsion de l’explorateur et environnementaliste et inaugurée le 20 septembre à la Cité des Sciences et de l’industrie, l’exposition Ville de Demain montre comment habiter autrement.

En me baladant dans les différents espaces, j’ai découvert de façon ludique les solutions concrètes présentées pour faire face à l’urgence climatique. L’après-midi, j’ai pu en discuter directement avec Bertrand Piccard, que j’ai rencontré dans le lounge d’un hôtel parisien.

Bertrand Piccard

Bertrand Piccard

Bertrand Piccard, quelle est la chose la plus folle que vous ayez faites dans votre vie ?

Je dirais que je me suis senti fou toutes les fois où des spécialistes m’ont dit que quelque chose était impossible et que je l’ai fait quand même. Je ne parle pas seulement d’accomplir le tour du monde en ballon ou en avion solaire, mais aussi le fait de trouver 1000 solutions à la fois écologiques et économiquement rentables. Peut-être que la chose la plus folle est d’annoncer à l’avance ce qu’on va faire même si les gens n’y croient pas, puisqu’on est alors obligé de réussir. Avec le recul, je me dis que les fous étaient ceux qui n’y croyaient pas !

Quelles initiatives menez-vous en France en faveur du développement durable ?

Mon but est de donner une image désirable de l’écologie aux acteurs du monde industriel, économique et politique. J’essaie de me démarquer de l’image sacrificielle de l’écologie pour montrer aux décideurs qu’il est dans leur intérêt d’agir. En effet, moderniser notre monde pour le rendre moins polluant et plus propre est un avantage économique et crée de nombreux nouveaux emplois.

Quel est le but de l’exposition à la Cité des Sciences ?

On peut y découvrir la manière de moderniser la construction, l’habitat, l’énergie, la mobilité et la gestion des déchets et de l’eau. Tout ce qui est présenté dans l’exposition est utilisé dans certaines villes car une décision a été prise à un moment donné. On voit ainsi qu’on peut utiliser du ciment partiellement décarboné, du béton recyclé, des agrafes de métal sans armatures en acier, lourdes et polluantes, des pompes à chaleur avec des puits géothermiques qui baissent de 80 % la consommation d’énergie ou encore des systèmes de réglage de température en fonction du nombre de personnes présentes dans un bâtiment.

Pourquoi l’implémentation des solutions prend-elle parfois beaucoup de temps, malgré la preuve de leur efficacité ?

C’est toujours plus facile de ne rien faire que de faire quelque chose de nouveau. Ce qui est grave aujourd’hui, c’est cette paralysie face à l’urgence climatique. L’être humain n’aime pas changer ses habitudes, c’est pourquoi il faut lui donner confiance dans le changement en montrant les solutions attrayantes et leur intérêt économique. On crée en effet davantage de valeur en entrant dans une économie circulaire et efficiente.

L’inertie des décideurs décourage beaucoup de gens qui baissent alors les bras en se disant qu’il n’y a plus rien à faire. Les écologistes sont convaincus depuis longtemps, mais afin de vraiment faire bouger les choses, il faut à présent aussi réussir à convaincre ceux qui ne veulent pas faire de sacrifices et c’est pourquoi je m’attache tant à leur donner l’argument de la rentabilité économique. Tout le monde étant impacté par le changement climatique, on n’y arrivera que si l’on travaille tous ensemble en faisant sauter les clivages idéologiques.

Quel accueil recevez-vous de la part des pouvoirs publics et des acteurs du secteur ?

Je suis beaucoup sollicité par les gouvernements et les institutions européennes. Je fais des missions dans des pays pour la Commission européenne, comme en Pologne, en Roumanie ou encore en Espagne pour montrer toutes les solutions qui permettent d’adopter les plans nationaux énergie climat de manière plus ambitieuse afin d’atteindre les buts européens beaucoup plus vite.

Comment mobiliser les pouvoirs publics sur ces questions ?

Nous étudions les solutions freinées par les vieilles législations et proposons des changements législatifs afin de les débloquer. Nous avons ainsi lancé le Prêt à voter, un ensemble de 50 recommandations que nous avons présenté au Parlement et au Sénat français. Certaines d’entre elles ont été reprises dans la loi d’encouragement sur les énergies renouvelables. Nous faisons la même chose en Suisse.

Selon vous, à quoi ressemblerait une société idéale, c’est-à-dire moderne et tournée vers le présent ?

Il s’agit d’une société efficiente, où l’on ferait mieux en consommant moins : construction et habitat décarbonés, mobilité électrique permettant de décharger les batteries sur le réseau aux heures de pointe, déchets réutilisés de façon circulaire et suppression du gaspillage de l’énergie et des ressources naturelles. Cette « économie qualitative » donnera une meilleure qualité de vie et un pouvoir d’achat supérieur.

Quel chemin nous reste-t-il à faire pour arriver à cette société et cette économie repensées ?

Nous en sommes au tout début. Il faut faire prendre conscience aux médias qu’ils peuvent communiquer sur ces sujets-là. Le monde politique doit également changer la législation pour permettre ces solutions. Il faut aller le plus vite possible car si on attend trop longtemps, on amplifie la catastrophe à venir. L’écart entre ce qu’on fait et ce qu’on devrait faire augmente tous les jours.

Quel est le rôle de l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle augmente la synergie des différents éléments. Elle permet de créer des écosystèmes et des réseaux, ce qui est fondamental. Si un individu a une vision de sa consommation énergétique en temps réel, il va économiser en moyenne environ 20% d’énergie. Équilibrer l’offre et la demande avec des sources d’énergie renouvelables mais intermittentes et donner à chacun le volume exact d’énergie dont il a besoin permet d’éviter le gaspillage. On ne peut pas faire cela sans l’intelligence artificielle. La responsabilité de son emploi reste toutefois dans les mains de l’être humain. La technologie peut détruire le monde si elle est mal utilisée, ou bien le sauver si elle est bien utilisée.

Avez-vous de nouveaux projets ?

Je prévois deux tours du monde sans escale, l’un avec un avion à hydrogène et l’autre avec un dirigeable solaire.

Cela ne vous fait-il pas peur ?

Ce qui me fait peur, c’est la situation environnementale actuelle. Tout ce que nous pouvons faire pour l’améliorer me rassure. Je pense que donner une image excitante de la transition énergétique, en montrant tout ce qui possible, peut aider à faire bouger les mentalités.

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