Chanté déjà il y a plus de 200 ans, Le Ranz des vaches est un chant traditionnel des armaillis suisses. Aujourd’hui, il s’agit encore du chant le plus populaire des Suisses. Saviez-vous qu’il existe même une légende mystérieuse autour de cette mélodie?
Qui n’a jamais entendu les notes du Ranz des vaches? Aujourd’hui encore, les syllabes «Lioba, lio-o-ba…» résonnent non seulement dans les Alpes, mais aussi dans de nombreuses auberges, lors des fêtes traditionnelles ou sous les tentes des festivals. Ces notes accompagnent également l’Almabtrieb qui, dans les régions alpines de langue allemande, est la redescente des vaches des alpages à la fin de la saison estivale. «Les rangs de vaches sont connus depuis plus de 200 ans comme un symbole des bergers, des Alpes et de la Suisse», explique Isabelle Raboud, ethnologue et directrice du Musée gruérien à Bulle. Cette coutume trouve ses racines dans plusieurs régions rurales de Suisse, notamment dans l’Emmental, l’Entlebuch, l’Appenzell, le Pays-d’Enhaut et les Ormonts. Il existe également une légende sur les origines du Ranz des vaches.
Passage des Alpes à la grande scène
À l’origine, la chanson était utilisée pour signaler l’heure de la traite, le retour à l’étable ou le départ des alpages. Mais elle a continué à évoluer. «Ce sont les publications, la littérature, la musique et les festivals qui ont amené le Ranz des vaches sur le devant de la scène. Un des premiers exemples que l’on connaît est la fête d’Unspunnen, qui fut officialisée près d’Interlaken en 1805. Plus tard, en 1819, le Ranz des vaches fut également largement présent à la Fête des Vignerons à Vevey», explique Isabelle Raboud. Dès lors, le chant est devenu un moment incontournable de la Fête des Vignerons.
Une journée à l’Almabtrieb
Une version du Ranz des vaches, chantée en patois gruérien, un vieux dialecte de Suisse romande, s’est établie de manière plus stable que les autres. «Les textes racontent le déroulement d’une journée à l’Almabtried», nous dit Isabelle Raboud. Il commence ainsi: «Lè j’armayi di Kolonbètè / Dè bon matin chè chon lèvâ. / Kan chon vinyê i Bachè j’Ivouè / Tsankro lo mè! n’an pu pachâ» (Les armaillis des Colombettes / De bon matin se sont levés. / Quand ils sont arrivés aux Basses-Eaux / Le chancre me ronge! Ils n’ont pu passer). Avec ses 19 vers et deux chœurs différents chantés en alternance, le Ranz des vaches impressionne encore aujourd’hui.
Un mal du pays insupportable
Le Ranz des vaches a fait de grands pas dans l’histoire. Des compositeurs tels que Beethoven, Liszt et Wagner ont en effet trouvé leur inspiration dans ce chant de bergers. Il a également toujours eu une place très spéciale dans le cœur des Suisses. Deux médecins, Johannes Hofer et Johann Scheuchzer, ont même consigné leurs observations sur le sujet. En 1688, Hofer rapporte que le Ranz des vaches provoquait un mal du pays chez les soldats suisses en service à l’étranger. Certains étaient même amenés à déserter à cause de ce sentiment. Scheuchzer remarque la même chose en 1718 et il nomme ce sentiment «le mal du pays». En outre, à l’époque, le fait de jouer ou de chanter le Ranz des vaches faisait l’objet d’une punition sévère ce qui, selon Scheuchzer, poussait davantage les soldats à vouloir rentrer chez eux.
Aujourd’hui, le Ranz des vaches reste une tradition suisse très populaire. «Cet air est un symbole qui est réinterprété dans le jazz et la musique moderne. La chanson a été harmonisée par Joseph Bovet – et par plusieurs autres compositeurs – comme un chant choral à quatre voix», nous dit Isabelle Raboud. «Cette version fait partie du répertoire de nombreux chœurs, notamment dans le canton de Fribourg et en Suisse romande.»
Texte Fatima Di Pane
Traduit de l’allemand par Andrea Tarantini
La légende de l'origine du Ranz des vaches
Il y a longtemps, un laitier d’alpage bernois faisait passer l’été à ses vaches à Balisalp, Hasliberg. Un jour, après avoir terminé son travail, il se reposa un moment sur le foin. Dans la nuit, il fut réveillé par des bruits étranges et, au loin, il remarqua trois hommes à l’allure sinistre qui étaient en train de déplacer une grande marmite à fromage sur le feu. L’un d’entre eux était aussi grand qu’un géant, le second paraissait un chasseur vêtu de vert, le troisième était un jeune homme aux cheveux blonds et bouclés. Alors que ce dernier versait du lait dans la marmite à fromage, le chasseur y ajoutait la présure et le plus grand remuait le mélange.
Le jeune homme prit ensuite un instrument recourbé qui ressemblait à une corne de vache et commença à produire des sons magnifiques qui remplirent la pièce. Le laitier n’avait jamais rien entendu de tel auparavant. La mélodie semblait presque venir de ses rêves ou du plus profond de son âme. Ces notes le rendaient à la fois heureux et mélancolique. Son troupeau semblait également ensorcelé par cette mélodie mystérieuse et les cloches des vaches s’intégraient parfaitement aux notes de la chanson.
Le chant s’arrêta lorsque le géant versa le lait de la marmite dans trois petits bols. La boisson apparaissait de trois couleurs différentes selon les bols: elle était rouge dans le premier, vert dans le deuxième et blanc dans le troisième. Le laitier avait observé toute la scène en silence et s’effraya lorsque le géant se tourna soudainement vers lui en disant: «Viens ici, petit homme. Tu peux choisir l’un des trois bols, nous t’en faisons cadeau». Tremblant, le laitier s’approcha alors des trois personnages.
Les hommes lui expliquèrent que, s’il buvait du lait rouge, il deviendrait fort et courageux comme un géant et obtiendrait cent belles vaches. Boire le lait vert lui assurerait cent thalers (ancienne pièce de monnaie en argent) et de l’or précieux. Quant au lait blanc, il lui donnerait la capacité de chanter et de jouer du cor des Alpes comme l’avait fait le jeune homme.
Le laitier n’y réfléchit pas longtemps: il choisit le lait blanc. C’était le lait le plus délicieux qu’il avait jamais goûté et il était très satisfait de son choix. D’un coup, les trois hommes disparurent. En se réveillant le lendemain matin, il pensait que ce qu’il avait vu et entendu pendant la nuit n’était que le fruit d’un rêve, mais le cor des Alpes qui se trouvait près de lui disait le contraire. Il prit alors l’instrument et en joua de manière extraordinaire.
Je lis dans votre Texte « Almabtrieb ». Incroyable !!! Le terme « Alm » n’est pas utilisé en Suisse. « Alm » est une expression utilisée en Allemagne, en Suisse on écrit « Alp ». Il existe donc l’ »Alpabtrieb ».