vieillir « le fait de vieillir est aujourd’hui en recomposition »
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50+

« Le fait de vieillir est aujourd’hui en recomposition »

24.03.2023
par Léa Stocky

En 2021, le nombre de centenaires en Suisse atteint 1888, contre seulement deux en 1910. La population suisse, comme celle du reste du monde, vit de plus en plus longtemps. Mais que signifie vieillir aujourd’hui ?

Mélissa-Asli PetitDocteure en sociologie sur la thématique du vieillissement, vieillir

Mélissa-Asli Petit
Docteure en sociologie sur la thématique du vieillissement

Étudier la thématique de l’âge et de la longévité du point de vue de la sociologie est éclairant car cela permet de mettre en lumière à la fois les codes, les normes et les valeurs transmis par des groupes socio-influents, tels que les médias ou les arènes politiques, mais aussi de comprendre comment les individus vivent leur propre rapport à l’âge. Mélissa-Asli Petit, docteure en sociologie sur la thématique du vieillissement, a créé en 2015 un bureau d’études et de conseils en sociologie sur ces thématiques. La mission principale de Mixing Générations est en effet de réaliser des études sur les comportements et les besoins des personnes en fin de carrières ou retraitées, et de sensibiliser tout un chacun sur l’importance du lien entre les générations.

Un autre rapport au fait de vieillir

« Le vieillissement est un processus qui s’infiltre tout au long de notre parcours dès notre naissance » indique Mélissa-Asli Petit. Il s’agit en effet d’avancer en âge, avec les stigmates à la fois physiques et psychiques liés au vieillissement du corps. Si vieillir concerne tout être humain depuis la nuit des temps, sa signification n’est pas toujours la même en fonction des sociétés. La sociologue explique en effet qu’aujourd’hui, un changement a lieu dans le sens donner à ce processus. Ce n’est plus seulement la perte d’autonomie et l’angoisse d’une certaine décrépitude, mais au contraire la mise en lumière d’un potentiel, d’un sentiment de liberté ou encore d’aventure pour les personnes de 50 ans et plus : « Ce vieillir n’a pas les mêmes réalités sociales que celui de nos grands-parents car les parcours de vie sont différents. Le fait de vieillir est aujourd’hui en recomposition. »

Cette nouvelle façon d’appréhender l’âge s’explique par plusieurs facteurs. Selon la sociologue, les personnes nées après la Seconde Guerre mondiale font partie d’une génération d’émancipation : « Cette génération se caractérise par la non-contrainte et la liberté : les cinquantenaires et plus se tournent vers des actions et des comportements qui leur permettent de ne pas se sentir trop contraints mais libres. » Après avoir suivi un certain nombre de normes durant leur vie, ces personnes arrivent à la cinquantaine avec le souhait de recomposer leur propre vie et une volonté de reprise sur soi-même. Cela s’accompagne aussi d’une conscience de son propre corps, comme le démontre les évolutions de réflexions sur le corps des femmes avec une meilleure compréhension de la ménopause par exemple. Il y a avant tout une recherche de sens, avec la mise en avant de sujets de société.

Un âgisme qui perdure

Cette nouvelle vision liée au fait de vieillir ne permet pas encore d’éradiquer complètement l’âgisme, qui est une discrimination envers une personne en raison de son âge. Ces stéréotypes et pratiques discriminantes se retrouvent à tous les niveaux de la société et particulièrement dans le monde médiatique ou encore politique, avec des publicités qui vantent des produits anti-âge ou des politiques publiques qui peuvent être discriminantes.

In fine, l’âgisme entraîne un manque de représentativité des personnes de plus de 50 ans dans les médias. Mélissa-Asli Petit indique : « Le manque de représentativité des cinquantenaires et plus est lié aux stéréotypes : on pense qu’ils coûtent trop chers, qu’ils ne servent plus à rien, qu’ils sont ringards. Au cinéma par exemple, une femme âgée va être plus encline à jouer des rôles de grand-mère. Il y a un réel besoin de déconstruction de ces stéréotypes liés à l’âge. » Le problème survient lorsqu’on oppose les générations ou les groupes de personnes, comme les plus vieux et les plus jeunes, ou encore les femmes âgées et les hommes âgés.

Pour la sociologue, une vision plus positive de l’âge passe inévitablement par un dialogue entre les générations. Il faut savoir regarder la beauté et l’expérience que chaque âge apporte, afin de vivre pleinement son âge et d’apprécier chaque moment de la vie.

Lutter contre l’âgisme passe également par une réponse adéquate à l’augmentation du nombre de 65 ans et plus dans la société. Il est en effet important d’avoir conscience des enjeux sociétaux liés à la longévité. Mélissa-Asli Petit donne quelques exemples : « Comment répondre à la forte demande des plus de 50 ans dans le monde du travail ? Dans l’espace public, ne faut-il pas construire un escalator plutôt qu’un escalier ? Comment va-t-on s’occuper des nouveaux centenaires ? »

Replacer les 50 plus au cœur de la société

Une des autres manières de lutter contre l’âgisme est de considérer les personnes plus âgées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des citoyens à part entière avec une forte utilité sociale. Elles ont des compétences et elles souhaitent s’en servir : la garde des petits-enfants par les grands-parents permet aux femmes d’aller travailler plus facilement par exemple. Pour Mélissa-Asli Petit, cela passe également par un développement de l’économie circulaire et une entraide entre toutes les générations. En ce qui concerne les retraités, elle ajoute : « Le fait de ne plus travailler enlève à certains cette identité sociale et ils veulent la retrouver. » L’engagement dans le bénévolat pour permettre d’aider les autres ou encore l’achat d’objets connectés aident à remédier à ce sentiment car ils ont l’impression d’exister à travers cela.

Enfin, il est également important de souligner le rôle de la famille : « Souvent, le point de rupture est quand la famille considère que les plus âgés ne sont plus utiles. On a besoin des liens familiaux et extra-familiaux pour que chacun puisse donner sa propre part » indique Mélissa-Asli Petit. Il s’agit donc de favoriser l’intergénération, en comprenant bien que chaque âge à un rôle à jouer dans la société. L’enjeu est de réussir à ne pas créer de conflits entre les générations et à inventer une société plus inclusive où chacun à sa place.

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