Entre 2020 et 2021, pour la première fois, les troubles mentaux constituent la première cause d’hospitalisation des personnes entre 10 et 24 ans. Si cette hausse record s’explique en partie à cause de la Covid-19, elle amène à se questionner sur son origine exacte, sur ce qu’elle dit de nos sociétés et de notre système de santé.
Les chiffres donnent le tournis. D’après l’enquête Omnibus réalisée en automne 2022 par l’Observatoire suisse de la Santé, 35 % des personnes interrogées ont rencontré des problèmes psychiques au cours des douze mois précédents l’enquête. Les chiffres sont particulièrement préoccupants pour les jeunes, notamment les jeunes femmes, dont 36 % d’entre elles font état de symptômes plutôt graves.
Une seconde pandémie
Si les effets psychologiques de la pandémie de la Covid-19 n’ont pas été immédiats, ils se manifestent aujourd’hui, et ce dans plusieurs pays. Vincent Joly, psychologue, psychothérapeute et fondateur du site Psy-enfant, indique : « Il y a des variations selon les pays mais d’une manière générale, l’OMS a mesuré une augmentation de 25 % des taux de dépression ». Le psychologue pointe du doigt l’isolement social, qui a pu mettre en exergue des dysfonctionnements familiaux et empirer les situations de nombreuses personnes déjà fragiles mentalement et financièrement. En plus du stress qu’a engendré la situation, tous les éléments qui peuvent empêcher ou limiter le développement de maladies psychiques ont été stoppés du jour au lendemain, laissant de nombreuses personnes livrées à elles-mêmes.
Si la Covid-19 a été un catalyseur, elle n’explique pas tout, comme l’indique Diego Taboada, Researcher sur les questions politiques et sociales au sein du think tank Avenir Suisse : « L’hospitalisation des jeunes est en augmentation constante : en 2012, on était à 2,3 % de taux d’hospitalisation pour les 0-18 ans, en 2020 on est passé à 3,7 %, ce qui fait une augmentation de 60 % en moins de 10 ans ». L’utilisation des réseaux sociaux et des écrans, de même que l’inquiétude face aux questions climatiques sont mises en cause, sans qu’il n’y ait de certitudes sur leur réel impact.
Un phénomène qui touche principalement les jeunes
Pandémie ou non, les adolescents et jeunes adultes en sont les principales victimes. Comme l’indique l’enquête Omnibus, plus une personne est âgée, meilleure est sa santé mentale. Seules des hypothèses permettent d’expliquer cette différentiation. Vincent Joly explique : « L’adolescence est le moment de la vie où on essaie de sortir du fonctionnement familial ». L’adolescence est aussi une période où les enjeux scolaires sont importants et la situation d’incertitude provoquée par les confinements n’a pas aidé à y voir plus clair. Le psychologue révèle en effet l’image paradoxale des jeunes qui s’est répandue pendant la pandémie. D’un côté, les jeunes adultes ont été présentés comme des privilégiés. Dans le même temps, du fait de leurs nombreuses sorties, ils ont aussi été considérés comme des populations à risque. Lors de ses consultations, Vincent Joly a remarqué que beaucoup d’adolescents ont complètement intégré et cru dur comme fer aux informations alarmistes véhiculées aux informations télévisées, au point de penser qu’ils représentaient un réel danger pour leurs grands-parents.
Quant à expliquer pourquoi la proportion de femmes touchées par la dépression est plus importante, une fois encore, on ne peut formuler que des hypothèses. Vincent Joly précise : « Les manières d’être au monde sont genrées. La seule chose que l’on sait est qu’il y a des différences de symptômes dans la manifestation du mal-être ». Les hommes étant socialement conditionnés à être fort et à ne pas se montrer vulnérables, leur mal-être s’exprime davantage par des conduites addictives, par exemple.
Les femmes sont également plus à risque de subir des traumatismes dans leur jeunesse, des discriminations de genre aux agressions sexuelles. Elles ont également plus tendance à chercher de l’aide lorsqu’elles en sentent le besoin.
Prendre la dépression au sérieux
Si la situation semble alarmiste, il existe des solutions pour aider les personnes qui souffrent de troubles psychiques. Beaucoup de représentations anciennes, notamment celles qui considèrent la dépression comme un manque de volonté, n’aident pas à la reconnaissance et à la prise en charge de ces maladies. Il ne faut surtout pas banaliser la dépression, et ne pas hésiter à consulter un psychologue, ne serait-ce que pour avoir un avis.
Pour ce faire, le rôle de l’entourage est primordial, comme le souligne Diego Taboada : « Le médecin de famille peut identifier les troubles et aiguiller les jeunes qui sont dans un état de détresse. Les proches peuvent ensuite aider la personne à se réintégrer ». Il est en effet important de ne pas laisser la personne livrée à elle-même, tout en lui donnant l’espace nécessaire et en comprenant que, son énergie étant diminuée, elle ne peut continuer à faire autant de choses qu’auparavant. Il n’y a pas de traitement magique, et le suivi peut parfois prendre du temps, d’autant que la profession fait face à un défi de taille. « Depuis 2008, il y a eu une augmentation de 25 % du nombre de psychiatres par habitant en Suisse. Mais la demande est toujours supérieure à l’offre », souligne Diego Taboada.
Réussir à déceler la détresse chez un proche peut s’avérer difficile, étant donné que les symptômes peuvent différer d’une personne à une autre. Vincent Joly explicite : « Les parents ne comprennent souvent pas les symptômes de leur enfant. Pour les adultes, le mal-être se manifeste souvent par la tristesse et le manque d’envie. Chez les jeunes adultes, celui-ci peut prendre la forme d’agressivité et d’opposition ». Pour le psychologue, la communication est la clé. Si les parents sentent qu’ils n’y arrivent pas, il est très important qu’ils puissent le communiquer à leur enfant.
Si la pandémie physique de la Covid-19 a mis en exergue une pandémie psychique, elle a au moins permis une meilleure compréhension de la dépression. Avec le retour à la normale après les confinements, on aurait envie de tourner la page sur cette période bouleversante. Très mauvaise idée pour Vincent Joly : « Quand il y a des événements historiques, il ne faut pas faire comme s’il ne s’était rien passé. C’est important de dire : Ça a eu lieu ».
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