«Je dormirai quand je serai mort» – pas question!
L’importance du sommeil pour la santé physique et psychique est immense, même si elle est largement sous-estimée par beaucoup.
Deux tiers des adultes dans les pays industrialisés ne dorment pas les huit heures de sommeil recommandées. Les conséquences peuvent être graves. Les études à ce sujet sont unanimes et l’OMS tente d’alerter sur les conséquences de ce manque.
Le rythme naturel du sommeil
En principe, le rythme de sommeil est influencé par deux facteurs. D’une part, la pression de sommeil augmente à chaque minute d’éveil et, par conséquent, la concentration de la substance chimique adénosine dans le cerveau, ce qui entraîne une fatigue au cours de la journée. Après une phase d’éveil de 12 à 16 heures, la pression de sommeil est la plus élevée.
D’autre part, le rythme circadien fait office d’horloge interne de 24 heures. Il fait en sorte que l’on se sente éveillé ou fatigué en fonction du rythme clair-obscur de la lumière du jour. Cela se fait notamment par la sécrétion de mélatonine pendant la nuit. Pour ce faire, le noyau suprachiasmatique, le siège de l’horloge interne dans le cerveau, donne le signal le soir pour la production de l’hormone du sommeil, la mélatonine, dans la glande pinéale. Cela signale au corps qu’il fait nuit et qu’il est donc temps de dormir. En moyenne, la durée du rythme biologique chez l’Homme est de 24 heures et 15 minutes, soit environ une journée. Grâce à la lumière du jour, l’horloge interne est resynchronisée chaque jour avec le rythme de 24 heures de la journée.
Manque de sommeil dû à une prédisposition génétique
Quelle est donc la raison de ce manque de sommeil largement répandu? Dans le cadre du rythme circadien, les pics et les creux de performance varient de quelques heures selon les individus. Matthew Walker, scientifique et professeur de neurosciences et de psychologie à l’Université de Californie à Berkeley, distingue trois chronotypes génétiquement déterminés. Environ 40% des personnes font partie des «gens du matin». Ils s’endorment tôt le soir, se lèvent tôt le matin et fournissent des performances maximales pendant les heures matinales. Tandis que 30% de la population sont des «gens du soir», les 30% restants se situent entre les deux, avec une tendance vers le soir. Selon leur rythme naturel, les personnes du soir préfèrent s’endormir tard et se lever tard le matin ou dans l’après-midi. Comme leur cerveau se trouve encore dans un état proche du sommeil le matin, ils ne sont particulièrement performants qu’en fin d’après-midi et en début de soirée. Cela s’explique par le fait que le cortex préfrontal de ce groupe – la région du cerveau responsable de la gestion des raisonnements complexes et logiques – est encore bloqué à cette heure-là.
Le problème est que les personnes du soir sont donc désavantagées par le système de travail moderne. Selon la Dr Christine Blume, spécialiste du sommeil à l’Université de Bâle, il faudrait se coucher vers 22 heures pour pouvoir quitter la maison à 7 heures du matin en étant bien reposé. Cependant, environ trois quarts de la population ne peuvent s’endormir correctement qu’entre 22h30 et 01h00 en raison de leur rythme circadien. En raison des horaires de travail fixes, les personnes du soir sont donc contraintes de suivre le rythme de sommeil des personnes du matin, ce qui n’est pas naturel pour elles: elles doivent se lever tôt, mais ne peuvent s’endormir que tard. De ce fait, elles sont beaucoup plus susceptibles de souffrir d’un manque de sommeil et des conséquences négatives qui en découlent pour leur santé.
Conséquences sur la santé mentale
Non seulement un petit manque de sommeil perturbe les émotions, mais il peut aussi entraîner des troubles du sommeil. Les personnes concernées manifestent souvent des émotions irrationnelles, sont irritables, de mauvaise humeur et souffrent parfois de sautes d’humeur extrêmes. Les maladies psychiques telles que la dépression, les maladies anxieuses, la schizophrénie et les tendances suicidaires sont également étroitement liées au sommeil. «Ainsi, chez 90% des patients dépressifs, le sommeil est également affecté. Une méta-analyse a révélé qu’une amélioration du sommeil avait également une influence positive sur les symptômes d’un grand nombre de ces maladies», explique la Dr Blume.
Le manque de sommeil limite fortement la capacité d’apprentissage et de mémorisation ainsi que la capacité à penser logiquement
«En outre, un sommeil suffisamment long permet d’éliminer certains produits métaboliques, comme l’adénosine, qui s’accumulent dans le cerveau au cours de la journée. Cela entraîne une sensation de fraîcheur le matin», poursuit la Dr Blume. Les conséquences du manque de sommeil se font donc particulièrement vite sentir au niveau des performances cognitives. L’experte explique: «Si l’on demande à un groupe de volontaires ivres et à un autre privé de sommeil pendant 24 heures de réaliser des tâches simples, ils présentent en général des performances comparables». C’est pourquoi la conduite automobile est particulièrement dangereuse en cas de manque de sommeil car réagir assez rapidement est presque impossible. Selon le professeur Walker, un cinquième des accidents de la route en Allemagne sont dus à l’épuisement des conducteurs.
De plus, le manque de sommeil limite fortement la capacité d’apprentissage et de mémorisation ainsi que la capacité à penser logiquement. Pendant la nuit, les nouvelles informations sont transférées de l’hippocampe, la «mémoire à court terme» du cerveau, vers la «mémoire à long terme» du cortex et y sont stockées. Outre cette consolidation, le sommeil permet également de faire de la «place» pour les souvenirs qui seront ajoutés le lendemain. Un déficit de sommeil peut affaiblir ce processus et même empêcher le stockage à long terme des informations. Enfin, le professeur Walker rappelle que la maladie d’Alzheimer et les troubles du sommeil se favorisent mutuellement et forcent les personnes concernées à entrer dans une spirale négative.
Effets sur le plan physique
Le sommeil est étroitement lié à la santé physique. Même quelques heures manquantes peuvent non seulement perturber l’activité de certaines cellules immunitaires, mais aussi affaiblir le microbiome intestinal, une partie importante du système immunitaire. En ce sens, le manque de sommeil rend plus vulnérable aux maladies. Pour étudier ce phénomène, des scientifiques ont mené une étude qui a consisté à pulvériser des rhinovirus dans le nez de sujets sains. Un groupe avait suffisamment dormi la semaine précédente, l’autre non. Les personnes en déficit de sommeil ont ensuite contracté beaucoup plus souvent un rhume. Selon le professeur Walker, si les défenses immunitaires sont affaiblies par un manque de sommeil chronique, le risque de cancer est multiplié par plus de deux. Par ailleurs, après une courte nuit, les hormones de stress comme le cortisol et la noradrénaline augmentent. Celles-ci font monter la tension artérielle, la glycémie, la fréquence cardiaque et, à la longue, font augmenter la probabilité de maladies cardiovasculaires, d’accidents vasculaires cérébraux et d’infarctus du myocarde
Le manque de sommeil perturbe également le métabolisme énergétique. L’une des conséquences est une augmentation de l’appétit. La raison en est simple: en cas de déficit de sommeil, la concentration de l’hormone ghréline, qui provoque la sensation de faim, augmente. Parallèlement, l’hormone leptine, responsable de la sensation de satiété, est supprimée. «En conséquence, les personnes concernées ont un IMC plus élevé et un risque plus important d’obésité», explique la Dr Blume. De plus, le manque de sommeil est lié à la résistance à l’insuline et donc à un risque accru de diabète de type 2.
Les personnes concernées ne se rendent souvent pas compte du manque
Compte tenu des risques pour la santé énumérés, le professeur Walker indique que les personnes qui ne dorment pas assez vivent moins longtemps. Il est particulièrement inquiétant que les personnes souffrant d’un manque de sommeil chronique ne se rendent souvent pas compte qu’elles ne dorment pas assez. Avec le temps, elles s’habituent à la baisse de performance et aux problèmes de santé qui en résultent. Pourtant, selon le professeur, le sommeil est le meilleur moyen d’être en bonne santé mentale et physique: si l’on dort au moins huit heures par jour, on se sent plus énergique, en meilleure santé et plus heureux.
Comment mieux dormir
Pour éviter le manque de sommeil, le professeur Walker conseille de respecter un horaire de sommeil régulier, c’est-à-dire se coucher et se lever à la même heure. «Mais il ne faut se coucher que lorsqu’on est vraiment fatigué et qu’on peut s’endormir en 20 minutes», ajoute la Dr Blume. Des rituels réguliers au coucher, comme des exercices de relaxation, la lecture, un bain chaud ou une tasse de thé, aident à se mettre dans l’ambiance de la nuit. Un matelas confortable et un oreiller adapté sont également indispensables. Il est important que la chambre à coucher soit sombre et plutôt fraîche, idéalement entre 16 et 18 °C. Cela contribue à abaisser la température centrale du corps, ce qui stimule la sécrétion de mélatonine. En outre, la caféine et l’alcool devraient être évités le soir. Même si ce dernier détend et peut ainsi favoriser l’endormissement, il provoque des interruptions de sommeil et réduit globalement la qualité du sommeil. En outre, l’alcool supprime également la phase de sommeil paradoxal, particulièrement importante pour l’apprentissage et la mémoire.
Il est indispensable de recevoir suffisamment de lumière naturelle pendant la journée
Il est déjà possible d’influencer la qualité du sommeil pendant la journée. Après quatre heures de l’après-midi, les siestes sont à proscrire. Celles-ci peuvent en effet entraîner une difficulté à s’endormir le soir. La Dr Blume ajoute: «Le dernier repas principal devrait être pris au plus tard deux à trois heures avant d’aller se coucher, car on ne dort pas bien l’estomac plein. En outre, l’exercice physique est d’une grande importance, surtout à l’époque du télétravail». Matthew Walker recommande de pratiquer une activité physique pendant au moins une demi-heure par jour pour bien dormir. «Une petite promenade est idéale pour commencer la journée. Ce faisant, on s’expose aussi directement à la lumière du soleil le matin», ajoute la Dr Blume.
D’une manière générale, selon la spécialiste du sommeil, il est indispensable de recevoir suffisamment de lumière naturelle pendant la journée, car celle-ci est le principal facteur de synchronisation du rythme circadien. «D’autant plus que dans notre vie quotidienne, nous recevons généralement trop peu de lumière du jour. Après tout, la plupart d’entre nous travaillent dans des espaces fermés». Des études montrent que lorsque la lumière du jour est suffisante, on s’endort plus rapidement et plus longtemps, et que l’on bénéficie globalement d’un sommeil de meilleure qualité. «En même temps, il faut éviter les fortes sources de lumière artificielle le soir, notamment les LED. Celles-ci perturbent l’horloge interne, nous réveillent et peuvent donc rendre l’endormissement plus difficile», ajoute la Dr Blume. En fait, selon le professeur Walker, les sources de lumière artificielle peuvent faire reculer notre horloge interne de deux à trois heures, ce qui peut entraîner un grave déficit de sommeil.
«La lumière bleue est mauvaise» – mythe ou vérité?
Selon la Dr Blume, le rythme circadien est particulièrement sensible à la lumière à ondes courtes, dite «bleue». Des lentilles ou des lunettes avec un filtre de lumière bleue devraient y remédier et filtrer cette lumière prétendument nocive. Afin d’analyser l’effet de tels produits sur le sommeil et le rythme circadien, une étude a été menée à Bâle sur des personnes qui avaient auparavant subi une opération de la cataracte. Un groupe portait des lentilles avec un filtre UV, l’autre recevait des lentilles avec un filtre supplémentaire de lumière bleue. Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que le filtre de lumière bleue avait un effet négatif sur la qualité du sommeil.
«Le soir, un filtre de lumière bleue dans les lunettes ou les écrans peut tout à fait être utile, mais pas pendant la journée», tel est le verdict de Christine Blume. «La lumière bleue est précisément la partie de la lumière du soleil qui donne une orientation à l’horloge interne». Il faut s’éloigner de l’idée que «la lumière bleue est généralement mauvaise» et prendre conscience du fait qu’un environnement lumineux sain comprend autant de lumière naturelle que possible pendant la journée et aussi peu de lumière que possible le soir, résume la spécialiste du sommeil.
Texte Akvile Arlauskaite
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