On dit souvent que l’intestin est notre deuxième cerveau. Cette phrase est en réalité bien plus vraie qu’il n’y paraît. En effet, étudier les interactions entre ces deux organes du corps humain contribue à expliquer notre comportement alimentaire et certaines maladies liées à la nutrition. Entretien avec Hans-Rudolf Berthoud, chercheur au Pennington Biomedical Research Center en Louisiane.
Hans-Rudolf Berthoud a effectué un doctorat en biologie à l’ETH de Zurich, avant de travailler pendant cinq ans à Genève dans un laboratoire où il a étudié le neuro-contrôle de la sécrétion d’insuline dans le cas du diabète. Il a ensuite passé dix ans à la Purdue University en Indiana dans le département de Psychologie. Ses recherches étaient principalement portées sur le nerf vague, le principal nerf de connexion entre le cerveau et l’intestin.
Il travaille aujourd’hui depuis 30 ans au Pennington Biomedical Research Center, l’un des plus grands centres de recherche sur l’obésité. Il s’intéresse à la question de savoir dans quelle mesure le cerveau contrôle l’appétit et le métabolisme selon une perspective neuroscientifique.
Hans-Rudolf Berthoud, quels sont les liens entre le cerveau et l’intestin ?
Il y en a énormément. La communication va dans les deux sens : du cerveau à l’intestin et de l’intestin au cerveau grâce au nerf vague et aux nerfs sympathiques et sensitifs de la moelle épinière. En plus, l’intestin sécrète beaucoup d’hormones (dont de nombreux analogues et combinaisons sont aujourd’hui utilisés comme antidiabétiques et médicaments amaigrissants). Ces hormones atteignent le cerveau à travers la circulation sanguine. Aussi, les nutriments absorbés par l’intestin finissent par arriver au cerveau, qui détecte ensuite les indicateurs tels que le niveau de glucose.
Comment l’étude des neurosciences éclaire-t-elle de nombreuses questions liées à l’alimentation ?
Le cerveau est le coordinateur principal de notre comportement et de nos mécanismes métaboliques internes. À travers le système nerveux autonome et les mécanismes neurologiques, le cerveau peut influencer le traitement interne des denrées alimentaires.
En ce qui concerne l’obésité ou le diabète, les études d’association pangénomique ont essayé d’identifier les gènes impliqués dans le développement de ces maladies. Il en résulte que la majorité de ces gènes se situent dans le système nerveux. Cela veut dire que les processus neuronaux jouent probablement un rôle très important dans le développement de ces pathologies. Il ne s’agit pas de dire que tout se passe dans le cerveau, mais ce dernier est en tout cas l’organe qui coordonne toutes les informations venant de l’intérieur ou de l’extérieur du corps et prend ensuite une décision qui conduit à certains comportements et événements internes au corps.
Dans quelle mesure notre système neuronal contrôle-t-il notre comportement alimentaire et notre métabolisme ?
Tous les comportements sont contrôlés par le cerveau. Beaucoup de mécanismes et de fonctions internes sont inconscients et automatiques. Même si nous pensons toujours être maîtres de ce que nous faisons, certaines de nos décisions sont en réalité devenues des habitudes. Or les comportements habituels ne sont pas soumis à un contrôle cognitif. Ces réflexes inconscients constituent de gros problèmes dans des pathologies telles que l’obésité.
Comment peut-on influencer notre comportement alimentaire ?
Le comportement alimentaire est influencé par des facteurs internes, tels que le milieu intérieur et les hormones, et externes. Ces derniers sont probablement les raisons pour lesquelles les cas d’obésité ont connu une augmentation fulgurante ces dernières années. L’industrie agro-alimentaire ayant bien compris l’influence que peuvent avoir les annonces sur les comportements d’achat, nous avons assisté au développement massif de la publicité pour la nourriture qui nous pousse à adopter une alimentation induite par des signaux et des indices. Nous vivons aujourd’hui dans un environnement obésogène.
La plupart du temps, les gens mangent pour le plaisir et la nourriture devient une récompense. Comment expliquer ce phénomène ?
La nourriture a toujours été vue comme une récompense car elle est cruciale à la survie. Il existe donc un mécanisme qui fait qu’un organisme est toujours, au bout d’un moment, poussé à chercher de la nourriture. Le fait de s’alimenter récompense ainsi les efforts qui ont été fait pour la trouver. C’est ce phénomène qui incite les animaux à se déplacer pour se nourrir même en présence de prédateurs. On appelle cela l’apprentissage par renforcement, qui est naturel et physiologique. Toutefois, si on le lie à une consommation excessive de sucre et à une nourriture riche en calories, un individu ressentira encore plus le besoin d’ingérer certains aliments pour avoir ce sentiment de récompense.
Mon opinion est qu’il faudrait changer l’environnement en forçant les entreprises à ne vendre que de la nourriture saine.
Comment expliquer le phénomène d’addiction à certains aliments ou substances comme le sucre ?
Le réseau de neurones impliqué dans le processus de récompense réagit très fortement au sucre. Il existe deux raisons principales à cela. Premièrement, le goût du sucre est très attractif. On le voit avec les bébés. Quand on leur donne quelque chose de sucré à manger, ils sourient, tandis qu’ils font la grimace lorsqu’ils mangent un aliment amer. Deuxièmement, certaines études montrent que la récompense pour le sucre provient aussi de l’intestin. Lorsque le glucose est absorbé par cet organe, cela active des neurones sensoriels vagaux qui atteignent ensuite la zone de récompense du cerveau. On a donc cette double réaction qui vient à la fois de la langue et de l’intestin. Le sucre se trouve ainsi en position de force en termes d’addiction.
Qu’est-ce que l’équilibre énergétique ?
En tant qu’adulte, si l’on veut stabiliser son poids, il faut que l’énergie absorbée soit équivalente à l’énergie dépensée. La balance énergétique correspond à cet équilibre.
Comment définir la quantité d’énergie dont notre corps a besoin pour fonctionner correctement ?
Si vous travaillez sur un chantier, que vous êtes tout le temps à l’extérieur ou que vous faites un jogging de dix kilomètres tous les matins, vous aurez besoin d’un apport en calories plus important. De même, si vous êtes exposés à des températures très froides, votre corps devra se réchauffer, ce qui nécessite de l’énergie. Cela dépend des personnes et des rythmes de vie. Le maintien de cet équilibre énergétique nous permet de rester en bonne santé.
Quels sont les éléments à prendre en compte pour y parvenir ?
Le problème est le monde moderne. Un siècle auparavant, l’automatisation n’existait pas ou très peu. Les individus pratiquaient une activité physique beaucoup plus importante. Pour la plupart des gens, l’accès à la nourriture était aussi plus limité qu’aujourd’hui. Il était ainsi plus facile pour eux de maintenir leur équilibre énergétique. Aujourd’hui, avec la modernisation du monde, la tendance est de consommer plus d’énergie et d’en dépenser moins.
Il a été établi que le comportement alimentaire dépend des prédispositions génétiques à hauteur de 40 à 70 %. En plus de cela, il est très difficile, si l’on est prédisposé à l’obésité par exemple, d’évoluer dans notre environnement obésogène qui pousse à la consommation. C’est pourquoi la plupart des personnes qui décident de faire des régimes pendant un certain temps finissent par reprendre du poids.
L’augmentation de l’adiposité et le fait d’avoir un poids corporel plus élevé a aussi un impact à long terme sur le corps. Ainsi, même si les personnes obèses perdent du poids grâce à un régime, il existe un mécanisme biologique de défense qui augmente la sensation de faim et ralentit le métabolisme. Par conséquent, elles devraient manger encore moins pour garder ce poids plus bas. Si l’on reste dans un environnement obésogène, il est peu probable de sortir de ce cercle vicieux.
Qu’est-ce qu’une bonne alimentation et comment choisir correctement ses aliments ?
Une bonne nutrition est une nutrition équilibrée. Il ne faut pas seulement faire attention au nombre de calories mais aussi veiller à avoir un bon équilibre entre les macronutriments que sont les protéines, les lipides et les glucides, les fibres, et un apport suffisant en micronutriments tels que les vitamines ou les minéraux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Hommes sont omnivores. Si l’on ne mange qu’une catégorie d’aliments, il est très probable de développer un problème de santé par la suite. Il faut essayer d’éviter les aliments transformés et avec un total calorique trop important, et de favoriser les aliments à base de plantes, les fruits et les légumes.
Comment prévenir les maladies telles que l’obésité et le diabète ?
Plus de 50 % des personnes obèses finissent par développer à un moment ou à un autre du diabète de type 2. Les risques de cancers, de maladies cardio-vasculaires, de démence et de problèmes de sommeil sont eux-aussi largement augmentés. Si l’on éliminait l’obésité, cela reviendrait donc à éliminer plus de la moitié de toutes les autres maladies qui y sont liées.
Mon opinion est qu’il faudrait changer l’environnement en forçant les entreprises à ne vendre que de la nourriture saine. D’autres mesures devraient également être prises, comme la création de pistes cyclables. Il s’agit là de décisions politiques et il faut bien souvent beaucoup de temps avant qu’elles ne soient prises. Aujourd’hui, il n’y a pas de volontés politiques assez fortes pour s’attaquer à ces sujets.
Une autre solution est un changement de comportement de la part des individus (behavioral change), ce qui est vraiment difficile à faire une fois que les façons d’agir sont devenues habituelles et automatiques. De nombreuses études travaillent aujourd’hui sur la question de savoir comment on pourrait arriver à les changer. Il est donc particulièrement important d’enseigner un comportement alimentaire sain à nos enfants avant qu’ils n’acquièrent de mauvaises habitudes. Cela permettrait également de passer du traitement de l’obésité à sa prévention.
Une autre alternative est de prendre des médicaments. Toutefois, cela voudrait dire qu’un adolescent obèse devrait prendre des médicaments toute sa vie, ce qui n’est pas imaginable et pourrait s’avérer très coûteux. Il existe également la chirurgie bariatrique, qui est le plus souvent très effective, mais ne peut pas s’appliquer à tout le monde.
Finalement, la façon la plus sûre de réduire significativement les maladies liées à la prise de poids est de trouver un moyen d’apprendre à résister à la pression de cet environnement obésogène. Il faudrait faire davantage de recherches sur les comportements durables, et cela vaut également pour d’autres domaines que la nutrition tels que les façons de limiter le changement climatique.
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