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Le mythe de l’idéal de beauté au Moyen Âge

22.07.2021
par Andrea Tarantini

Aujourd’hui, dans notre société, la beauté est très importante. C’était déjà le cas au Moyen-Âge. A cette époque, il existait de nombreux mythes au sujet des moyens qu’utilisaient les hommes et les femmes pour paraître séduisants.es. Parmi ces mythes, lesquels sont vrais? Quel était l’idéal de beauté et quels étaient les produits cosmétiques dont disposaient les gens au Moyen-Âge?

Grosso modo, le Moyen Âge s’étend de l’année 500 à 1500 environ. Ces dates sont basées sur la chute de l’Empire romain d’Occident et l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Il s’agit d’une très longue période de temps. Il faut donc être conscient que l’idéal de beauté et les pratiques de beauté ont évolué à cette époque et dépendaient également des endroits. Il est néanmoins possible de mettre en avant des points de vue et des habitudes qui diffèrent clairement de ceux de l’ère moderne. Hillary X*., conservatrice du premier musée du maquillage au monde, à Baltimore (Maryland), nous guide dans le monde étrange de la beauté au Moyen Âge.

Le mythe des paysans qui ne se lavaient pas

L’idée selon laquelle le Moyen Âge ne prônait pas l’importance de l’hygiène corporelle n’est que partiellement vraie. La noblesse et l’aristocratie avaient accès au savon et l’utilisaient, même s’il était diabolisé par l’Église. Les classes inférieures, cependant, n’avaient guère d’argent pour en acheter. Mais cela ne signifie pas qu’ils n’avaient pas une bonne hygiène corporelle. Même s’ils ne pouvaient pas prendre un bain à la maison tous les jours, ils lavaient quand même les parties de leur corps avec de l’eau qu’ils mettaient dans un bol ou un objet similaire. Pour un lavage plus complet, de nombreuses personnes disposaient d’un bain public à proximité. Là se déroulait également une grande partie de leur vie sociale. En outre, ils portaient toujours des sous-vêtements en lin, qui absorbaient la sueur et étaient lavés fréquemment. Comme nous l’explique Hillary, pour éviter les odeurs corporelles, ils utilisaient de l’eau parfumée ou une pomme musquée, s’ils pouvaient se le permettre. Les parfums légers étaient généralement agrémentés de myrrhe, de rose ou de fleur d’oranger. La pomme musquée, quant à elle, était à la fois un bijou et un parfum: un récipient sphérique monté sur une chaîne et rempli de musc, d’herbes, d’épices et de fleurs. Il était porté près du corps pour masquer sa propre odeur.

Pomme musquée sur un chapelet, détail du Diptyque avec Portraits du couple de pèlerins, côté gauche, Bartholomew Bruyn l’Ancien, 1528.

L’influence de l’Église

Lorsque l’on pense au Moyen Âge, il faut aussi inclure l’Église; après tout, elle a été pendant longtemps la seule institution globale et stable. Il n’est donc pas surprenant que son influence sur les pratiques esthétiques ait été considérable. En général, les clercs pensaient que les cosmétiques étaient immoraux et malhonnêtes. L’attention portée à l’apparence était interprétée comme un péché de vanité. Néanmoins, les femmes médiévales se maquillaient pour cacher les cicatrices disgracieuses de maladies ou pour trouver ou garder un mari. «Tant qu’ils étaient appliqués avec parcimonie et qu’ils étaient à peine visibles, une femme pouvait utiliser des cosmétiques en toute impunité», explique Hillary. Mais il n’était pas permis d’en faire trop. Le maquillage lourd et les couleurs flashy étaient une insulte à Dieu et étaient associés aux prostituées.

Au Moyen Âge, l’apparence juvénile était populaire.

90-60-90 – pas au Moyen Âge!

On pense souvent que l’idéal physique de beauté des femmes au Moyen Âge était la minceur. Cependant, il existe quelques différences par rapport à la perception actuelle d’un beau corps féminin. Au Moyen Âge, l’apparence juvénile était populaire, tout comme un petit ventre rond. Néanmoins, selon l’experte Liane Vorwerk-Gundermann, les gros seins étaient associés aux classes inférieures. L’idéal, c’était des «seins en pomme»: des seins petits, ronds et pas trop rapprochés. Afin de limiter la croissance des seins, même chez les petites filles, on plaçait parfois des plaques de plomb sur les seins. Par ailleurs, le Kreuterbuch d’Adamus Lonicerus, datant du XVIe siècle, propose le conseil suivant: «Le salb ou lard de la chauve-souris empêchent la poitrine de la jeune-fille vierge de se développer de manière excessive». Bien évidemment, il ne faut pas suivre ces conseils et astuces. 

L’idéal médiéval de beauté: «seins en pomme» et petit ventre chez Liebeszauber, maître du Bas-Rhin, 1470-1480.

Le corps des hommes devait aussi paraître séduisant

Les femmes n’étaient pas les seules à devoir respecter certaines normes pour se conformer au standard de beauté. Les hommes devaient également se soucier de leur apparence qui devait être caractérisée par de longues jambes, des mollets toniques et de grands pieds. Contrairement à aujourd’hui, les hommes devaient aussi avoir des épaules étroites et une petite taille et ne pas avoir de ventre, comme nous l’explique Liane Vorwerk Gundermann.

Dans l’ouvrage Trotula (12e – 15e siècle, Salerne), on explique comment étaient traités les hommes qui n’étaient pas minces: «Nous leur creusons un trou dans le sable au bord de la mer et nous les enterrons. Quand la chaleur est grande, nous les plaçons à moitié dans le trou et à moitié dans du sable chaud. De cette façon, on les fait beaucoup transpirer avant de bien les laver». Le bain qui suivait cette ancienne forme de sauna était aussi réputé pour son effet amincissant. Il était composé d’eau de mer et d’eau de pluie – mélangées à différentes herbes telles que le genévrier, la menthe des chats, la menthe des dames, le laurier sauvage, l’absinthe, l’armoise et l’hysope.

L’idéal masculin au Moyen Âge, illustré par deux pages présents au couronnement d’Enea Silvio Piccolomini en tant que poète par Frédéric III, Pinturicchio, 1502-1507.

La pâleur distinguée

S’il était facile de simuler la forme du corps grâce aux vêtements, il était impossible de cacher le visage. À l’époque, comme aujourd’hui, l’accent est souvent mis sur le visage lorsqu’il est question de l’idéal de beauté. Au Moyen Âge en général, le visage d’une belle femme était très pâle avec des lèvres et des joues légèrement rouges. Contrairement à la peau claire, la peau foncée ou bronzée était associée aux classes économiques et sociales inférieures, car elle était le résultat du travail au soleil, par exemple dans les champs. Aujourd’hui, contrairement au Moyen Âge, la pâleur n’est plus un signe de noblesse. Au cours du XXe siècle, la peau bronzée est devenue de plus en plus un indicateur de richesse. L’une des raisons de cette inversion est le fait que, après la révolution industrielle, une grande partie des ouvriers travaillaient dans des usines ou des mines sombres et étaient donc plus pâles qu’au Moyen Âge. D’autre part, la peau bronzée était obtenue en prenant des bains de soleil pendant les loisirs ou les vacances – ce que la classe ouvrière du début et du milieu du 20e siècle ne pouvait pas se permettre.

Hier comme aujourd’hui: la jeunesse est la carte maîtresse

Outre une pâleur noble, un beau visage devait être caractérisé par une peau claire et sans rides. Les taches de rousseur et de vieillesse étaient également taboues, car elles étaient considérées comme un signe du diable. Quant aux cheveux, ils étaient de préférence blonds et bouclés. Une autre particularité de la fin du Moyen Âge concerne le front des dames: un front haut était considéré comme beau. Afin de répondre à cet idéal de beauté, certaines femmes étaient prêtes à s’épiler les cheveux.

Idéal du front haut dans le portrait d’une jeune femme, Petrus Christus, c. 1470.

En somme, «la jeunesse était une norme commune pour les hommes et les femmes», explique Hillary, la conservatrice du musée de maquillage de Baltimore. Toutefois, pour les hommes, l’accent était davantage mis sur les cheveux et leurs soins que sur les cosmétiques traditionnels. Pour cela, les hommes avaient également à leur disposition d’innombrables recettes contre la calvitie et des teintures pour cheveux gris. 

Les talents d’improvisation

Bien sûr, les cosmétiques tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existaient pas au Moyen Âge. Pour la noblesse, en revanche, il était facile d’obtenir une grande variété d’ingrédients et de les faire transformer. Les citoyens ordinaires, quant à eux, n’avaient pas le temps de suivre les pratiques de beauté ou de préparer des recettes, ni les moyens financiers d’acheter des ingrédients coûteux. Par conséquent, les gens avaient souvent recours aux substances végétales et minérales présentes dans leur environnement immédiat. Le concept de cosmétique au Moyen Âge est comparable à celui d’aujourd’hui: Le fard à paupières (mais plutôt rare), les crèmes pour la peau, le baume à lèvres (également coloré), le blush pour les joues et la poudre pour le visage étaient régulièrement utilisés. Rappelons que certaines formules médiévales sont dangereuses et ne doivent pas être essayées!

Empoisonnement par le maquillage

Dans le passé, on obtenait un teint pâle avec du blanc de plomb toxique ou de l’arsenic. Certaines recettes qui contiennent ces ingrédients sont énoncées dans la Trotula. Voici, un exemple de traitement au plomb: «Baume pour un visage blanc. Prenez deux onces du meilleur plomb blanc, broyez-le puis passez-le dans un linge […] Mélangez-le avec de l’eau de pluie et laissez-le bouillir jusqu’à épuisement de l’eau […] laissez-le refroidir. Ajoutez de l’eau de rose et faites bouillir à nouveau. Frottez-le bien sur le visage avec de l’eau pour que le visage sèche. Ensuite, lavez le visage à l’eau pure.»

De même, la Trotula contient des formules à base d’arsenic, un semi-métal hautement toxique: «Pour éliminer définitivement les poils, prenez des œufs de fourmis, de l’arsenic rouge et de la résine de lierre, mélangez-les avec du vinaigre et frottez-les sur les zones concernées.»

La farine blanche était un ingrédient facile à obtenir qui permettait d’avoir un visage blanc.

Pas d’accès aux poisons

Bien que l’on puisse trouver certaines recettes avec ces ingrédients toxiques, Hillary mentionne qu’au Moyen Âge, le plomb blanc et l’arsenic étaient encore difficiles d’accès. C’est pourquoi d’autres substances étaient utilisées. Par exemple, la farine blanche était un ingrédient facile à obtenir qui permettait d’avoir un visage blanc. La racine de lys était également fréquemment utilisée pour obtenir un teint blanc: «Lavez la racine de lys et broyez-la très finement jusqu’à ce qu’elle soit blanche. Lorsque vous vous rendez au bain, mélangez un ou deux œufs avec la racine moulue et laissez reposer. Oindrez ensuite le visage et, une fois hors du bain, lavez-vous soigneusement.»

Guérisseuse debout représentée dans une édition de la Trotula, vers 1200.

Si on veut être belle, il faut souffrir

Au Moyen Âge, certains traitements faisaient appel aux effets négatifs des substances végétales. Selon Hillary, ces traitements étaient plus nocifs que bénéfiques, mais ils permettaient tout de même d’obtenir l’effet désiré. Dans la plupart des pharmacopées qui nous ont été transmises, y compris la Trotula, on parle de l’actée blanche et de l’actée rouge, une plante toxique qui peut provoquer de graves irritations de la peau.

Épilation dangereuse

L’application de la chaux brûlée était un autre traitement désagréable et dangereux pour se débarrasser des poils. La Trotula comprend plusieurs remèdes similaires pour l’épilation: «Prenez trois onces de chaux fine brûlée dans un pot de terre et faites-la bouillir. Puis prenez une once d’arsenic et faites-la bouillir. Mélangez et passez ensuite le mélange sur tout le corps.» La recette se poursuit par un avertissement: «Veillez […] à ce que le mélange ne reste pas trop longtemps sur la peau, car il provoque une sensation de chaleur intense.» Dans le même paragraphe, on explique ce qu’il faut faire en cas de brûlures de la peau ou des cheveux. Les gens étaient donc bien conscients des dangers, mais l’envie d’être beau/belle était plus forte.

La culture des geishas a donné un coup de pouce aux cosmétiques.

Cosmétiques en Asie médiévale

En dehors de l’Europe, le maquillage s’est également développé et établi très tôt. Au Japon, par exemple, l’essor de la culture des geishas à l’époque Heian (vers 794-1185) a donné un coup de pouce aux cosmétiques. Par exemple, le beni est une méthode traditionnelle de coloration des lèvres qui a encore de l’attrait aujourd’hui. Hillary explique que le beni doit être produit de manière élaborée: le carthame ne contient qu’environ un pour cent de pigment rouge. Il est ensuite extrait et séché au cours d’un long processus. Le résultat est une substance verte brillante qui prend une couleur rouge vif au contact de l’eau et qui est utilisée comme rouge à lèvres et comme fard.

Komachi-Beni, le maquillage traditionnel japonais.

De même, les cosmétiques étaient déjà largement utilisés dans la Chine ancienne. Par exemple, pendant la dynastie Tang, de 617 à 907 environ, l’empereur déterminait l’apparence des femmes de la cour. À cette époque du calendrier chinois, l’empereur Wu, entre autres, aimait les sourcils bleus. Pour cette raison, les femmes de l’époque portaient leurs sourcils teints avec un pigment bleu. 

La fascination de la beauté

La volonté d’être beau/belle semble être inhérente à la nature humaine, qu’elle soit due à une pression extérieure ou à un désir intérieur de se sentir bien. Les idéaux et pratiques de beauté du Moyen Âge ne représentent qu’une étape intermédiaire de l’histoire. Les idéaux de beauté varient d’une culture à l’autre et sont également en constante évolution au sein des sociétés. Hillary observe que certaines normes du Moyen Âge européen ont encore un léger impact sur notre quotidien et que le naturel gagne de nouveau en importance. Les entreprises réagissent de plus en plus à cette évolution du regard social.

Par exemple, certains fabricants de cosmétiques commencent à retirer de leurs gammes les produits blanchissant la peau ou développent des produits pour les peaux qui prennent de l’âge – mais qui ne sont pas seulement anti-âge. Bien sûr, ce que l’avenir réserve à la beauté dépend avant tout de la situation générale de la société, car les changements économiques et sociaux de toutes sortes ont une grande influence sur l’idéal de beauté et l’accès aux cosmétiques.

*L’experte n’a préféré donner que son prénom.

Texte Kevin Meier

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