gaspillage «tout le monde est concerné par le gaspillage alimentaire»
Développement durable Interview

«Tout le monde est concerné par le gaspillage alimentaire»

30.11.2021
par Andrea Tarantini

Dans un monde en proie au dérèglement climatique, les énergies renouvelables et le développement durable sont en même temps les barrières qu’il nous faut dépasser et les moyens dont nous disposons pour protéger les ressources de notre planète et les générations futures. Dans l’interview qui suit, Mette Lykke, CEO de Too Good To Go, nous présente les enjeux liés à l’alimentation et au gaspillage alimentaire, axe essentiel du développement durable.

Mette Lykke, l’année 2030 se rapproche. Pensez-vous qu’on pourra atteindre tous les objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030?

Il est vrai que 2030 arrive à grands pas. C’est pourquoi, il est important à présent que les dirigeants du monde entier prennent des mesures. Discuter c’est bien, mais il faut aussi qu’ils s’engagent concrètement à atteindre les objectifs de l’Agenda. Au niveau des entreprises, beaucoup de choses sont déjà en cours. Néanmoins, cette évolution doit se poursuivre et même s’accélérer. Nous, les consommateurs, avons été quelque peu distraits par la pandémie, mais nous devons nous remettre en selle et faire face au changement climatique en identifiant les comportements que nous pouvons changer tout en gardant au mieux notre qualité de vie. Pour que nous ayons une chance face au changement climatique, il faut que les politiciens, les entreprises et les consommateurs s’unissent.

Pour quelles raisons l’alimentation s’impose-t-elle comme un axe incontournable dans le cadre du discours sur le développement durable?

Les discours liés à l’alimentation sont délicats et paradoxaux, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de gaspillage alimentaire. Nous voulons en effet trouver un moyen de produire et de distribuer suffisamment de nourriture pour tous les habitants de la planète, alors qu’en fait nous pourrions déjà le faire, en évitant simplement de gaspiller environ 40% des aliments produits. Ce gaspillage est la raison pour laquelle 870 millions de personnes se couchent chaque soir le ventre vide. À cela s’ajoute le fait que la nourriture de qualité n’est pas disponible à un prix abordable pour tout le monde – Too Good To Go cherche aussi à changer cette situation en proposant des aliments de bonne qualité avec des réductions allant généralement jusqu’à 70%. Ces éléments constituent un des plus gros problèmes que nous devons résoudre. Dans ce contexte, plusieurs projets voient le jour et cherchent à nous motiver à agir. C’est notamment le cas du «Project Drawdown» qui considère la lutte contre le gaspillage alimentaire comme la première action que nous pouvons entreprendre pour faire face au changement climatique.

Avant d’atteindre les consommateurs à la fin de la chaîne alimentaire, un grand nombre de produits alimentaires est perdu. Pourquoi?

La chaîne de valeur alimentaire est relativement longue et les aliments sont perdus à chaque étape de celle-ci. Nous savons qu’une grande partie des pertes alimentaires se passe déjà dans les champs. Dans le secteur de la vente au détail, le gaspillage se produit généralement parce qu’il est difficile voire impossible pour les propriétaires de magasins de prévoir avec précision la quantité exacte qui sera vendue un jour donné et que, dans tous les cas, ils souhaitent que leurs étagères soient bien remplies jusqu’à la fermeture.

Pour être cultivée, la nourriture a besoin de beaucoup d’énergie et d’eau. S’agit-il d’un triptyque indissociable?

Lorsque nous perdons près de 40% de la nourriture que nous produisons, nous gaspillons également toute l’énergie et les ressources – dont l’eau – qui ont été utilisées pour sa production. On considère aujourd’hui que les terres utilisées pour produire les aliments que nous gaspillons ont la taille de la Chine. C’est terrible! Il y a aussi beaucoup de problèmes de biodiversité liés à cette production massive puis au gaspillage. Quelle que soit la façon dont nous le considérons, le gaspillage alimentaire ne fait aucun sens.

Comment les entreprises peuvent-elles devenir des Waste Warrior Brands (WAW Brands)?

Les entreprises peuvent s’engager concrètement en faveur du développement durable, et notamment dans le cadre du gaspillage alimentaire. C’est pourquoi nous avons créé une initiative afin de réunir des enseignes actives dans le secteur alimentaire et les encourager à s’engager «pour une planète sans gaspillage alimentaire». Actuellement, en Suisse, nous sommes fiers de travailler avec 23 entreprises que l’on définit comme WAW Brands. Avec ces dernières, nous nous focalisons sur trois piliers importants que sont l’engagement interne, la communication externe et les mesures concrètes. La philosophie générale qui se cache derrière cette initiative est liée au besoin pressant d’agir. Nous visons à sensibiliser nos WAW Brands à cette cause, y compris leurs employés et leurs clients. C’est pourquoi nous leur procurons du matériel d’information et des conseils ciblés, organisons des événements tels que des webinaires et des tables rondes. Tout le monde est concerné par le développement durable et le gaspillage alimentaire. Il ne s’agit pas de savoir qui en fait le plus et qui est le meilleur. Nous devons tous être conscients des enjeux et changer nos habitudes.

Le gaspillage des denrées alimentaires concerne également beaucoup de ménages suisses. Quelle est la principale raison qui mène les consommateurs à gaspiller des aliments?

Nous savons que 20% des déchets produits par les ménages en Europe sont dus au fait que les consommateurs ne comprennent pas correctement l’étiquetage des dates sur les aliments. De nombreuses personnes pensent en effet que les mentions «à consommer de préférence avant le» et «à consommer jusqu’au» signifient la même chose ou ne comprennent pas la différence et, par conséquent, ils jettent le produit lorsque la date est atteinte. C’est vraiment dommage! En effet, alors que la Date Limite de Consommation (DLC) informe de la qualité sanitaire et est utilisée dans le cas de produits considérés comme très périssables, la Date de Durée Minimale (DDM) indique jusqu’à quand le produit garantit de garder toutes ses propriétés. Consommer des aliments qui ont dépassé cette date ne constitue pas forcément un risque pour la santé. Nous devons simplement faire plus confiance à nos sens, regarder l’aliment, le sentir et le goûter avant de décider si on peut le manger.

Comment l’initiative «Souvent bon après» de Too Good To Go contribue-t-elle à réduire les pertes alimentaires des consommateurs? L’idée de cette initiative est d’amener les produc- teurs à se réunir et à se mettre d’accord sur la manière d’expliquer aux consommateurs que les aliments sont encore bons après l’expiration de la DDM. Le label «Souvent bon après» est simple et peut être apposé sur les produits – il se trouve actuellement sur plus d’un milliard de produits différents. Nous avons également mené une campagne auprès des médias pour informer les gens à ce sujet. Cela est important car personne n’est gagnant lorsque nous gaspillons de la nourriture. De nombreux consommateurs ont été réceptifs à cette initiative et ont compris le problème. C’est formidable!

Existe-t-il d’autres raisons qui expliquent le gaspillage alimentaire au sein des ménages?

Oui, la planification des achats joue aussi un rôle essentiel. Par exemple, si nous savons que nous n’allons pas manger tous les jours à la maison, nous devrions faire moins de courses pour la semaine. Il y a aussi un problème dans la façon dont nous stockons les aliments dans le réfrigérateur. Sinon, lorsque nous cuisinons trop pour le dîner par exemple, on peut congeler les restes, les manger le lendemain ou se tourner vers de nombreuses recettes anti-gaspillage. Nous pouvons toutes et tous changer nos habitudes et notre comportement par de simples astuces, réduisant ainsi drastiquement le gaspillage alimentaire.

Dans quelle mesure est-il important de sensibiliser les plus jeunes au développement durable et au problème du gaspillage?

D’un côté, les jeunes sont naturellement plus intéressés par le climat et désireux de voir des actions concrètes. Néanmoins, d’un autre côté, tous n’ont pas la même éducation liée au gaspillage alimentaire, comme le fait d’apprendre à finir son assiette. Dans ma génération, c’était différent. On nous répétait souvent qu’il fallait avoir conscience de la faim dans le monde et éviter de gaspiller de la nourriture. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes doivent encore faire le lien entre le gaspillage alimentaire et le climat, et prendre conscience que certaines habitudes alimentaires ont des conséquences financières mais aussi environnementales.

Les technologies, et notamment l’intelligence artificielle, peuvent- elles contribuer à la lutte contre le gaspillage alimentaire?

Grâce à l’IA, nous pouvons mieux prévenir le gaspillage alimentaire. La technologie nous permet en effet de garantir des chaînes d’approvisionnement plus optimisées ainsi qu’un meilleur approvisionnement. Cependant, je ne pense pas que nous puissions prédire avec précision combien de personnes achèteront une certaine miche de pain un jour donné par exemple. Le gaspillage peut ainsi être réduit grâce aux nouvelles technologies, mais il ne va pas disparaître du jour au lendemain.

Comment voyez-vous notre avenir en termes de développement durable?

J’espère que d’ici cinq ou dix ans, il nous semblera normal de ne pas jeter de la nourriture en bon état, tout comme l’est aujourd’hui le fait de ne pas quitter la maison en laissant toutes les lumières allumées. En ce qui concerne le climat, j’espère vraiment qu’on n’attendra pas que ce soit trop tard pour nous mettre sur la bonne voie et agir tous ensemble.

Interview Andrea Tarantini
Photo Too Good To Go

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