Les rapides avancées technologiques touchent radicalement tous les secteurs, de l’IT au médical, et le paysage juridique ne fait pas exception. Avocat spécialisé en droit des médias, de la réputation et des technologies de l’information, Nicolas Capt se trouve au cœur de cette intersection entre le droit et les nouvelles technologies. Dans cette interview, il partage sa vision sur les défis et les opportunités que rencontrent les professionnels du droit dans un contexte où l’intelligence artificielle, notamment, façonne de manière significative la pratique juridique.
Maître Capt, quels sont, selon vous, les principaux défis que les avocats et le système juridique doivent relever dans un monde de plus en plus régi par les technologies ?
Les défis sont évidemment nombreux, au premier chef ceux impliqués par l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), notamment générative. L’IA engendre évidemment des réflexions importantes. Cela étant, il s’agit à mon sens d’agir avec pragmatisme et mesure, pour intégrer les technologies et outils qui doivent l’être, dans le respect des exigences légales et déontologiques, sans pour autant céder aux sirènes du solutionnisme technologique. Les obstacles relèvent tant de contraintes juridiques, notamment en lien avec la protection des données personnelles et le secret de l’avocat, que de limitations techniques actuelles quant au rendu de l’IA générative dans le domaine particulier du droit. Cela étant, les technologies évoluent à un rythme galopant : ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain.
La montée en puissance de l’intelligence artificielle dans le domaine juridique suscite des préoccupations concernant l’automatisation des tâches juridiques. Comment voyez-vous l’évolution du rôle de l’avocat à l’ère de l’IA ?
Il apparaît assez vraisemblable qu’une partie, sans doute importante, de la génération des documents usuels sera gérée au moyen de l’IA. Il en est de même des tâches de classement et de recherche de jurisprudence et de doctrine. Il est fort probable que l’activité d’avocat se concentre dès lors davantage sur le conseil stratégique et l’accompagnement.
Comment les avocats peuvent-ils contribuer à garantir que les systèmes basés sur l’IA respectent les normes éthiques et juridiques, et comment peuvent-ils défendre les droits des individus dans ce contexte ?
C’est le cœur du problème. L’avocat demeure juridiquement responsable de ce qu’il produit ; il ne saurait se réfugier derrière les errements de la machine et demeurera toujours comptable de ce qu’il rédige et dépose en justice. C’est là la condition essentielle de la confiance, sur lequel le métier d’avocat repose. À cela s’ajoutent les obligations qui sont celles des avocats en matière de secret professionnel et de protections des données et qui sont très exigeantes.
Avec l’avènement de la technologie des contrats intelligents (smart contracts) basés sur la blockchain, comment voyez-vous l’avenir de la rédaction et de l’exécution des contrats dans le domaine juridique ?
Il y a une ambiguïté lexicale à relever : il ne s’agit pas d’un contrat à proprement parler. Le smart contrat doit en réalité se comprendre comme une modalité d’exécution automatique et décentralisée, sécurisée par des moyens cryptographiques, de termes contractuels prédéfinis, lorsque certaines conditions sont remplies. Les smart contracts trouvent une application toute particulière dans les situations dans lesquelles l’un des cocontractants est en demande de confiance. En effet, le mécanisme informatique bien connu « if, then » permet de s’assurer qu’un paiement, par exemple, ne soit déclenché qu’à l’occasion de l’avènement d’un élément prédéfini entre les parties. Si (if) l’événement prévu advient, alors la conséquence (then) aussi. À titre d’exemple, en cas de location, le véhicule loué ne pourra être démarré que si la redevance correspondante a été – au préalable – réglée. Au-delà de ce cas de figure un peu simpliste, les applications à grande échelle pullulent : cela va du domaine du commerce international, qui pourrait bien à terme se passer de certaines garanties usuelles comme l’accréditif, à l’administration publique, laquelle pourrait voir un certain nombre de ses processus – notamment l’émission de documents tels que des permis et autorisations – révolutionnés par l’utilisation des smart contracts, en passant par le transfert de la propriété immobilière, lequel pourrait être facilité et automatisé dans une assez large mesure.
L’avocat demeure juridiquement responsable de ce qu’il produit ; il ne saurait se réfugier derrière les errements de la machine et demeurera toujours comptable de ce qu’il rédige et dépose en justice. Nicolas Capt, Avocat, Spécialiste en Droit des médias, réputation et IT
Quel est le rôle des avocats dans la protection des droits individuels et de la vie privée à l’ère numérique ? Quelles sont les principales préoccupations en matière de protection des données personnelles que vous rencontrez dans votre pratique aujourd’hui ?
Ma pratique première est celle du droit de la réputation et des médias, que je mets au service d’une clientèle variée, allant de grandes entreprises à des personnes physiques particulièrement exposées (politiciens de haut rang, célébrités, capitaines d’industrie, etc.) à des médias de premier plan, en passant par des entités publiques ou parapubliques. Les enjeux auxquels nous faisons face sont évidemment plus nombreux et plus aigus depuis la montée en force des réseaux sociaux et des médias numériques. Nous agissons quotidiennement, que ce soit du côté des mis en cause ou des médias, pour assurer la défense de leurs droits dans un contexte légal et opérationnel en constante évolution. S’agissant de la protection des données, les problématiques sont là aussi très nombreuses et disparates : elles vont de la mise en conformité de politiques de confidentialité à des litiges, parfois très sensibles, portant sur le droit d’accès aux données personnelles ou sur l’utilisation parfois excessive qui est faite desdites données, de manière parfois non conforme aux finalités légitimes. Enfin, l’arrivée de l’IA générative amène avec elle de nombreuses problématiques nouvelles, dont la création de deepfakes, parfois utilisés pour nuire ou déstabiliser une entreprise ou une personne.
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