Interview par Océane Ilunga

Localarchitecture – L’architecte comme chef d’orchestre : dialogues sur la ville de demain

À l’occasion des 20 ans de Localarchitecture, ses directeurs Antoine Robert-Grandpierre et Laurent Saurer, partagent leur vision de l’architecture durable et innovante.

Depuis vingt ans, Localarchitecture s’illustre comme un acteur majeur de l’architecture suisse et internationale. Dirigée par Antoine Robert-Grandpierre et Laurent Saurer, l’agence lausannoise se distingue par une approche mêlant respect du contexte, innovation et durabilité. À travers des projets emblématiques, souvent récompensés, elle réinvente les matériaux traditionnels comme le bois tout en explorant des pratiques avant-gardistes. Entretien avec ces deux architectes pour découvrir leur vision de l’architecture d’aujourd’hui et de demain.

Antoine Robert-Grandpierre et Laurent Saurer , Localarchitecture

Image : ©Amélie Blanc / LOCALARCHITECTURE

Antoine Robert-Grandpierre et Laurent Saurer, Localarchitecture fête ses 20 ans cette année. Comment définiriez-vous votre philosophie ?

Antoine Robert-Grandpierre : Nous avons toujours aspiré à une architecture de qualité, ancrée dans un dialogue avec son environnement. Chaque projet s’intègre dans un contexte, comme un nouvel interlocuteur enrichissant une conversation déjà en cours. Nos bâtiments ne sont jamais muets, ils apportent du sens et s’inscrivent dans leur milieu en créant une « présence ». Cette « présence » se perçoit intuitivement, avant même de s’expliquer. Elle s’accompagne d’une réflexion durable : penser l’architecture pour qu’elle traverse le temps, qu’elle ne soit pas figée dans une époque et qu’elle puisse évoluer intelligemment.

Laurent Saurer : La « présence » d’un bâtiment, c’est aussi son atmosphère, une sensation qui se révèle pleinement une fois le projet achevé. C’est une expérience sensible, qui se ressent plus qu’elle ne se décrit.

Vous semblez marier tradition et modernité dans vos constructions, particulièrement celles en bois. Comment procédez-vous ?

Laurent Saurer : Le bois illustre bien cette rencontre entre tradition et modernité. C’est un matériau qui a su évoluer grâce à des technologies innovantes, tout en conservant ses racines artisanales. Dès nos débuts, avec des projets comme la chapelle de Saint-Loup, nous avons exploré le potentiel des outils numériques pour repousser les limites de la construction en bois. Aujourd’hui encore, nos projets, comme les vestiaires de football de Daillens ou la Maison de l’Île aux Oiseaux, reflètent ce mélange : une charpente traditionnelle fabriquée avec des outils numériques modernes.

Antoine Robert-Grandpierre : Bien que le bois occupe une place importante dans notre pratique, nous choisissons toujours les matériaux les plus adéquats pour chaque projet. Par exemple, nous avons récemment expérimenté des briques de terre compressée pour une école à Crissier et pour une résidence en Côte d’Ivoire, ou de l’isolation en paille pour les infrastructures sportives à Daillens, des matériaux anciens adaptés aux exigences contemporaines grâce à des technologies récentes.

Quelle est votre vision du bois en tant que matériau durable ?

Antoine Robert-Grandpierre : Le bois a beaucoup évolué en 20 ans. Il est passé de matériau économique à une ressource parfois plus coûteuse que le béton. Cette évolution reflète le regain d’intérêt pour le bois, qui est désormais perçu comme une solution avant tout écologique. Nous avons accompagné cette transformation, remportant plusieurs Prix Lignum qui récompensent les constructions en bois.

Laurent Saurer : Le bois est aujourd’hui omniprésent, ce qui peut poser problème. Il faut éviter de tomber dans une utilisation excessive et privilégier un usage harmonieux des ressources.

Quels défis majeurs avez-vous rencontrés dans votre pratique ?

Antoine Robert-Grandpierre : Construire de manière intelligente reste notre principal défi. Cela signifie concevoir des bâtiments capables de durer, de s’adapter et même de disparaître sans nuire à l’environnement. Réfléchir à l’impact écologique d’un bâtiment, y compris sa fin de vie, est aujourd’hui crucial.

Laurent Saurer : Nous devons anticiper les contraintes futures et offrir des possibilités aux générations à venir. C’est une tâche complexe qui exige une adaptation constante.

Quel rôle jouent les outils numériques dans votre processus créatif ?

Antoine Robert-Grandpierre : Ces outils enrichissent notre pratique sans remplacer les méthodes traditionnelles, comme par exemple les maquettes en carton. Cependant, ils ont révolutionné la production, notamment dans la construction en bois, où les machines numériques permettent de personnaliser chaque pièce sans surcoût.

Comment voyez-vous l’évolution de l’architecture durable et écoresponsable dans les années à venir ?

Antoine Robert-Grandpierre : Quand on conçoit un bâtiment, ce n’est pas forcément toute la couche énergétique ou technologique qu’on va y intégrer qui le rend durable. La durabilité repose avant tout sur des décisions de bon sens : l’orientation du bâtiment, son isolation naturelle, sa flexibilité pour s’adapter à de nouveaux usages. Ce sont des principes fondamentaux pour concevoir des bâtiments qui traversent le temps.

Comment voyez-vous le rôle des architectes dans la formation des villes de demain, notamment face aux enjeux climatiques et sociétaux ?

Antoine Robert-Grandpierre : Les défis urbains d’aujourd’hui impliquent de nombreux acteurs, et les projets sont de plus en plus complexes. Dans ce contexte, l’architecte occupe un rôle central, celui de chef d’orchestre. Nous devons fédérer les intervenants autour d’une vision commune, tout en guidant le projet pour relever les défis environnementaux et sociaux. Avec notre expérience des processus de conception, nous avons aussi une responsabilité prospective : anticiper et proposer des solutions qui rendent les villes plus durables et adaptables.

Laurent Saurer : L’architecture a longtemps été marquée par une période où certains architectes adoptaient une approche autocentrée, imposant des modèles universels souvent déconnectés des réalités locales. Cette attitude pouvait s’apparenter à une forme de « colonialisme architectural », où des visions homogènes dominaient les contextes diversifiés. Aujourd’hui, nous nous éloignons de cette logique pour adopter une posture où l’architecte agit davantage comme un rassembleur. L’objectif n’est plus de produire des œuvres autocentrées, mais de développer des utopies réalistes, respectueuses des cultures, des environnements et des spécificités locales.


image d’en-tête La Maison de l’Île aux Oiseaux ©Matthieu Gafsou / LOCALARCHITECTURE

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18.12.2024
par Océane Ilunga
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