Depuis 2015, Jürg Röthlisberger dirige l’Office fédéral des routes (OFROU), un acteur clé dans l’évolution des infrastructures routières suisses. Alors que la transition vers une mobilité plus verte et décarbonée s’accélère, l’OFROU s’engage sur plusieurs fronts : développement des bornes de recharge, infrastructures intelligentes, recyclage des matériaux et production d’énergie renouvelable. Dans cet entretien, Jürg Röthlisberger revient sur les enjeux et solutions qui façonneront les routes suisses de demain.
Jürg Röthlisberger, quel rôle joue l’OFROU dans la transition vers une mobilité plus durable en Suisse ?
Nous sommes un élément central de la décarbonation de la mobilité routière, qui représente la grande majorité des émissions de CO₂. Nous agissons sur deux leviers principaux : d’une part, nous soutenons la mobilité douce, notamment en favorisant le développement du vélo. D’autre part, nous encourageons la transition des véhicules thermiques vers l’électrique, en facilitant leur adoption.
Concrètement, quelles mesures avez-vous mises en place pour accompagner cette transition ?
Nous avons par exemple augmenté le poids admissible des camionnettes électriques, de 3,5 tonnes à 4,25 tonnes, pour compenser le surpoids des batteries. C’est une mesure clé pour accélérer l’électrification des véhicules utilitaires.
Côté infrastructures, nous avons engagé un grand programme d’installation de bornes de recharge rapide sur nos aires de repos. D’ici fin 2024, 50 sites seront équipés, avec quatre bornes de recharge rapide par emplacement, et nous visons une couverture complète d’ici 2030. Nous mettons également à disposition 55 parcelles supplémentaires pour des investisseurs privés afin d’installer des stations de recharge. Enfin, 15 emplacements dédiés aux poids lourds verront aussi le jour.
Comment l’OFROU collabore-t-il avec les cantons, communes et acteurs privés pour accélérer la transition vers une mobilité plus durable ?
Nous sommes en concertation permanente avec les cantons, communes et villes, que ce soit pour les pistes cyclables, les projets d’entretien ou les extensions du réseau routier. Nous devons trouver un consensus entre la vision nationale et les besoins locaux, ce qui constitue un défi permanent.
Quelles mesures sont mises en place pour minimiser l’impact environnemental des grands chantiers routiers ?
Pour chaque grand chantier, des études d’impact environnemental sont menées. Nous minimisons le bruit avec des enrobés phono-absorbants et maximisons la durabilité des matériaux. La durabilité est un critère clé dans l’attribution des contrats, au même titre que le prix. Nous évaluons par exemple l’origine des matériaux, les distances de transport et l’efficacité énergétique des machines utilisées. Les entreprises ont donc un intérêt fort à proposer des solutions durables.
Par rapport au développement d’une mobilité multimodale, l’Office fédéral des routes (OFROU) encourage-t-il ou non l’usage de la voiture individuelle ?
Absolument. Nous sommes persuadés qu’il ne faut pas opposer les différents modes de transport les uns contre les autres. Tous les modes de transport sont nécessaires aujourd’hui et le seront encore à l’avenir. Il faut simplement s’assurer qu’ils deviennent plus durables, plus efficaces en consommation d’énergie et encore plus sûrs. Actuellement, 84 % de la mobilité terrestre se fait sur route. Par exemple, toute la mobilité douce (à pied ou à vélo) se fait sur route. De plus, un tiers des transports publics utilise également les routes, notamment dans des villes comme Lausanne où presque tout le transport public est routier (sauf le métro et quelques autres exceptions).
C’est pourquoi nous mettons en place, en concertation avec les cantons, communes et villes, la loi sur les pistes cyclables. Cette loi prévoit la mise en place de deux réseaux d’infrastructures pour le vélo d’ici 20 ans : un pour l’utilisation pendulaire et un autre pour les loisirs et le tourisme. Une roadmap a été établie en concertation avec les cantons, disponible sur notre site Internet.
Les infrastructures routières sont aussi un levier d’action pour réduire l’empreinte carbone. Quelles innovations l’OFROU développe-t-il ?
Nous avons plusieurs axes de travail : réduction de la consommation d’énergie, production d’électricité renouvelable et usage accru du recyclage.
Par exemple, l’éclairage des tunnels est le principal poste de consommation énergétique sur nos routes. En installant des technologies LED de dernière génération, nous avons réduit notre consommation de sept gigawattheures l’an dernier. Nous investissons aussi massivement dans le photovoltaïque, en équipant nos centres d’entretien, murs de soutènement et parois antibruit. Nous estimons que d’ici 2035, notre production atteindra 50 gigawattheures, soit un tiers de notre consommation totale.
Qu’en est-il du recyclage des matériaux dans la construction et l’entretien des routes ?
C’est un autre levier majeur. 90 % des enrobés bitumineux utilisés dans nos travaux sont issus du recyclage, ce qui place la Suisse parmi les pays les plus performants. Nous explorons aussi de nouvelles alternatives aux matériaux fossiles, comme un béton à faible teneur en ciment, qui permettrait de réduire considérablement les émissions de CO₂.
L’Office fédéral des routes joue-t-il un rôle dans l’installation et l’entretien des bornes de recharge pour véhicules électriques le long des autoroutes ?
Oui, nous sommes propriétaires d’environ 100 aires de repos, et il existe aussi une cinquantaine d’aires de ravitaillement qui appartiennent aux cantons. Ces dernières génèrent des impôts et des emplois, ce qui justifie leur gestion par les cantons. Ceux-ci ont mis en place un système pour équiper leurs aires de ravitaillement avec des bornes de recharge, et nous saluons ces efforts. En parallèle, nous avons identifié 55 terrains supplémentaires pour de nouvelles infrastructures de recharge.
Comment l’OFROU gère-t-il l’impact environnemental des batteries et l’approvisionnement en électricité verte pour les véhicules électriques ?
Le recyclage est une solution essentielle, mais nous avons aussi beaucoup d’attentes pour le « Second Life » des batteries. Par exemple, les batteries des véhicules électriques peuvent être réutilisées dans d’autres applications après leur première vie, comme pour stocker l’énergie dans des bâtiments. L’Office fédéral de l’environnement est en charge de ces questions et nous travaillons ensemble pour favoriser l’utilisation durable des batteries.
Les routes suisses deviennent-elles aussi plus “intelligentes” ?
Absolument. Aujourd’hui, nous avons déjà plus de 100 000 capteurs IoT installés sur le réseau autoroutier : caméras, capteurs de trafic, gestion de la ventilation des tunnels, etc. Les vitesses variables, par exemple, sont déjà en place sur 1 000 km d’autoroutes et seront étendues aux deux tiers du réseau d’ici cinq ans.
Nous suivons aussi de près les développements autour des véhicules autonomes. La question aujourd’hui est de savoir à quel point ces véhicules auront besoin d’une connexion avec l’infrastructure routière. Nous pensons qu’un équipement minimal en capteurs sera nécessaire pour garantir la sécurité et la fluidité du trafic.
Comment l’OFROU soutient-il la biodiversité et l’intégration écologique des infrastructures routières ?
Nous travaillons sur deux axes. D’une part, l’OFROU construit et exploite des passages à faune, avec actuellement une quarantaine en service à travers la Suisse, permettant de préserver les corridors écologiques et de réduire l’impact des routes sur la faune.
D’autre part, il assure une gestion soignée des espaces verts longeant les infrastructures routières. Des directives détaillées encadrent leur entretien afin de favoriser la biodiversité, en tenant compte des périodes d’intervention et des techniques utilisées pour minimiser l’impact sur l’environnement.
Pouvez-vous donner des exemples de projets ou partenariats ayant un impact significatif sur la durabilité ?
Nous menons plusieurs initiatives visant à renforcer la durabilité des infrastructures et des transports. Par exemple, nous avons développé des pistes cyclables parallèles à certaines autoroutes, comme en Romandie, où un chemin cyclable spécifique a été aménagé.
Dans le domaine de l’électrification des véhicules utilitaires, nous avons facilité l’adoption des camionnettes électriques en augmentant leur poids total autorisé à 4,25 tonnes, leur permettant ainsi de transporter autant que leurs équivalents thermiques.
Par ailleurs, nous avons modifié la formation des conducteurs en supprimant l’obligation de passer le permis sur une boîte manuelle, ce qui favorise l’apprentissage et l’adoption des véhicules électriques dès le départ.
Ces actions s’inscrivent dans une approche globale reposant sur cinq axes majeurs : le conducteur, le véhicule, l’infrastructure, le financement et les données. En intervenant sur ces différents leviers, nous œuvrons pour une mobilité plus durable, plus sûre et toujours accessible à tous.
Quels sont les prochains défis pour l’OFROU dans cette transition ?
Notre objectif est d’accélérer la transition tout en garantissant une infrastructure fiable et sécurisée. Cela implique des investissements massifs, mais aussi une coordination étroite avec les cantons, les communes et les acteurs privés. Nous devons nous assurer que notre réseau routier accompagne efficacement les nouvelles formes de mobilité et qu’il contribue activement à la neutralité carbone de la Suisse d’ici 2050.
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