Interview par Léa Stocky

Géraldine Fasnacht : « On ne défie pas la montagne, on avance avec elle »

La sportive de haut niveau se confie sur sa passion pour la montagne.

La passion de la montagne, voilà ce qui anime Géraldine Fasnacht. La sportive de haut niveau ne recherche pas les sensations fortes, mais plutôt un moyen de se connecter à la nature environnante. S’élancer, c’est pour elle faire corps avec la montagne. Dans cette interview, elle nous parle plus en détails de ses renversantes passions.

Geraldine Fasnacht

Image: Anthony Demierre

Géraldine, vous pratiquez plusieurs sports, le freeride en snowboard, le base-jump et le wingsuit. Qu’est-ce qui vous a mené à les pratiquer ?

Mon rêve était d’être pilote d’avion, mais financièrement, c’était un rêve inaccessible. J’ai essayé d’intégrer un cursus militaire mais j’ai fait ma demande une année trop tard. De plus, étant une femme, c’était un peu compliqué à cette époque. J’ai donc travaillé chez Swissair, tout en faisant des compétitions de freeride en parallèle, d’abord au niveau national puis au niveau européen.
En 2002, J’ai commencé à faire des compétitions de haut niveau que j’ai gagnées. J’ai participé à l’Xtreme de Verbier, la plus grande compétition de freeride au monde, que j’ai gagné à ma première participation. Grâce à ces résultats, j’ai eu mes premiers sponsors.

J’ai quitté mon travail à l’aéroport de Genève pour m’installer à Verbier, où j’ai dû combiner mes entraînements le matin avec mes deux emplois l’après-midi et le soir. Finalement, j’ai passé huit années sur le circuit international de freeride, cumulant onze victoires internationales et trois finales de l’Xtreme de Verbier.
J’ai commencé à faire du base-jump et de la wingsuit car je voulais trouver un sport qui me permette de m’entraîner en montagne en été. Loin de constituer une recherche d’adrénaline, ces sports représentent plutôt pour moi la manière la plus pure d’être connectée avec la montagne et la possibilité de connaître mieux mon terrain de jeu.

Comment décririez-vous les sensations que vous ressentez lorsque vous sautez
dans le vide ou que vous vous dressez face à la neige ?

J’aime la sensation de faire corps avec l’élément, d’être en communion avec la nature. Le temps semble suspendu. J’ai l’impression de passer en mode animal. De vivre le privilège d’être là maintenant. De vivre cet instant.

Comment choisissez-vous les lieux où vous vous élancez ?

Je passe énormément de temps en montagne et j’observe. J’ai toujours aimé chercher de nouvelles lignes. Répéter le même saut permet de m’entraîner, mais j’aime surtout découvrir de nouvelles lignes.

Avez-vous d’autres passions ?

Je pilote des avions et des ULM, et j’apprécie tout particulièrement ces derniers. Les ULM sont en effet le futur de l’aviation : ils ont le même ratio poids/puissance que des avions qui pèsent une tonne mais consomment trois à quatre fois moins. Toutefois, piloter un ULM en montagne est très technique car il s’agit d’un appareil très léger. Une petite erreur peut se payer très cher, c’est pour cette raison qu’il est important de connaître son terrain et de sentir les conditions. Mon expérience en wingsuit pour savoir comment utiliser le vent et en snowboard freeride pour la connaissance de la neige m’ont énormément aidée.

Ce sont des sports assez différents. Tandis que le snowboard se pratique sur terre, le base-jump et la wingsuit sont des sports des airs. Nécessitent-ils des qualités similaires ?

Ces sports demandent un investissement personnel énorme car il faut être très bien entraîné et surtout connaître ses limites. Il faut prendre le temps d’apprendre, d’observer, de sentir. Ces sports ne s’apprennent pas dans la précipitation mais dans la durée car ils sont basés sur la connaissance.

Dans les sports de montagne, contrairement à d’autres disciplines, les erreurs peuvent avoir des conséquences très graves. Il faut tout prévoir à l’avance, calculer son plan de vol de façon très précise et penser à des plans B. En wingsuit par exemple, dans le cas d’un mauvais départ, il faut avoir une ligne dans laquelle on peut s’échapper.

Quels sont les obstacles que vous avez pu rencontrer lors de votre parcours sportif ?

Nous avons tous des obstacles dans la vie de tous les jours, à différents niveaux. On peut se sentir moins bien et décider de faire demi-tour, ou bien vivre des épreuves difficiles qui nous font douter au point de se demander si l’on veut arrêter. Ma passion pour la montagne m’a toujours tirée vers l’avant, ce qui est une chance. Elle me donne envie de me lever chaque matin, de créer et d’aller de l’avant, malgré les moments difficiles. Avoir une passion est le plus beau cadeau que la vie m’ait donné.

Vous est-il arrivé d’avoir peur dans la pratique de ces sports ?

Oui ! Je suis humaine comme tout le monde, j’ai des peurs. Je pense cependant que la peur est ce qui me garde vivante. Il m’est arrivé de me sentir pousser des ailes, comme lorsque j’ai ouvert le Cervin ou des sommets emblématiques en Antarctique. Cependant, quand on a l’impression de ne plus avoir de limites, on pense pouvoir tout faire. Il faut savoir remettre les pieds sur terre très vite après un état comme celui-ci car c’est à ce moment-là qu’on se met en danger.

J’ai la chance d’avoir une famille et des amis très proches qui m’ont toujours fait découvrir d’autres passions en dehors de la montagne et avec qui j’aime passer du temps. Cela m’a permis de comprendre que je ne suis pas Wonder Woman et que je dois retrouver mes peurs avant de m’élancer à nouveau. C’est lorsqu’on met des œillères et qu’on pense qu’il n’y a que notre discipline dans la vie qu’on risque d’y rester.

Comment peut-on prévenir des risques dans la pratique de sports comme les vôtres ?

Prévenir les risques, c’est essayer d’anticiper les problèmes que l’on pourrait avoir du mieux possible. Cela passe par un très bon entraînement pour ne pas être à l’agonie quand on arrive au sommet d’une montagne. La fatigue peut en effet nous pousser à faire de mauvais choix. Il est également primordial d’avoir un bon matériel et une bonne technique qui nous donne le niveau d’affronter ce qui nous attend. Il faut essayer d’être le plus à l’aise possible pour prendre les meilleures décisions.

Souvent, les gens ne comprennent pas le temps que ça prend de devoir connaître la montagne pour pouvoir la pratiquer en haute altitude. En regardant la neige, on doit être capable de savoir comment elle sera lorsque l’on va la rider. En wingsuit, on doit calculer sa finesse de vol grâce à des GPS pour savoir si on peut réaliser une ligne ou pas. Finalement, il ne s’agit pas d’un challenge : on ne défie pas la montagne, on avance avec elle. Pour cela, il faut connaître ses capacités, ses limites, savoir s’équiper et pratiquer avec les bonnes personnes.

Enfin, le feeling est à prendre en compte. Si l’on ne se sent pas bien ou qu’on traverse une mauvaise passe, il faut savoir dire non. Qu’est-ce qui vous motive chaque jour à repousser vos limites ?

J’ai l’impression que si je ne fais pas de nouvelles choses, je m’endors. Depuis que je suis maman, mon fils me le montre tous les jours. Dès sa naissance, un enfant apprend tout le temps. Comment cela se fait-il qu’une fois adulte, on a l’impression de tout savoir ? Pour moi, la vie est faite pour apprendre tous les jours, que ce soit au niveau sportif, mais aussi culturel : j’aime aller au musée ou au théâtre, j’aime lire et me documenter. J’ai besoin de faire travailler mon corps et mon cerveau pour évoluer tous les jours. Sortir de ma zone de confort est une nécessité.

En quoi est-ce important pour vous de communiquer sur vos exploits ?

Au début, je n’en voyais pas vraiment l’utilité. Je préférais prendre du temps pour m’entraîner plutôt que de me déplacer pour rencontrer des journalistes. Quand on a des partenaires, on doit toutefois leur donner une certaine visibilité.
Les disciplines que je pratique sont souvent qualifiées d’extrême, ce que je n’aime pas. Quand j’ai commencé le freeride et le base-jump, les sportifs comme moi étaient considérés comme des fous ou des trompe-la-mort. Certains journalistes avec qui j’ai pu m’entretenir ont véhiculé cette image-là, alors que ce n’est pas du tout ce que je vis.

Je veux avant tout mettre l’accent sur cette puissance que je ressens dans la nature et cette communion que j’ai avec les éléments, qui sont doux. Je mets de la musique classique sur mes vols ! Ce que je recherche, c’est avant tout la beauté du geste, l’élégance de la ligne. Quand on fait du freeride ou de la wingsuit, on aime avant tout la montagne. Si on ne ressent pas cette communion, on se met en danger. Certains sportifs aiment sûrement se faire peur, ils ne sont cependant qu’une minorité.

J’aimerais aussi ajouter le fait que beaucoup de gens considèrent que ce ne sont pas des sports de femmes. Il y a quelques années, j’étais sur l’Aiguille du Midi prête à m’envoler, lorsque j’ai entendu un père dire à ses enfants : « Regardez le gars qui va sauter ! ». Cela m’a énervée que l’on me considère automatiquement comme un homme. J’ai donc ensuite demandé qu’on me fasse une wingsuit rose. J’ai aussi déjà pu être qualifiée de « première femme à avoir sauter du sommet du Cervin », mais je ne suis pas seulement la première femme à avoir réalisé cet exploit, je suis surtout le premier humain. Il est important que les gens comprennent qu’il y a aussi des femmes qui font des premières dans le monde.

Avez-vous de nouveaux projets ?

Je suis en train de réaliser un super projet sur les plus belles lignes de wingsuit. Je commence par effectuer le plus long vol du monde, 3150 mètres de dénivelé à la Jungfrau, un des plus hauts sommets des Alpes, qui culmine à 4158 mètres d’altitude. Même en Himalaya, il n’y a pas de si longs vols. Partir de ce sommet est un véritable voyage car on s’élance à plus de 4000 mètres au-dessus des glaciers pour par la suite voler entre des falaises orange et au-dessus de forêts exceptionnelles et atterrir au milieu des vaches dans cette vallée de conte de fées aux 72 cascades, Lauterbrunnen.

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25.11.2023
par Léa Stocky
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