Interview par Océane Ilunga

Elodie Frenck : L’art de rester vivante

L’actrice nous parle de son parcours, de ses engagements et de sa vision de l’âge dans le monde artistique.

Élodie Frenck, actrice suisse-péruvienne-française, est bien plus que l’inoubliable Marlène des Petits Meurtres d’Agatha Christie. À l’aube de ses 50 ans, elle nous livre une réflexion sincère et profonde sur sa carrière, la maternité et la place des femmes dans le monde du spectacle. Mère accomplie, elle aborde les défis de son métier avec optimisme, tout en revendiquant une juste représentativité des femmes de son âge à l’écran. Une artiste libre, passionnée et résolument « vivante », qui refuse les compromis et valorise l’expérience de la vie.

Elodie Frenck, si vous deviez utiliser quelques mots pour vous décrire, lesquels choisiriez-vous ?

Optimiste et désespérée, paradoxale et surtout vivante.

Pourquoi vivante ?

Parce que j’ai l’impression de vouloir profiter pleinement de chaque instant, consciente que c’est une chance de se sentir vivante, d’exprimer ma gratitude envers la vie.

Elodie Frenck

Image : François Berthier

Si vous deviez choisir des moments importants de votre vie qui vous ont marquée, lesquels choisiriez-vous ?

Trois moments marquants ont véritablement jalonné mon parcours professionnel : l’obtention de mon baccalauréat en 1993, condition sine qua non pour pouvoir partir ; la réussite du concours de la classe libre qui offre la gratuité des cours Florent ; et enfin, mon rôle dans Les Petits Meurtres d’Agatha Christie.

Vous êtes justement connue pour votre rôle de Marlène, un personnage à la fois attachant et dynamique. Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce rôle, et pourquoi représente-t-il un tournant dans votre carrière ?

Ce qui m’a attirée, c’est qu’il s’agit d’un véritable rôle de composition. C’était de la comédie, un genre exigeant qui demande beaucoup de travail et de précision. Marlène est un personnage à la fois irréel et profondément sincère. Elle oscille entre glamour et humour, tout en étant inatteignable et pourtant très proche. Ce mélange subtil a constitué un beau défi et a marqué un tournant dans ma carrière.

Vous avez survécu au tsunami de 2004 en Thaïlande. Comment cet événement a-t-il marqué votre vie ?

Pendant dix ans, il m’était impossible d’en parler. Aujourd’hui, je l’accepte comme une partie intégrante de mon histoire. Une épreuve de cette ampleur laisse forcément des traces : elle transforme profondément. J’ai longtemps attendu de pouvoir en tirer quelque chose de positif, et je crois qu’il y en a malgré tout. Cet événement a été terrible. Il m’a renforcée sur certains aspects, mais il m’a aussi rendue plus vulnérable. Par exemple, je voyage beaucoup moins depuis.

Être une femme dans le milieu du spectacle représente parfois un défi. Comment parvenez-vous à jongler entre votre vie de mère et votre carrière d’actrice ?

Je ne sais pas vraiment (rires) ! C’est une prise de tête constante. Heureusement, j’ai une nounou fidèle depuis huit ans et un compagnon qui est aussi un formidable papa. Les solutions viennent avec le temps. Bien sûr, il faut être consciente des difficultés et chercher des alternatives, mais on finit toujours par trouver des solutions.

Quand mon bébé avait seulement deux mois, j’ai dû tourner, et les équipes se sont adaptées. Aujourd’hui, la maternité, la grossesse ou l’allaitement ne sont plus des tabous. J’ai choisi de faire passer mes enfants avant ma carrière, du moins jusqu’à ce qu’ils aient cinq ou six ans. Cela a parfois ralenti mon rythme de travail, et j’ai dû refuser certains projets, mais ce n’est pas grave : c’était un choix qui me semblait évident.

Quelles leçons de maternité tirez-vous de votre propre expérience ?

Je pense que c’est l’enfant qui nous fait mère. Il est préférable d’avoir résolu certaines choses personnelles avant, car avec les enfants, tout ressurgit : nos blessures, nos chemins de vie, nos incidents de parcours. L’enfant devient un miroir de soi. Il est nécessaire de trier ce que l’on souhaite transmettre et ce que l’on préfère laisser derrière soi. Il faut être prêt à tout, et surtout à voir sa propre existence passer au second plan. À partir du moment où l’on devient parent, ce qui compte le plus, c’est l’existence de cet autre être, indissociable de la nôtre, et parfois même plus importante. Il s’agit d’un équilibre délicat : penser à soi tout en pensant à l’autre d’abord. C’est une forme de générosité que l’on apprend avec le temps. Quand on est jeune, il est facile de ne penser qu’à soi, mais devenir parent implique de déplacer cette priorité vers quelqu’un d’autre.

Tout en assumant cette responsabilité, il est crucial de conserver sa propre identité. Cet équilibre est passionnant, mais parfois épuisant. Je n’imaginais pas une vie sans enfants. J’ai eu le premier à 37 ans et le second à 42 ans. Je les ai eus tard, car pour moi, faire un enfant ne devait pas être pris à la légère : je n’aurais pas pu faire un enfant n’importe quand.

À 50 ans, comment percevez-vous l’évolution de votre carrière ? L’âge influence-t-il vos choix de rôles ou vos priorités professionnelles ?

Par moments, j’ai eu l’impression d’avoir tout le temps du monde, mais en réalité, j’en ai parfois perdu. J’ai toujours fait en sorte de rester fidèle à mes valeurs, de ne jamais entreprendre quelque chose dont je ne serais pas fière, et je compte bien continuer ainsi. Même si je n’ai pas toujours poursuivi un idéal précis, aujourd’hui, j’ai besoin que mes choix aient du sens.

Avec le temps, j’ai appris à initier mes propres projets, ce que je n’osais pas faire auparavant. Désormais, je réfléchis à ce que je souhaite exprimer, aux causes que je veux soutenir et aux personnes avec lesquelles je veux travailler. Il m’a fallu attendre mes 50 ans pour oser dire aux autres que j’avais envie de collaborer avec eux, pour me sentir enfin leur égale.

Y a-t-il quelque chose que vous regrettez de ne pas avoir fait plus tôt ?

J’ai des regrets, bien sûr, mais je sais aussi que certaines choses étaient hors de ma portée à ce moment-là. Par exemple, j’aurais aimé poursuivre mes études, car j’en ressentais le besoin. Mais la vie m’a emportée dans son tourbillon, et je n’ai pas pris ce chemin-là. Rien n’est jamais complètement perdu, même si le champ des possibles se resserre avec le temps. Ce n’est pas grave ; chaque étape a sa raison d’être.

Qu’êtes-vous fière d’avoir accompli avant vos 50 ans ?

Je suis fière d’avoir su préserver mon âme d’enfant, d’être restée fidèle à celle que j’étais petite et à ses rêves. Je suis aussi fière d’avoir eu des enfants, de les voir grandir en bonne santé et de pouvoir subvenir à leurs besoins chaque jour.

Je suis heureuse de prendre soin de mes amis, d’être présente pour eux et de m’intéresser sincèrement à leur vie. Cela demande du temps et de l’énergie, mais c’est essentiel pour moi. Si j’avais un pouvoir magique, j’adorerais pouvoir être partout à la fois et me téléporter pour ne rien manquer de ceux que j’aime.

Pensez-vous que les femmes continuent à obtenir des rôles intéressants lorsqu’elles atteignent un certain âge ?

Il y a dix ans, j’ai participé à une table ronde sur une étude portant sur le « tunnel des 50 ans ». J’étais fascinée par les échanges entre sociologues et historiens. Ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est l’égalité salariale et la représentativité des femmes dans la société. Il existe une invisibilité persistante des femmes de 50 ans : elles semblent être moins considérées, perçues comme moins intéressantes. À l’inverse, lorsqu’un homme a 50 ans, on le voit souvent accompagné d’une femme beaucoup plus jeune. Ce n’est absolument pas représentatif de la société, et cela me dérange.

Certes, même si l’on vend du rêve à travers le cinéma et la télévision et que l’on ne fait pas de documentaires, nous avons une responsabilité de vraisemblance. Il est nécessaire de briser ce tabou, ce mystère, autour de la femme de 50 ans, qui n’est plus mère, mais qui ne ressemble pas non plus à une grand-mère. Cette tranche d’âge est trop peu valorisée, notamment en raison du manque de reconnaissance de l’expérience de vie. Il y a cette idée erronée que si une femme n’est plus fertile, elle perd tout intérêt. Pourtant, il est grand temps de valoriser cette expérience et de reconnaître le potentiel du temps qui reste à vivre à 50 ans, d’autant plus que l’espérance de vie augmente.

La discrimination positive pose aussi des questions. Il est dérangeant d’imposer systématiquement des femmes à des postes sous prétexte d’équité. Nous traversons une période de transition où ces pratiques semblent nécessaires pour briser le plafond de verre. Mais il est essentiel de rappeler que ces femmes sont à ces postes parce qu’elles sont compétentes. Malheureusement, cette discrimination positive peut occulter leurs compétences réelles. Certains de mes amis hommes se sentent désespérés parce qu’ils estiment être dépassés uniquement en raison de leur genre, et je comprends leur frustration. On ne parle pas assez des difficultés que cela engendre pour eux. Il est donc crucial d’assurer une vraie représentativité et une continuité dans la valorisation des personnes, quel que soit leur genre ou leur âge.

Comment définiriez-vous le concept de vieillir dans le milieu artistique, et comment avez-vous abordé ce changement au fil des années ?

Bien vieillir, c’est être en accord avec soi-même. C’est presque comme avoir «mérité» les rides qu’on porte. Prendre ce virage n’est pas toujours simple. Par exemple, je suis une inconditionnelle des jeans et je me demande souvent si je pourrai en porter jusqu’à la fin de mes jours (rires). Mais ce qui compte le plus, c’est l’étincelle qui brille dans les yeux, cette capacité à s’émerveiller, à réfléchir et à rester consciente du chemin parcouru. Vieillir, c’est assumer pleinement son expérience et continuer d’avancer avec curiosité.

Y a-t-il des personnalités qui vous ont particulièrement inspirée ?

Parmi les actrices, Gina Rowlands, pour son humanité incroyable, et Romy Schneider ont beaucoup compté pour moi. Mais il y a aussi des figures intellectuelles et engagées qui sont, pour moi, des lumières dans la nuit : la philosophe Hannah Arendt, la femme rabbin Delphine Horvilleur, et l’essayiste, journaliste et réalisatrice Caroline Fourest.

Si vous deviez donner un conseil à votre « vous » plus jeune au début de votre carrière ?

Arrête de te préoccuper de ce que les autres pensent de toi. Écoute-toi, aime-toi et sois attentive à l’effet que les autres te font plutôt qu’à l’effet que tu leur fais. Détache-toi du besoin de plaire ou de paraître, et concentre-toi sur ce que tu ressens face aux autres. Apprends à faire le tri et à garder autour de toi ceux qui t’apportent vraiment quelque chose.

Quels sont les projets ou les passions que vous souhaitez explorer à l’avenir ?

Je me consacre davantage à mes projets personnels. Je reste très investie dans le domaine social : j’aide des associations qui soutiennent les migrants et je milite pour la laïcité. Mes enfants occupent aussi une grande partie de mon temps. Je me suis remise à l’improvisation théâtrale en rejoignant la ligue d’impro parisienne, et je co-anime un cours de théâtre pour adultes autistes. J’aimerais pouvoir tout faire à la fois ! J’ai également envie d’apprendre un instrument de musique. Et bien sûr, je continue les tournages avec passion.

Quel est votre mantra ?

« Tu ne peux agir que sur toi. » Ce n’est pas de l’égoïsme, mais une prise de conscience : vouloir changer les autres est souvent vain. Il est plus efficace d’agir sur soi, car chacun est responsable de sa propre vie. J’aime aussi beaucoup la phrase : « Ce sont les pas qui font le chemin. »


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08.01.2025
par Océane Ilunga
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