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Interview Société

Éco-anxiété: quand les préoccupations climatiques se transforment en angoisse

06.05.2022
par Akvile Arlauskaite

Alors que beaucoup considèrent la situation mondiale en matière de changement climatique comme préoccupante, chez certains, les inquiétudes se transforment en véritables angoisses. Dans cette interview, Flavia Gosteli, présidente de l’association de psychologie environnementale IPU, révèle ce que l’on entend par anxiété climatique et ce que les personnes concernées peuvent faire.

Flavia Gosteli, présidente de l’association de psychologie environnementale IPU

Flavia Gosteli, quelles sont les causes de l’éco-anxiété?

La crise climatique est une menace complexe, globale, insaisissable et existentielle. S’y confronter peut être accablant et déclencher des sentiments d’impuissance, d’incapacité à agir et des craintes pour l’avenir. Même si nous parvenons à modifier notre propre mode de vie, à nous engager dans des projets de durabilité orientés vers l’avenir et à faire bouger les choses dans notre environnement, chaque effort, même s’il est couronné de succès, semble être une goutte d’eau dans l’océan – et celle-ci s’écoule de plus en plus rapidement et de manière incontrôlable.

À cela s’ajoute l’inertie humaine: au niveau national et international, les votations et les conférences sur le climat montrent à quel point la société a du mal, malgré toutes nos connaissances, à mettre en œuvre des mesures rapides et efficaces pour éviter la crise climatique. Cela peut renforcer l’impression de glisser inexorablement vers une catastrophe. Au niveau subjectif, il existe en outre un certain degré d’incertitude.

Il existe certes de nombreux faits et prévisions fiables, mais il reste difficile pour les profanes de prévoir quand et comment ils ressentiront exactement les effets du changement climatique et comment l’humanité réagira aux conséquences telles que l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes et la pénurie de ressources.

Où s’arrêtent les préoccupations «normales» liées au changement climatique et où commence l’éco-anxiété?

Ce terme décrit diverses manifestations de la peur déclenchée par des conséquences perceptibles ou anticipées du changement climatique. Les transitions entre les différentes expressions sont fluides – des inquiétudes modérées aux peurs chroniques très envahissantes. En principe, les craintes modérées concernant la crise climatique peuvent être considérées comme une réaction adéquate à une menace réelle et peuvent même être importantes pour secouer et libérer l’énergie nécessaire à l’action.

Cependant, l’anxiété peut aussi devenir très pesante. L’anxiété chronique n’est certes pas une maladie psychique reconnue, mais elle peut déclencher différents troubles, allant de la rumination croissante, de la peur de l’avenir ou des problèmes de sommeil à la somatisation sous forme de maux de tête ou de ventre, en passant par l’isolement social, l’anxiété existentielle, les troubles anxieux, la dépression ou les crises de panique.

Lorsque les inquiétudes deviennent si fortes qu’elles ne peuvent plus être canalisées et qu’elles entravent la pensée, l’action et la gestion du quotidien, les personnes concernées ont besoin d’une aide professionnelle.

En même temps, le terme est encore relativement jeune et n’a pas encore fait l’objet de beaucoup de recherches et de différenciations. Il convient donc de l’utiliser avec prudence. Dans certaines circonstances, il peut en effet comporter le risque de pathologiser des réactions émotionnelles appropriées ou d’individualiser un problème social. Il est néanmoins important de prendre au sérieux les personnes qui souffrent d’une anxiété liée au climat et de leur apporter un soutien approprié.

Qui est le plus souvent concerné par l’éco-anxiété?

En principe, toute personne confrontée au changement climatique peut développer des peurs et des inquiétudes. Actuellement, l’éco-anxiété est souvent présente parmi les jeunes générations, car ce sont elles qui seront le plus touchées par les conséquences de la crise climatique et qui, dans leur position, ne peuvent encore guère faire bouger les choses à grande échelle, à l’exception de mouvements comme Fridays for Future. Dans une étude globale, près de la moitié des jeunes interrogés ont déclaré que leurs préoccupations liées au climat affectent leur vie quotidienne et leur fonctionnement. 

En outre, la comparaison internationale révèle une tendance à des inquiétudes plus généralisées dans les pays du Sud, où les effets du changement climatique sont déjà plus perceptibles et où la confiance dans les forces politiques est moins grande que dans les pays occidentaux. De plus, on peut supposer que de nombreuses personnes ne sont pas vraiment conscientes d’avoir ces préoccupations en raison de processus de refoulement, ce qui pourrait rendre la diffusion effective des craintes liées au climat encore plus importante.

Quand faut-il faire appel à une aide professionnelle?

Un facteur central est le niveau de souffrance personnelle. Lorsque les inquiétudes deviennent si fortes qu’elles ne peuvent plus être canalisées et qu’elles entravent la pensée, l’action et la gestion du quotidien, les personnes concernées ont besoin d’une aide professionnelle. En principe, le plus tôt est le mieux. Ainsi, il est possible d’éviter de nombreuses souffrances. 

Quelles stratégies d’adaptation peuvent aider les personnes concernées? 

Les mots-clés importants sont le soin de soi et la vigilance. Il est également important d’établir des limites saines et d’avoir conscience de ses propres ressources. Lorsque l’on se penche sur des informations trouvées sur Internet, on peut par exemple se poser les questions suivantes: Combien de temps est-ce que je veux consacrer à m’informer sur le sujet? Et combien de temps dois-je consacrer à la recherche de solutions et d’exemples de bonnes pratiques? Souvent, ce n’est pas tant l’information sur certains dangers climatiques qui fait défaut, mais plutôt des options d’action tangibles et des visions d’objectifs concrets.

De telles perspectives positives sont porteuses d’espoir et montrent la marge de manœuvre dont on dispose. Un engagement actif et commun peut aider à surmonter les peurs et l’impuissance, à donner un sens à la crise et à l’utiliser comme une opportunité de développement. Il est toutefois important d’accepter les limites de son propre rayon d’action.

Des objectifs trop ambitieux conduisent inévitablement au surmenage et à l’épuisement. Dans son propre environnement, chaque personne a toutefois la possibilité – souvent sous-estimée – de faire la différence. Même si la contribution personnelle peut paraître minime par rapport aux impacts globaux, il est nécessaire de faire tous les petits pas prétendument insignifiants pour s’engager ensemble, en tant que société, sur la voie d’un avenir durable.

Alors que l’action est la stratégie la plus efficace pour faire face à la situation, une partie des personnes concernées évite de se confronter à leur peur du changement climatique. Pourquoi et quelles peuvent en être les conséquences?

S’attaquer à un problème aussi vaste que la crise climatique nécessite de nombreuses ressources émotionnelles et cognitives. Si ces ressources ne sont pas disponibles ou si nous ne sommes pas prêts à les dépenser, il est logique de refouler les pensées et les émotions, d’éviter le sujet ou de s’en détourner. Il s’agit d’un mécanisme de défense psychologique autoprotecteur.

Certes, un certain degré de différenciation est nécessaire dans certaines situations pour rester capable d’agir. Mais si la défense ou le refoulement restent les seules stratégies pour y faire face, on rate l’occasion de reconnaître le message de ces émotions et de l’utiliser comme motivation pour agir. De plus, la peur et la menace ne disparaissent pas pour autant, mais peuvent continuer à s’accumuler et à influencer, paralyser ou submerger inconsciemment nos pensées et nos sentiments.

Parler aide à reconnaître et à nommer ses propres émotions, à se sentir entendu par son interlocuteur, à ressentir un soutien social ainsi qu’à passer à l’action.

Quelles sont les autres stratégies d’adaptation à l’éco-anxiété?

Outre le refoulement et la distraction, on peut également observer la minimisation et la négation des connaissances scientifiques, la diffusion de faits alternatifs et la corruption des résultats d’études. Ces stratégies peuvent à court terme atténuer le sentiment de menace, mais à long terme, elles renforcent le problème par leur inaction.

Comment les personnes extérieures peuvent-elles soutenir les personnes concernées?

Un moyen simple mais efficace est le dialogue. Le discours public repose assez fortement sur des informations factuelles et scientifiques. Or, il serait important de parler de l’impact émotionnel de ces faits afin de pouvoir les percevoir, les traiter et les gérer au lieu de les refouler. En ce sens, parler aide à reconnaître et à nommer ses propres émotions, à se sentir entendu par son interlocuteur, à ressentir un soutien social ainsi qu’à passer à l’action.

Cependant, les personnes concernées ne trouvent pas toujours d’elles-mêmes le moyen d’engager la conversation ou de demander de l’aide. Si quelqu’un se fait du souci pour une personne de son entourage, l’aider en ce sens peut être un premier pas utile.

Interview Akvile Arlauskaite

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