À l’Université de Berne, le professeur Volker Thiel et son équipe de l’institut de virologie et d’immunologie étudient le nouveau virus SARS-CoV-2.
Dans l’interview suivante, le professeur Thiel précise pourquoi le Conseil Fédéral n’aurait pas dû assouplir les mesures existantes du jour au lendemain. Il explique les comportements qu’il aimerait que la population adopte dans les mois à venir.
Professeur Thiel, le Covid-19 est-il au centre de toutes vos journées de travail?
Oui, du matin au soir. Nous avons d’abord appris à connaître le virus SARS-CoV-2 et son comportement. À présent, nous essayons de trouver différents vaccins contre le coronavirus.
Combien de temps devrons-nous attendre avant qu’un vaccin soit mis sur le marché et comment ce processus fonctionne-t-il?
Le fait d’avoir un vaccin à disposition et le fait de le mettre sur le marché sont deux choses bien différentes. Diverses entreprises essaient d’utiliser des plateaux techniques de vaccins et de les reconstruire pour créer un vaccin fini pour combattre le nouveau virus. Ce procédé est relativement rapide et, après quelques temps, l’efficacité du vaccin peut être testée sur un animal. Les chercheurs publient actuellement leurs premières études des vaccins de base qui ont été modifiés pour le virus SARS-CoV-2 et qui fonctionnent sur des modèles animaux. En théorie, ces échantillons sont déjà des exemplaires efficients du vaccin. Mais il faudra encore attendre beaucoup de temps avant que ce vaccin ne soit produit, qu’on puisse montrer qu’il n’est pas dangereux pour les êtres humains et qu’il soit efficace contre le virus.
Chaque jour de nouvelles informations sur le SARS-CoV-2 apparaissent. Qu’est-ce qui rend la recherche sur les nouveaux virus si compliquée?
Dans ce cas, la recherche est spéciale car nous avons l’impression que le monde entier y travaille. Bien sûr, il y a beaucoup de concurrence, mais la structure des coronavirus est similaire et permet déjà de savoir quelles sont les fonctions de base de ce nouveau virus. À présent, nous interrogeons donc ces fonctions. Le génome est très similaire à celui du SARS, également connu sous le nom de SARS-CoV. Par conséquent, nous pouvons déjà déduire beaucoup de choses au sujet des fonctions déjà décrites dans le SARS-CoV. Cependant, nous avons appris entre-temps que le comportement du virus est tout à fait différent.
Qu’est-ce qui différencie principalement le coronavirus des autres virus?
Tout d’abord, le taux d’infection est plus élevé et ceci a été sous-estimé au début à cause de la forte ressemblance entre ce nouveau virus et son prédécesseur, le SARS-CoV. Lorsque le virus était encore en Chine, nous nous demandions s’il pouvait se transmettre entre individus et nous sommes tout de suite arrivés à la conclusion suivante: ce n’était pas possible. Seulement plus tard nous avons découvert que c’était en fait le cas.
Le Covid-19 nous a permis de comprendre comment la population réagit à une épidémie. Dans ce cadre, pensez-vous qu’il soit nécessaire d’éduquer davantage la population à ce genre de situation extrême?
Je pense que le citoyen moyen a beaucoup appris au sujet des virus au cours des derniers mois. En tant que profane, il est difficile de savoir comment évaluer certaines déclarations. Par exemple, lorsque quelqu’un prétend produire un vaccin et vacciner le monde entier en trois mois, cela paraît être une bonne chose. Mais finalement, dans la plupart des cas, ces déclarations ne sont pas fondées scientifiquement. Il est donc difficile pour la population de savoir quels discours croire.
Pendant le semi-confinement, la population suisse a dû se passer de beaucoup de choses et, récemment, plusieurs protestations ont eu lieu contre cela. En tant que virologiste, qu’en pensez-vous?
Je peux comprendre cette frustration, car beaucoup de gens ont dû abandonner leur société mais aussi leur vie d’avant. Mais il est important de remarquer que tous les pays qui n’ont pas pris le virus au sérieux et qui n’ont pas mis en place un (semi-)confinement se trouvent dans une position difficile à présent. C’est notamment le cas du Brésil ou des États-Unis, qui relèvent chaque jour un grand nombre de décès et de nouveaux cas de coronavirus. Les pays qui ont obtenu de très bons résultats – la Suisse est l’un d’entre eux – sont ceux qui ont tout de suite donné de l’importance à la situation et qui ont pris des bonnes mesures pour y faire face.
Je tiens à féliciter non seulement les hommes politiques, mais aussi la population qui, ensemble, ont émis et respecté ces mesures. Les efforts paient et, à présent, nous sommes en mesure d’éviter réellement ce que nous voulons éviter. Pourtant, aujourd’hui, suite à la diminution des cas, nous nous disons que, après tout, le virus n’était pas si méchant. Puis nous devons aussi nous occuper des autres domaines de nos vies. Si au début la situation était comme un exercice d’incendie face auquel tout le monde savait ce qu’il fallait faire, il faut maintenant procéder étape par étape. Et il n’est pas facile de communiquer cela à la population et de servir de médiateur dans cette phase de la crise.
Si la situation semblait être sous contrôle, pourquoi aurions-nous dû rester prudents et ne pas assouplir les mesures fédérales du jour au lendemain?
L’assouplissement des mesures émises par le Conseil Fédéral risque d’entraîner une augmentation exponentielle du nombre de cas. Selon les pays, la propagation du virus n’a été visible qu’après un ou deux mois. Bien évidemment, aucune mesure n’a été prise pendant cette période et les cas individuels ont continué d’évoluer vers une épidémie. Je pense que cette situation pourrait se reproduire rapidement.
Mais il est vrai que notre réaction et nos comportements face à la situation ont changé. Nous essayons de garder nos distances et de porter des masques lorsque ceci n’est pas possible. Il faut voir si cela suffira. D’un autre côté, cette prise de décision nous permet d’identifier les lieux de rencontres qui peuvent s’avérer dangereux. En Allemagne, par exemple, de nombreuses personnes ont été infectées dans des restaurants. S’agit-il d’une simple coïncidence due à un évènement local ou devons-nous y porter une attention particulière? Il ne faut rien sous-estimer car ce qui ne nous effraie pas à présent pourrait s’avérer dangereux demain. C’est pourquoi il faut avancer «étape par étape». Si nous changeons tout radicalement et rapidement nous risquons de ne plus savoir situer le problème et de replonger dans un état de crise.
Comment une entreprise peut-elle survivre aux mois de fermeture?
Je pense que les prochains mois seront encore difficiles car nous n’aurons probablement pas de vaccin d’ici l’année prochaine. Il n’y aura pas non plus de médicaments miraculeux, comme ceux qu’on voit dans beaucoup de films hollywoodiens. J’espère donc que la société restera unie, car la polarisation ne nous aiderait pas.
Bien que les cas diminuent, le virus est encore là et nous n’avons encore rien d’efficace contre lui. J’aimerais également que nous puissions échanger nos opinions de manière civilisée et démocratique, comme cela a été le cas au début de l’épidémie. Ce n’est pas le moment d’être impatients. D’une part, nous avons compris où se situent les craintes et les besoins de la société et de l’économie. De l’autre, il y a la nécessité de sauver des vies humaines. Il n’y a pas de politicien, de scientifique ou d’expert qui ait une solution miracle pour le moment. C’est pourquoi nous devons trouver ensemble la meilleure solution et écouter les arguments de tout le monde.
Après le Covid-19, la population suisse est-elle préparée à une nouvelle épidémie ou reste-t-il quelque chose à faire au niveau des infrastructures ou au niveau fédéral?
Je pense que nous pouvons mieux faire. Par exemple, il est important de disposer en temps utile d’informations sur le nombre actuel de cas. Dans des circonstances normales, il n’est pas important de presser l’OFSP pour qu’il publie les chiffres de l’infection le vendredi plutôt que le lundi. Mais nous vivons une situation importante et nous avons donc besoin de connaître le nombre exact de personnes infectées – chaque jour compte! Dans ce cadre, les autorités, les laboratoires, les cantons et la Confédération travaillent ensemble via différentes interfaces qui, malheureusement, n’ont pas vraiment été conçues pour une pandémie, car nous ne pensions pas que la situation serait si mauvaise. D’ailleurs, il faut savoir qu’un virus qui se propage aussi vite que le coronavirus constitue le pire des scénarios envisageables.
À l’avenir, qu’est-ce qui pourrait aider, notamment dans le domaine de la technologie?
Ce que nous appelons le «Contact Tracing» fait actuellement l’objet de discussions animées. D’une part, lors d’une éventuelle infection, les personnes concernées peuvent être simplement averties par téléphone. De l’autre, cela peut également se faire de manière numérique à l’aide d’une application. C’est une question qui doit être traitée socialement, mais les avantages sont évidents. En effet, grâce à ce système il serait possible d’identifier les contacts vulnérables en quelques secondes seulement. Ceci pourrait également mener à des assouplissements ultérieurs et donc à une plus grande liberté pour tout le monde. Nous aurions donc la certitude de pouvoir contenir rapidement un nouveau cas. Un certain nombre de mesures techniques ont également été mises en place pour assurer la sécurité des données. En effet, les données sont non seulement stockées sur des serveurs centraux, mais seulement localement, temporairement et anonymement.
Quelles sont les connaissances sur la recherche de vaccins qui devraient être accessibles à tout le monde?
Il faut savoir qu’un vaccin ne sert pas seulement à se protéger soi-même, mais aussi à protéger les autres. Cela signifie que si je suis vacciné, je ne peux pas transmettre la maladie à d’autres personnes. Beaucoup de gens ne veulent pas se faire vacciner car ils pensent que cette décision ne concerne qu’eux-mêmes, notamment dans le cas de la vaccination contre la rougeole. Cependant, la vaccination est également un geste que l’on fait pour prendre soin des autres – et c’est surtout vrai dans le cas des maladies qui sont facilement transmissibles.
Interview Dominic Meier
Texte Flavia Ulrich
Laisser un commentaire