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Digitalisation Technologie

La souveraineté numérique ou comment contrôler son espace numérique

27.03.2024
par Léa Stocky

L’expansion constante du marché du cloud et le développement de l’intelligence artificielle repoussent les frontières du numérique au profit des grandes entreprises américaines. Dans cette interview, Thomas Jacobsen, porte-parole d’Infomaniak, nous explique en quoi garder la maîtrise de ses données est un enjeu stratégique.

Thomas Jacobsen,Porte-parole d’Infomaniak

Thomas Jacobsen
Porte-parole d’Infomaniak

Thomas Jacobsen, comment définiriez-vous la souveraineté numérique ?

Il s’agit de la capacité à contrôler ce que l’on fait avec nos données. Elle implique trois exigences : héberger les données physiquement en Suisse, les traiter avec des logiciels open source ou développés en Suisse dont nous avons une complète maîtrise, et bénéficier d’un cadre juridique en Suisse.

Quels sont ses enjeux ?

Les pouvoirs publics suisses semblent dépassés d’un point de vue technique et se font conseiller par des organismes qui représentent des entreprises étrangères puissantes qui ne priorisent pas la souveraineté numérique. Ils ne font pas assez confiance aux solutions suisses et européennes et conçoivent des appels d’offres taillés pour des géants américains. Il s’agit avant tout d’un manque de connaissance et de confiance en nos capacités et d’un problème de volonté politique de définir le numérique comme un enjeu stratégique.

Deux principaux cadres juridiques entrent en jeu : le Cloud Act américain et le RGPD européen. Les principaux fournisseurs cloud étant américains, il existe des lois de transferts de données entre les États-Unis et l’Europe, qui sont malheureusement permissives en termes d’accès et qui ne respectent pas la culture européenne en matière de vie privée. On retrouve également le problème de la fuite des cerveaux – on offre des milliers de diplômés à des entreprises qui optimisent leur fiscalité – et l’enjeu écologique – les géants du web utilisent encore beaucoup des énergies fossiles. Ce confort à court terme place ainsi les pays européens dans une position de dépendance vis-à-vis des quatre ou cinq entreprises qui stockent la majorité des données à l’échelle mondiale.

Comment l’intelligence artificielle impacte-t-elle la souveraineté numérique ?

Les données déterminent la qualité des intelligences artificielles et sont par conséquent hautement stratégiques sur le plan économique, ce qui pose des questions par rapport au traitement des données que nous confions aux services cloud. Nous n’avons en effet jamais généré autant de données qu’aujourd’hui. Le problème est que les intelligences artificielles propriétaires comme ChatGPT et Gemini sont des boîtes noires et qu’il est impossible d’avoir des garanties sur la manière dont elles utilisent les données qui leur sont transmises.

Comment voyez-vous l’évolution de la régulation ?

À défaut d’investir dans ses propres solutions cloud, l’Europe met en place des lois pour réguler la protection des données et le marché du cloud. Cependant, cela prend beaucoup de temps et la technologie évolue beaucoup plus vite. Les géants du web font pression et essaient de rendre le problème juridique alors qu’il est surtout économique. Ils ont des armées d’avocats qui créent des clouds de confiance en collaborant avec des entreprises locales comme Capgemini (Microsoft), Thales (Google) ou Atos (AWS) mais qui dans les faits n’en sont pas. Nous pouvons tout de même saluer l’effort qui est fait pour encadrer cela. Une nouvelle loi européenne, l’EUCS (European Cybersecurity Certification Scheme for Cloud Services), est en cours de développement et vise à homogénéiser les exigences en matière de cybersécurité sur le territoire de l’Union européenne. Le DMA (Digital Markets Act) est quant à lui récemment entré en vigueur et porte des limites à la concurrence des géants américains en fixant des règles contraignantes.

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