Interview par Andrea Tarantini

«Le fossé entre ce qu’on fait et ce qu’on devrait mettre en œuvre augmente chaque jour»

Curieux, persévérant et respectueux, c’est ainsi que se décrit Bertrand Piccard. Dès son enfance, ces caractéristiques ont amené l’explorateur, environnementaliste et psychiatre suisse autant à l’exploration du monde extérieur que du monde intérieur. Dans l’interview qui suit, il nous raconte ses découvertes et ce qu’elles lui ont offert.

Curieux, persévérant et respectueux, c’est ainsi que se décrit Bertrand Piccard. Dès son enfance, ces caractéristiques ont amené l’explorateur, environnementaliste et psychiatre suisse autant à l’exploration du monde extérieur que du monde intérieur. Dans l’interview qui suit, il nous raconte ses découvertes et ce qu’elles lui ont offert. 

Bertrand Piccard, qu’aimez-vous le plus dans l’exploration ?

J’aime le fait que nous soyons confrontés à l’inconnu, aux doutes, aux points d’interrogations et que cela stimule notre créativité et notre performance. Un des plus grands dangers de la vie est la routine qui nous enferme dans les certitudes. L’exploration nous oblige en revanche à aller chercher à l’intérieur de soi plus de performance, de créativité, de concentration, de ressources et de potentiel.

En 1999, aux côtés du co-pilote britannique Brian Jones, vous avez fait le tour du monde en ballon et, de 2015 à 2016, vous avez piloté l’avion solaire Solar Impulse avec lequel vous avez également fait le tour du monde. Que ces expériences vous ont-elles appris ? 

Elles m’ont fait sortir de mes certitudes et évoluer dans mon comportement. Elles m’ont aussi rendu plus persévérant, patient, tolérant et ouvert à l’inconnu et m’ont permis de me remettre en question. J’ai aussi réalisé à quel point on peut apprendre des échecs (rires) ! À présent, je sais aussi que pour réussir il faut réessayer chaque fois d’une manière différente et sans craindre l’échec.

J’ai appris par ailleurs que dans un ballon nous sommes poussés par le vent et que la seule manière de changer de direction est de changer d’altitude pour capter différents courants. Dans la vie, nous sommes souvent poussés dans des mauvaises directions par le destin, les problèmes, les guerres, les crises sanitaires et les difficultés financières ou relationnelles par exemple. Il faut changer d’altitude psychologiquement, philosophiquement et spirituellement pour trouver d’autres influences, stratégies, solutions et réponses qui nous permettront de prendre de meilleures directions. Pour ce faire, il faut lâcher du lest, autrement dit les certitudes, les habitudes, les croyances, les dogmes, les paradigmes et tout ce qui nous maintient prisonniers de vieilles manières de penser. 

Grâce à mon voyage en avion solaire, j’ai réalisé à quel point le reste du monde vit dans le passé car il ne se rend pas compte du caractère archaïque des moteurs thermiques qui perdent trois quarts de leur énergie par des mauvais rendements, des maisons mal isolées, des chauffages et des ampoules pas efficaces, des processus industriels démodés, des manières polluantes de brûler des énergies fossiles, de jeter les déchets au lieu de les recycler… C’est pourquoi je souhaitais montrer que les énergies renouvelables et les technologies propres dont nous disposons peuvent nous permettre d’atteindre des buts à priori impossibles. 

Pensez-vous que le message est bien passé ?

Le fossé entre ce qu’on fait et ce qu’on devrait mettre en œuvre dans le monde augmente chaque jour ! Ce n’est pas très rassurant. Il est vrai qu’on organise des actions pleines de sens, mais on ne fait pas encore ce qu’il faut. 

Après ces voyages, vous vous êtes engagé en faveur de l’environnement en créant la Fondation Solar Impulse, une fondation à but non lucratif qui mise sur la technologie pour protéger la planète. Qu’avez-vous accompli jusqu’ici ?

Après le vol en avion solaire, j’ai lancé le défi d’identifier dans le monde plus de mille solutions qui existent aujourd’hui et qui sont capables de protéger l’environnement tout en étant économiquement rentables pour les entreprises qui les produisent et pour les citoyens qui les utilisent. C’est une manière de réconcilier l’économie et l’écologie. On m’a dit que c’était impossible, mais aujourd’hui nous avons identifié 1450 solutions techniques – qui relèvent parfois juste du bon sens – qui permettent aux entreprises de prendre de nouveaux débouchés industriels tout en protégeant l’environnement et aux citoyens d’économiser de l’énergie et des ressources afin d’être plus efficients.

Où se place la Suisse en la matière ?

Notre pays est très propre à première vue, ce qui nous fait croire que tout va bien. En réalité, nous avons le parc automobile le plus polluant d’Europe, nous consommons beaucoup de carburant, émettons beaucoup de CO2 et, quand le gouvernement veut prendre des mesures, la population s’y oppose. La situation en Suisse est très paradoxale ! Il faut faire passer un message: la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement n’est ni chère ni difficile. Beaucoup de solutions existent qui permettent d’économiser du CO2 et de l’argent. L’écologie permet d’augmenter le pouvoir d’achat !

Quelles aventures vous attendent encore ?

Avec la Fondation Solar Impulse, nous avons beaucoup de travail au niveau politique devant nous pour faire adopter les solutions dont nous avons discuté. J’ai aussi lancé en France une initiative qui s’appelle «Prêt à voter». Il s’agit de 50 recommandations législatives sous forme d’articles de loi prêts à être votés que nous avons proposées au nouveau Parlement français pour protéger l’environnement avec des solutions qui existent aujourd’hui. Puisque nous ne sommes jamais à l’abri d’un nouveau rêve, je travaille aussi à deux autres projets: un avion à hydrogène et un tour du monde avec un dirigeable solaire de 150 mètres de long, entièrement recouvert de panneaux solaires. 

Un mot pour la fin ? 

Explorer ne signifie plus découvrir de nouveaux territoires mais des manières de mieux vivre sur Terre, de protéger l’environnement, d’augmenter la compréhension mutuelle, la tolérance et le respect. Nous devons décloisonner nos certitudes pour respecter autrui, mieux se comprendre, découvrir et mettre en œuvre de nouvelles manières de vivre en meilleure relation avec les humains et l’environnement. Cela devient une urgence ! 

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15.12.2022
par Andrea Tarantini
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