avocat «le métier d’avocat a aussi un rôle social»
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«Le métier d’avocat a aussi un rôle social»

20.09.2019
par Thomas Pfefferlé

Managing Partner au sein de létude Lenz & Staehelin, Guy Vermeil analyse les nouveaux défis des professionnels du droit. Attentive aux questions liées à la formation des jeunes et impliquée dans de nombreux projets pro bono, l’Etude démontre que les prestations fournies par les avocats doivent aussi permettre de contribuer au bien-être collectif.

Acteur incontournable du droit en Suisse, Lenz & Staehelin fait évidemment figure de référence. La plupart des grandes fusions et acquisitions bancaires et industrielles sont en effet chapeautées par l’étude helvétique. Avec plus d’un siècle d’histoire et 215 associés et collaborateurs répartis entre Genève, Zurich et Lausanne, le cabinet d’avocats constitue un véritable pilier dans le domaine du droit. Spécialisées respectivement dans les domaines industriels ainsi que dans le secteur bancaire, les antennes zurichoises et genevoises de l’Etude observent l’évolution de ces branches et la manière dont elles influencent le métier d’avocat. Pour l’évoquer, Guy Vermeil, Managing Partner au sein de Lenz & Staehelin, analyse le nouveau paradigme de l’environnement juridique. En même temps, l’Etude s’implique en faveur de la formation des jeunes talents ainsi que dans divers projets d’engagement volontaire. Interview.

Lenz & Staehelin a longtemps véhiculé une image stricte et exigeante en tant qu’employeur. Aujourd’hui, selon les derniers sondages effectués auprès des étudiants, vous êtes l’employeur le plus attractif, juste après la Confédération. La formation des jeunes constitue une nouvelle priorité pour vous?

Nos clients attendent beaucoup de nous, et nous attendons donc aussi beaucoup de nos collaborateurs. Nous voulons cependant que notre Etude ne soit pas seulement un endroit où l’on travaille dur pour les clients. Mais aussi un lieu de formation et de perfectionnement.

La formation des jeunes et leur accès au marché de l’emploi constitue une priorité pour nous depuis de nombreuses années.

Etant moi-même père de famille, je suis particulièrement sensible à la complexité croissante qui marque notre époque. Dans ce contexte, nous organisons chaque été une vingtaine de stages de deux mois pour les jeunes. Ces derniers peuvent donc découvrir les différentes activités représentées au sein de notre Etude. Nous veillons à cultiver un climat professionnel qui soit propice à l’épanouissement personnel. Au sein de nos bureaux, nous disposons par exemple d’infrastructures sportives. Nous proposons des cours pour l’ensemble du personnel de l’Etude. Et nous participons aussi à de nombreuses manifestations sportives et culturelles en dehors de nos heures de travail.

Vos stagiaires reviennent ensuite chez vous dans le cadre de leur stage ou pour travailler à vos côtés?

C’est exact. C’est là une de nos démarches spécifiques en matière de recrutement. Nous sommes une organisation intégrée organisée sous forme de partnership, avec une responsabilité illimitée des associés. Il nous faut donc entretenir et développer une grande confiance entre nous. Nous accueillons des jeunes durant l’été. Ensuite, nous les suivons pendant les dix-huit mois de stage d’avocat, puis leurs années en qualité de collaborateurs. Par ces stages, nous pouvons justement développer cette proximité et cette confiance que nous recherchons. Ceci, tout en nous assurant que les collaborateurs s’imprègnent de l’ADN de notre cabinet. Ceci ne nous empêche toutefois pas de recruter aussi des talents formés en dehors de l’Etude.

Lenz & Staehelin s’implique dans de nombreux projets pro bono. Alors que l’on a plutôt tendance à associer le métier d’avocat à une pratique quelque peu élitiste, on voit en fait que l’altruisme fait aussi partie de l’activité des spécialistes du droit. Quel regard portez-vous sur ce type d’engagement?

Il est vrai que les services d’un avocat peuvent engendrer des coûts élevés, et donc constituer des prestations parfois difficilement accessibles. Cependant, il ne faut pas oublier que le métier d’avocat a aussi un rôle social à jouer. Plus répandue aux Etats-Unis, la pratique pro bono représente un aspect incontournable dans l’activité d’une étude comme la nôtre.

Dans ce sens, nous menons de nombreux projets afin de contribuer à la vie sociale dans laquelle nous évoluons. L’an dernier, nous avons par exemple assisté Lombard Odier. Ce dernier agissait également à titre pro bono, dans le cadre d’un projet en faveur du CICR. Réunissant différents investisseurs privés ainsi que plusieurs gouvernements européens, ce projet a permis de mettre en place un prêt de 26 millions de francs en faveur du CICR. Il a servi au financement de trois centres de réhabilitation des victimes de guerre au Mali, au Nigeria et en République démocratique du Congo.

On remarque que les sociétés sont soumises à des exigences toujours plus importantes en matière de gouvernance interne. – Guy Vermeil

Sur un plan plus local, Lenz & Staehelin collabore avec Caritas Genève depuis fin 2014. L’étude apporte un soutien juridique pro bono. Les juristes de Caritas Genève rencontrent en effet certaines situations que l’association n’est pas en mesure de traiter, que ce soit en raison de sa charge de travail ou de la spécificité du domaine concerné. Nous recevons donc de tels dossiers afin qu’un avocat de notre Étude les prennent en charge. Les affaires traitées peuvent aller du simple conseil à la conduite d’un procès, en passant par la négociation d’un accord amiable. L’Étude intervient sur une base purement gratuite.

L’année dernière, un collaborateur a demandé à être détaché pendant deux mois. Il voulait travailler dans un camp de réfugiés syriens au Liban. Nous encourageons ce type de démarches individuelles qui donnent du relief au caractère.

Je reste persuadé que les expériences extra professionnelles de ce type permettent d’acquérir une expérience qui se révèlera utile face à des dossiers complexes, notamment dans la gestion du stress.

Pour revenir au droit suisse et à la manière dont il évolue, quelles sont les configurations organisationnelles des études d’avocats dans notre pays?

Dans le domaine du droit, on peut distinguer deux types d’organisation. La plupart des études d’avocats fonctionnent selon le principe du partage des frais généraux. Les clients sont les clients d’un avocat, et non du cabinet dans son ensemble. Certaines études fonctionnent selon le principe de l’organisation intégrée, comme Lenz & Staehelin par exemple. Cette configuration implique qu’un client est client de l’Etude en général. L’intérêt selon nous d’une organisation intégrée consiste à s’assurer que les dossiers soient traités par les avocats les mieux outillés pour servir le client, sans qu’une considération financière ne vienne influencer les décisions. Les mandats appartiennent au cabinet, au sein duquel la rémunération de chaque associé est égale et identique, une fois un certain degré d’ancienneté atteint. C’est ce que nous appelons le système du «lock-step».

Quelles distinctions peut-on encore observer entre la Suisse alémanique et romande?

L’activité alémanique se concentre majoritairement autour des domaines industriels. En Suisse romande, les études d’avocats sont davantage expertes sur les problématiques liées à la finance et au secteur bancaire. Même si les activités des PME restent importantes. Nos trois bureaux sont également très actifs dans le conseil donné à la clientèle privée.

Quelles sont les principales évolutions qui caractérisent les activités des entreprises romandes et comment impactent-elles votre activité?

On remarque que les sociétés sont soumises à des exigences toujours plus importantes en matière de gouvernance interne. Plus complexes et nombreux qu’auparavant, les règlements qui régissent leurs affaires constituent des contraintes importantes qui nécessitent une intense activité juridique. Les sociétés disposent pour la plupart de services juridiques compétents au sein même de leur structure. Cependant, il arrive fréquemment qu’elles aient besoin de bénéficier d’une expertise plus pointue ainsi que de compétences transversales. D’où le recours aux prestations d’une étude externe. Pour notre activité, cela engendre également des répercussions directes et importantes. Aujourd’hui, nous nous devons d’être réactifs, efficaces et pragmatiques car les pressions auxquelles sont soumises les entreprises impliquent une maîtrise précise des coûts juridiques. Il n’est d’ailleurs pas rare que les entreprises qui veulent nous mandater effectuent des appels d’offres pour sélectionner l’étude la plus compétente.

Comment réagissez-vous pour continuer à évoluer au sein de ce nouveau paradigme?

Nous devons faire preuve d’une excellente organisation et d’une efficacité décuplée.

Pour cela, nous avons développé d’importantes bases de données. Elles réunissent de nombreux contrats, avis juridiques, documents sociaux et écritures judiciaires.

Nos équipes bénéficient ainsi de trames solides et éprouvées leur permettant de produire rapidement les documents complexes «sur-mesure» que requièrent nos clients. L’organisation et la mise à jour continue de cette base de données a d’ailleurs impliqué la création d’un poste à plein temps, occupé par un avocat expérimenté.

Et que dire de l’intelligence artificielle, déjà présente aux Etats-Unis notamment? Le droit suisse va-t-il aussi devoir intégrer davantage de logiciels et produits dans l’optique d’automatiser certaines tâches?

C’est très probable. Et nous suivons attentivement ces questions. Il est vrai que pour des tâches répétitives et simples, l’utilisation de logiciels développés pour le domaine du droit constitue un atout indéniable. Mais le contexte suisse s’avère particulièrement délicat, notamment en raison des trois langues nationales. Aux Etats-Unis, l’utilisation de ce type de logiciels est évidemment facilitée par une situation linguistique plus simple. Il faut toutefois garder à l’esprit que le métier d’avocat reste un métier humain, où la plus-value des réflexions et des raisonnements effectués par les professionnels reste de mise. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’évaluer des risques et de donner des conseils concrets et pragmatiques, adaptés à des situations complexes et des enjeux très importants.

Parmi les nouvelles technologies, on pense aussi aux crypto-monnaies et au positionnement de la place bancaire helvétique dans ce nouveau créneau. Quel regard portez-vous sur ce domaine?

La Suisse est en effet un pays dit «blockchain friendly». Dans ce sens, il s’agit de bâtir un cadre juridique encore inexistant actuellement. Très attentifs à ce domaine, nous venons de nous associer à Swissquote Bank SA et à Temenos Group AG pour créer la Capital Markets and Technology Association (CMTA) avec le concours de l’EPFL. Ayant son siège à Genève, la CMTA va s’employer à créer des standards ouverts et des outils permettant tant aux sociétés établies qu’aux start-ups d’obtenir du capital et de lever des fonds de façon sûre et efficace, en utilisant les nouvelles technologies tout en tirant profit de la digitalisation.

 

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