Le droit successoral suisse est désormais sorti de son processus de révision amorcé il y a plus d’une décennie. Cette phase de révision achevée, il est permis d’esquisser quelques brèves et partielles réflexions sur les enjeux politiques et sociologiques du droit successoral révisé.
Le principe fondateur de la réserve héréditaire aura bien sûr été au centre de tous les débats. Noyau dur de la transmission successorale, elle est un gage de la solidarité familiale notamment intergénérationnelle. Elle permet aussi de garantir une égalité de traitement minimale entre les héritiers les plus proches en évitant de complètes discriminations, potentiellement arbitraires. L’on sait à quel point la question de l’égalité est sensible et touche au sentiment profond de justice – ou plutôt d’injustice – intra-familiale.
Au fil du temps, la part réservataire imposée à toute succession helvétique a néanmoins été mise en lumière comme restreignant trop la liberté de disposer du testateur. Au terme de la révision, en place depuis le 1er janvier 2023, la part réservataire aura ainsi été revue à la baisse, mais de façon prudente et mesurée (réduction de la réserve des descendants à la moitié de leur part légale, en lieu et place des trois-quarts, et suppression de la réserve des parents). Et, en réalité, son importance n’aura cessé d’être réaffirmée au cours du processus législatif.
L’autre constat qui se dégage de la révision est que la réserve héréditaire est et restera, en tout cas à moyen terme, la chasse gardée de la famille « juridique », soit celle qui peut se prévaloir d’un lien de filiation ou d’un lien matrimonial avec le défunt (dans ce dernier cas, jusqu’au dépôt valable d’une demande de divorce). En revanche, malgré les ambitions d’une motion parlementaire (dite « motion Gutzwiller »), le pouvoir législatif aura fait fi des partenaires de vie non mariés, qui restent les grands laissés-pour-compte de la réforme.
Partant de l’idée ambitieuse du motionnaire d’une réserve héréditaire pour le concubin, le processus législatif aura rapidement dérivé vers un « legs d’entretien » pour dégringoler ensuite vers une « créance d’assistance » visant uniquement les cas de rigueur, laquelle n’aura finalement même pas passé la rampe. Se réduisant comme peau de chagrin au fil du processus législatif, c’est finalement le néant qui s’est abattu sur la protection spécifique prônée à l’origine pour les concubins.
Cette âpreté du système légal est certes contrebalancée par une plus grande quotité disponible pouvant désormais être attribuée – de façon volontaire – au concubin, vu notamment le rétrécissement de la réserve des enfants. Ce pansement ne déploiera toutefois ses vertus curatives que lorsque le traitement fiscal de la succession, apanage des cantons, aura été adapté et cessera de traiter les concubins comme de simple tiers à l’égard du défunt, en leur appliquant le taux d’imposition maximal (à Genève, jusqu’à 54.6 %). À l’heure de la mutation profonde de la société, il est impératif de renoncer à l’assommoir fiscal pour le concubin survivant, afin de disposer enfin d’un droit successoral équilibré.
Texte Aude Peyrot, Docteure en droit, avocate
Laisser un commentaire